Le Gaillard d'arrière

Dédié affectueusement aux impatients de l’intérieur qui trouvent le temps long.

Allons donc, le gaillard d’arrière,
T’es décidé, mes compliments !
Je vois à ton humeur guerrière
Qu’tu voudras être à la frontière
Avec un flingot tout fumant.
Allons donc, le gaillard d’arrière,
Viens sout’nir le gaillard d’avant ! 

T’entr’ un peu tard dans la carrière,
Ca n’fait rien, il est encor’ temps !
Voilà un sac, des cartouchières,
De quoi rouler dans la poussière
Près d’la moitié d’un régiment !
Allons donc, le gaillard d’arrière,
Viens sout’nir le gaillard d’avant ! 

Comm’ dans les théâtr’s de l’arrière,
Y a des plac’s pour les élégants,
Des baignoir’s, des billets d’parterre…
Et pour les grands jours de « premières »
Des poèm’s en gaz asphyxiants.
Allons donc, le gaillard d’arrière,
Viens prendr’ place au gaillard d’avant ! 

Et puis, recrut’nous à l’arrière,
Les propr’ à rien et les croquants,
Tous les employés à rien faire
Aux allures de mousquetaires,
Beaux parleurs, ronchons, tire-au-flanc !
Qui trouvent que le gaillard d’arrière
Irait plus vite que c’lui d’l’avant !

Mais, t’est pâl’ ! tu dis qu’ tes confrères
N’aim’nt pas les exercices violents !
Faut-il que nos permissionnaires
Les ramènen’nt au front su’ l’derrière
Et leur donn’nt du nerf et du cran ?
Allons, réponds, gaillard d’arrière :
Veux-u fair’ un gaillard d’avant ?

Ah ! j’comprends, tu d’viens poitrinaire,
T’as la frouss’ et tu cal’s maint’nant !
Tu nous as bourré la caf’tière
Avec des morts et des manières,
Histoir’ de fair’ de boniment !
Ferm’-la donc, ô gaillard d’arrière,
Et l’aiss’ fair’ le gaillard d’avant !

Clovis Grimbert

(Le 120 Court, n° 6, du 1 octobre 1915)

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