(impressions prises sur le vif)
air : Ce sont-là des choses
qu’une femme n’oublie pas.
Allons, mes amis, les Poilus de
France,
Saurions-nous encor nous gratter
longtemps,
Sans chanter les poux, ces poux
de vaillance,
Qui nous font passer de si bons
moments ?
Pouvons-nous songer, sans un’
joie profonde,
A ces chers petits, si frais, si
mignons.
Nous avons les poux les plus
beaux du monde,
Nous sommes comblés, et nous
l’ignorons !
Les poux nous rappell’nt
l’heureuse jeunesse,
Quand nous nous trouvions sur les
bancs, studieux,
Ecoutant la voix toujours
charmeresse
Du maître d’école au front
soucieux.
Avec quelle adress’ nous savons,
en classe,
Les ravir viv’ment au voisin
jaloux
Pour les égailler dans notre
tignasse
Et les emmener bien portants chez
nous.
Les poux du temps d’paix, l’âme
vagabonde,
Ne rendaient visite qu’aux
miséreux.
Donnant leurs faveurs aux êtres
immondes,
Vagues bohémiens, mendigots,
teigneux.
Quand survint la guerre, tous les
poux valides,
Epris soudain’ment de nobles
vertus,
Quittant sans regrets leurs
maisons sordides,
S’enrôlèrent en masse avec les
Poilus.
Au fond du boyau, quand, sous la
mitraille,
Nous sommes courbés, les tempes
en feu,
Les poux amoureux font leurs
épousailles
Et sur notre échine défilent par
deux.
Puis, sans s’émouvoir, malgré la
rafale,
Ils cherchent sur nous de
charmants abris
Pour aménager leur chambre
nuptiale
Où viennent les voir de nombreux
amis.
Si, par aventure, l’âme
nostalgique,
Nous sentons venir le hideux
cafard,
Nous pouvons jeter, d’un geste
énergique,
Chemise et cal’çon sur notre
trimard.
Là, le torse nu et l’derrière par
terre,
Des p’tits et des gros nous
dressons l’bilan ;
Nous passons en r’vue tous nos
locataires.
Si c’est un peu fou, ça fait
passer l’temps.
Nous avons les poux joyeux ou
tragiques,
Poux de grands seigneurs, poux de
roturiers,
Poux respectueux du rang
hiérarchique,
Poux de deuxième classe et poux
d’officiers.
Cependant, si les poux ont des
préférences
Parmi les poilus les plus
distingués,
Ils savent marquer tout’ leur
répugnance
Pour les gens d’ l’arrière et les
embusqués.
Héroïques poux d’Artois, de
Champagne,
D’Alsace, d’Argonne ou du front
flamand,
Ne nous quittez pas après la
campagne,
Nous vous dépos’rons dans des
draps bien blancs,
Vous serez reçus dans notre
famille
Comme des amis des jours
douloureux,
Vous vivrez heureux, repus et
tranquilles,
Nos femmes émues vous ferm’ront
les yeux !
Clovis Grimbert
(Le 120 Court, n° 8, du 15 novembre 1915)