« La paix est signée. On a commencé la libération des classes de réserve… » (Les Journaux, mars 1917)
Enfin, ça y est. Je suis libéré.
J’ai payé ma dette.
Parti le 4 août 1914, je me bats depuis 32 mois bientôt : 4 blessures, 3 évacuations, 4 permissions, 16 mois de tranchées, 22 attaques, les galons de 1ère classe et la Croix de Guerre.
Si avec ça la France et M. Maurice Barrès ne sont pas contents, je me demande ce qu’il leur faut.
J’ai fait mon boulot, quoi ! et maintenant je rentre.
Mon camarade Totor me dit qu’il commence à en avoir marre ! Il ne sait pas ce qu’il dit ; on n’était pas au feu de 15 jours qu’il commençait déjà à en avoir marre ! C’est un genre chez lui.
Moi, je suis philosophe ; j’ai toujours pris la vie par le bon bout, sans m’en faire, et ça m’a réussi.
Je n’exagère pas en affirmant que ma ménagère me reçut les bras ouverts.
Elle me dit :
- Te v’la !
- Oui, me v’là, c’est ton homme !
Alors, la pauvre petite pleure de joie, tandis que mon gosse, un lascar de 4 ans qui promet, me dit :
- Dis donc, Pa, tu vas jouer avec moi au Poilu.
A peine rentré, mon voisin – pâle inapte qui s’est découvert une maladie le lendemain de la mobilisation – arrive et, avec des sanglots dans la voix :
- Tiens, te v’là revenu tout de même ?
- Eh bien ! oui, me v’là revenu parce qu’on n’a plus besoin de nous.
- Et c’est fini, paraît-il, bien fini.
- Oui, c’est fini. Y a les jeunes classes seulement qui sont restées chez Eux pour occuper leurs baraques en attendant qu’Ils aient payé.
- Ah ! mon pauvre Ernest, te v’là revenu ! C’est-y heureux tout de même ! C’est à ne pas croire !
Alors, l’animal se met à chialer pour de bon et soupire :
- Mon Ernest, tu sais qu’on t’a dit mort ! Enfin, on les a eux tout de même !
- Oui, vieux, on les as eu, mais ça n’a pas toujours été la pause !
- Je sais, Ernest, les journaux nous ont dit ça.
Et, pendant deux heures, mon voisin me raconte les batailles de Charleroi, de l’Yser, de la Marne, de Champagne, les combats de l’Hartmannsweilerkopf, du Lingekopf. Il a appris par cœur nos meilleurs communiqués.
Il allait commencer le récit de notre entrée victorieuse en Allemagne, quand la porte s’ouvrit pour livrer passage à … mon propriétaire.
- Monsieur Ernest, que je suis heureux de vous revoir !
- Et moi, donc !
- Et comme ça vous v’la revenu !
- Oui, me vl’a revenu, paraît qu’c’est définitif !
- C’est un grand bonheur pour vous, pour nous tous ; vous avez eu de la veine, Monsieur Ernest : tant d’autres y sont restés ! Voyons, je ne venais pas précisément pour ça, mais puisque … l’occasion se présente … on pourrait peut-être causer … du loyer !
- Du loyer, du loyer, tiens, c’est vrai, le moratorium est libéré, lui aussi, va falloir casquer. Eh bien ! Monsieur, un petit instant, attendez-moi chez vous, le temps de changer de liquette, celle que j’ai sur le dos est passablement habitée…
- Ah ! Monsieur Ernest, vous avez attrapé des petites bêtes ?
- Quelques totos seulement, sans importance.
- Bien, Monsieur Ernest, nous vous laissons.
Le voisin et le proprio sortent.
………
Alors, c’est ça la libération. Je quitte une vie d’aventures et de périls pour affronter les soucis d’une existence compliquée !
Tout, mais pas ça !
Vite, je saute sur ma pelle-bêche et je creuse devant ma porte une bath tranchée. Je bouche les fenêtres avec des sacs à terre, j’installe des créneaux, des postes d’observation, des batteries de fusils. En une demi-journée, ma maison est transformée en blockhaus.
Demain, je me mettrai en liaison par sapes avec le boucher, le boulanger, l’épicier. Et maintenant, mon voisin bavard et mon proprio indésirable peuvent toujours revenir : ils se casseront le nez dans les fils de fer.
Clovis Grimbert(Le 120 Court, n° 13, 12 février 1916)