Les insignes

La mode est aux insignes, ou mieux, les insignes sont à la mode.

Chaque jour, l’imagination des chercheurs s’évertue à découvrir quelque chose de neuf.

Cependant, en raison de l’immensité du champ d’exploitation, il reste une foule d’insignes dont la création est désirable.

Comment, par exemple, préserver des imprécations le brave réformé pour excès de santé qui, depuis la mobilisation, est réveillé régulièrement toutes les nuites par le bruit énervant des camions de ravitaillement et des mouvements de troupe. Nous approchons du 700ème jour de guerre ; voilà donc près de 700 nuites gâchées, et dont le sacrifice n’est même pas compensée par une victoire quotidienne. L’insigne qui conviendrait à ces héros obscurs, serait peut-être une patience : on trouvait ainsi le placement de toutes celles qui sont inutilisées depuis que les Poilus n’ont plus à astiquer leurs boutons invisibles.

On ne saurait non plus, sans ingratitude, oublier que l’habitué du Café de la Paix est sur le point de disséquer son 1400ème communiqué. Que de salive dépensée au service de la galerie ! Que de clairvoyance et d’audace dans les pronostics ! Quand sonnera pour lui l’heure de la retraite, l’insigne qui lui ira comme un gant sera… la muselière.

Et quand on aura solutionné le grave problème de doter d’un insigne chaque spécialité d’acteur actif ou passif du drame, il s’agira de publier un guide de poche, peu volumineux, pratique, pour permettre aux profanes de s’initier et de se faire une opinion rapide parmi la multitude d’insign..ifiants et de brassarditères de l’après guerre.

Clovis Grimbert

(Le 120 Court, n° 19, 10 juin 1916)

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