En ribouldinguant : dans les pampas de l'intérieur

Après entente avec mon Chef de Corps, le Généralissime et la Direction des Chemins de fer, je viens de bénéficier de mon second tour de perme.

C’est chose banale, maintenant, qu’une permission ; les émotions du premier tour ne se revivent pas.

Il est vrai que nous avons maintenant des cœurs bétonnés, continuellement à l’épreuve.

Des impressions de voyage ! Peuh ! c’est l’éternel même spectacle à contempler en cours de route, quand on roule vers l’intérieur.

Des gendarmes délicieusement désoeuvrés, des trains en retard, tout un ruban de champs verts et de monts gris défilant comme un cinéma, des GVC qui vieillissent.

Quelques embusqués inamovibles, que M. Henry Chéron appelle « les braves qui s’ignorent peut-être ».

L’un d’eux, remarquablement bien portant, que j’avais vu au mois d’août, timbrant des ordres de transport dans un wagon à Creil, a résolu le problème. Dalbiez au moyen d’un déplacement latéral qui l’a somptueusement installé à la Commission de la Gare de Saint-Pol-sur-Ternoise (35 kilomètres du front).

En visant ma permission, il me dit !

- Je suis content d’être au front ( !) ; cependant je m’ennuie et vais demander probablement mon changement ; je suis las de voir toujours les mêmes locomotives et les mêmes journaux.

- Mais, mon vieux, il y a de la place plus en avant, aux chasseurs, par exemple !

- Je voudrais bien, mais je suis si peu entraîné. Ainsi, pour aller étiqueter un wagon au bout du quai, je suis essoufflé. Ah ! ça ne vaut pas la vie au grand air !

Pour le consoler, je lui remis une collection du 120 Court.

Par ailleurs, les civils tiennent ; les femmes surtout, sont admirables de patience.

J’ai rencontré, cependant, le type du parfait pessimiste.

Affligé d’un million au moins, n’ayant personne au front, il gémit :

- Quelle tristesse que cette guerre ! Ne devrait-on pas prendre l’offensive sur tous les fronts à la fois ; une bonne poussée et les boches seraient nettoyés. Si seulement Napoléon revenait ! C’est comme pour les emprunts, croyez-vous que ce n’est pas une misère. M. Ribot n’est pas raisonnable ; qu’est-ce qu’il peut bien faire des milliards qu’on lui donne ?

Je répondis au pauvre homme :

- Chez nous, de nombreux poilus ont été blessés plusieurs fois ; c’et leur manière, à eux, de participer aux emprunts. Ils savent en outre que d’autres emprunts sont imminents, où ils seront peut-être appelés à verser leur capital, c’est-à-dire leur vie. En attendant, pour se préparer à bien mourir, ils couchent dans la boue et ils chantent…

Le crétin me toisa d’un air soupçonneux et méfiant, et j’eux l’impression d’avoir devant moi un malfaiteur de la Patrie…

Clovis Grimbert

(Le 120 Court, n° 17, 28 avril 1916)

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