ANVIN

Le monument aux morts d'ANVIN

Inauguration du monument aux morts d'Anvin (premier monument)


Plus de 2.000 personnes ont assisté à l’inauguration du monument élevé à la mémoire de Soldats d’Anvin morts pour la Patrie.

La pluie, qui était tombée toute la matinée, cessa heureusement vers midi, et c’est sous un ciel éclairci que se déroula l’imposante cérémonie.

A 3 heures et demie, le cortège s’ébranlait dans l’ordre suivant :

les sapeurs pompiers d’Anvin, l’harmonie municipale de Saint-Pol, les élèves de l’école des filles costumées en Alsaciennes, Lorraines et infirmières, le clergé, les vétérans, la délégation de l’association des mutilés, réformés et anciens combattants de l’arrondissement de Saint-Pol, la société de tir d’Hernicourt, les anciens combattants d’Anvin, M. le sous-préfet, MM Salmon, conseiller général, Martin et Delgéry conseillers d’arrondissement, le conseil municipal, les maires des localités voisines, puis le public.

Devant le monument, les accents vibrants de La Marseillaise éclatent, puis M. le Curé, avant de bénir le monument, dit son émotion devant les sentiments de foi religieuse et patriotique qu’a excités la cérémonie.

Ce monument demeurera le témoin de la vaillance de nos soldats, de notre juste et profonde gratitude envers eux : de l’union sacrée si nécessaire à la liberté et à la paix de la France. Il perpétuera le glorieux souvenir du sacrifice des disparus.

La bénédiction est suivie de l’appel des vingt morts de la commune, puis de l’exécution d’un chœur par les enfants des écoles.

Après quoi, M. Vincent, président de la société des vétérans, prend la parole.

Au nom des vieux combattants de 1870, il salue la mémoire des braves enfants d’Anvin tombés glorieusement pour la France. « Que n’ont-ils eu tous, ces braves vétérans, la joie de voir se réaliser ce rêve caressé par eux – et si éloquemment traduit par leur nombre devise : Oublier ? Jamais ! – la restitution à la France de nos deux provinces de l’Est !

Ceux-là sont morts en y songeant toujours et par leur attitude et leur foi inébranlable dans les destinées des la Patrie, ont légué à leurs fils leur indéfectible attachement à la gloire et à l’amour du drapeau. » 

M. Vincent unit dans le même sentiments de reconnaissance les vieux braves de 1870, les 100.000 victimes de l’année terrible et les héros de la Grande Guerre. Et que dire de ces derniers ?

« Durant 52 mois, vos époux ou vos pères, femmes, veuves et orphelins de la guerre, - vos fils ou vos frères, hommes et femmes de toutes conditions, ont supporté modestement, sans fléchir, sans aucune aspiration de gloire, mus par le seul sentiment du devoir, ce lourd fardeau d’une guerre sans précédent que le destin jette au hasard sur la route des générations !

A nous donc les survivants de ne pas livrer à la merci de l’Oubli cet exemple de solidarité nationale, de désintéressement de la vie, dans l’unique but de gagner, au nom de l’humanité, une grande cause sociale : Celle du Droit, de la Justice et de la Liberté ! 

Voilà, Mesdames et Messieurs, l’œuvre de vos morts ! Voilà leur conduite !

En les pleurant toujours, soyez fiers d’eux et de leur œuvre.

Ce monument élevé par vous, habitants d’Anvin, sur lequel sont gravés les noms de tant de braves que la mort a couchés côte à côte en plein accomplissement de leur devoir de soldat, symbolisera leur mémoire. Il dira avec fierté tout leur passé glorieux et imposera à tous le respect dû à des citoyens dont le courage et le dévouement ont étonné le monde !

Soldats d’Anvin tombés glorieusement au champ d’honneur ! s’écrie alors l’orateur, au nom de la Société des Vétérans des armées de terre et de mer, vos vieux frères d’armes et des soldats de la grande guerre, vos compagnons de champ de bataille d’hier, je vous remercie. L’exemple de votre fidélité et de votre attachement à la cause du drapeau demeurera éternellement dans nos cœurs.

Je prie vos familles, aujourd’hui dans la douleur, de croire à l’assurance bien sincère de notre inaltérable reconnaissance.

Je m’incline devant votre passé glorieux et je vous adresse ici un suprême et dernier adieu !

