Société très ancienne, déjà célèbre dès le temps de paix.
Elle consistait pour le poilu de cette époque lointaine, à confectionner aux parents, les jours de dèche, des lettres touchantes qui se terminaient invariablement par un appel à la caisse.
Comme par hasard, le porte-monnaie avait été perdu au service en campagne, saigné par l’achat d’une cruche ; quelquefois, il avait fallu payer un litre au caporal pour éviter une grave punition.
Pour corser le motif, le « bleu » avait recours à l’ancien, passé maître dans ce genre d’exercice et qui, naturellement, ne manquait pas de bénéficier de l’indulgence crédulité des mères.
A l’arrivée du mandat sollicité, c’était une explosion joyeuse :
- Eh ! dis-donc, vieux, ça a mordu ; le pigeon est arrivé !
- Ah ! bath ! T’est un pote ; on va le dire à la cantoche !
Et le succès de l’affaire s’arrosait sur le zinc.
De nos jours, malgré la fréquence du service en campagne, le poilu sérieux arrive généralement à boucler son budget avec les cinq sous de prêt ; en effet, les cantines sont si rares, si rares les repos et la complaisance des bistros qui, cossards, n’ouvrent leur établissement que deux ou trois heures par jour, que le poilu passe la majeure partie de ses loisirs à faire des bagues en aluminium.
Cependant, il n’a pas renoncé aux traditions.
N’ayant plus à quémander une braise inutilisable, le carottier s’est établi, sous la même enseigne, bourreur de crânes.
D’une affaire locale, il sait constituer une entreprise de grande envergure ; nul mieux que lui ne sait multiplier les effectifs et les assauts, quintupler la puissance des canons et des mitrailleuses.
Son bataillon, son régiment a « bardé » plus que tous les autres ; au cantonnement de repos, confortablement installée dans une grange, il écrit des lettres dans le genre de celle-ci :
« Mes chers Parents,
Je vous envoie ces quelques mots en pleine bataille ; il est midi ; depuis le lever du soleil nous nous battons à la baïonnette.
Et ça barde. On s’est même battu à coups de couteau dans les fils de fer.
Mais tranquillisez-vous, je crois que je m’en tirerai encore pour cette fois…. »
Au patelin du bourreur de crânes, une mère inquiète montre aux voisins, la lettre du fils « écrite dans la mitraille ».
Et elle soupire :
- C’est injuste, c’est toujours les mêmes qui se battent !
Clovis Grimbert(Le 120 Court, n° 16, 10 avril 1916)