Son village, sa femme et son gas
Air : La Paimpolaise
I
Lorsque le paysan de Flandre
Entendit le chant des cloches
Douloureusement se répandre
Sur ses blés à peine fauchés,
Il s'en fut rêveur,
La mort dans le coeur
Vers le petit coin de feuillage
Qu'on apercevait tout là-bas,
Jusqu'au toit aimé du village
Qu'habitaient sa femme et son gâs.
II
Les clochers annonçaient la guerre ;
Le paysan devait quitter
Sa faux, sa moisson et sa terre,
L'amour qu'il avait su goûter,
Et partir ainsi
Prendre le fusil ;
En bon Français plein de courage,
Résigné, marchant à grands pas,
Il quitta son petit village
Où pleuraient sa femme et son gâs.
III
Bientôt la première bataille
L'emmena jusque Charleroi,
Et sous les coups de la mitraille,
Pâle, mais calme et sans effroi,
Le brave Flamand
Pensait tristement :
" J'aurai mon tour dans ce carnage,
Et je ne retournerai pas
Vivre et mourir en mon village,
Près de ma femme et de mon gâs. "
IV
Hélas ! on dut battre en retraite
Sous le canon de l'allemand,
Et, bien avant qu'on ne l'arrête,
Il était au pays flamand ;
Et le paysan
Marchait en pensant,
Parmi la nuit rouge et sauvage,
Et lugubre, dans son fracas,
Au sort de son petit village
Où tremblaient sa femme et son gâs.
V
Dès cet instant, plus une lettre
Ne vint consoler son amour :
Ce fut l'angoisse qui pénètre
Et creuse un peu plus chaque jour,
Dans le pauvre coeur
Un lit de langueur ;
Mais quand la charge faisait rage,
Dans la mêlée à tour de bras,
Il vengeait son petit village
Où souffraient sa femme et son gâs.
VI
Ainsi sans la moindre blessure
Il batailla jusqu'à la fin ;
Puis, d'une marche grave et sûre,
Du pays, il prit le chemin,
Le coeur oppressé,
Mais l'esprit bercé
Par une souriante image
Qui le poursuivait pas à pas :
Celle de son petit village
Où vivaient sa femme et son gâs.
VII
Dans la plaine aux nuages sombres,
Aux lieux tant aimés autrefois,
Il ne trouva que décombres...
Un tertre planté d'une croix... ;
Alors il comprit ;
Un sanglot le prit :
Il restait seul après l'orage
Afin de garder ici-bas
Le petit endroit du village
Où dormaient sa femme et son gâs.
Georges Letervanic(Le 120 Court, n° 13, 12 février 1916)
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