Drapeaux saluez les braves !! Au drapeau ! »

Ce discours terminé, un enfant adresse au nom de ses camarades un hommage aux morts.

Puis M. Denis, secrétaire de l’Association des Mutilés, réformés et anciens combattants de l’arrondissement de Saint-Pol prend la parole :

« Les Mutilés, Réformés et Anciens Combattants de Saint-Pol ont tenu à se joindre à leurs camarades pour apporter à ceux de votre clocher qui sont tombés pour la Patrie, l’hommage de leur admiration et leur reconnaissance.

Quand je dis reconnaissance, c’est que ma pensée ne trouve pas de mot assez juste, assez fort pour exprimer ce que nous leur devons et je ne sais comment dire toute l’étendue de la dette que nous avons contractée à leur égard, dette dont il ne nous sera jamais possible de nous acquitter.

C’est surtout à tous les heureux, échappés providentielles au cataclysme épouvantable qui a bouleversé le monde et jeté le deuil dans tant de familles, de rendre un solennel hommage à ceux qui ont si généreusement arrosé de leur sang la terre de France.

Ce sont eux, ces morts, ces humbles et obscurs héros, ces martyrs de la Patrie qui, u prix de leur vie, nous ont sauvés de l’invasion et de ses terribles conséquences.

Certains d’entre eux sont morts brutalement, emportés par la mitraille, d’autres n’ont succombé qu’à près de longues heures passées sur le champ de bataille, dans une lente et terrible agonie, d’autres enfin sont morts après une pénible captivité.

Quelle que soit leur mort, tous ont droit à notre respect ; aussi, Messieurs, inclinons-nous bien bas devant eux.

Leur sacrifice au moins n’aura pas été inutile, et si du fond de leur tombe, ils sortaient pour quelques instants de leur sommeil éternel, ils verraient que grâce à eux la France est redevenue plus grande et l’Allemagne amoindrie et humiliée.

A nous les vivants, de rester unis dans la paix pour continuer leur œuvre par le travail et faire que le sacrifice de tant de jeunes hommes qui ont donné leur vie pour nous ne soit pas perdu.

Une consolation, s’il pouvait y en avoir une, reste cependant à ceux qui les pleurent, père, mère, femme et enfant. Qu’ils se disent et disons-le avec eux, que ces humbles héros sont morts de la plus belle mort, ils sont morts pour la patrie, de la mort la plus digne d’envie.

Comme La Tour d’Auvergne, ils sont morts au champ d’honneur. Leur mémoire survivra dans les siècles à venir et leurs noms gravés en lettres d’or sur la pierre passeront à la postérité.

Grand morts de la guerre 1914-1918, nous vous saluons et vous disons merci au nom de la France victorieuse. »

Après lui, M. Flament, au nom des anciens combattants d’Hernicourt, et M. Thibaut, au nom des anciens combattants d’Anvin, viennent assurer les camarades infortunés de leur inaltérable souvenir.

A son tour, M. Delgéry apporte sa part dans le tribut d’hommages et de reconnaissance que nous avons le devoir de rendre aux morts, devoir impérieux pour nous qui sommes les profiteurs de leur héroïque sacrifice ;  « sacrifice héroïque qui nous vaut d’être restés peuple libre et de ne pas subir l’outrage de la domination de notre ennemi.

La valeureuse ardeur du poilu français et son mépris du danger ont seuls permis, en 1914, d’arrêter le flot germanique qui, avançant méthodiquement, face à la supériorité du nombre et des énormes moyens matériels dont il disposait ne devait pas connaître d’obstacle.

L’obstacle, « ils » l’ont trouvé, dans la suprême résolution de ceux que nous glorifions aujourd’hui. »

L’orateur retrace à grands traits la Marne, l’Yser, Verdun, le courage stoïque, l’héroïsme, la volonté dont firent preuve nos poilus.

« Mais avec 1918, le troupier français s’est retrouvé dans son éléments. Voler au secours de fronts alliés, trois fois percés, mais trois fois rétablis, couvrir les retraitants, rassembler les épars et mettre l’ennemi sur les arrêts fut chaque fois, pour eux l’affaire de quelques jours.

Et quand enfin, en possession de tous leurs moyens, de tous leurs éléments coordonnés par l’illustre général, leur chef unique, les armées alliées, aidées par l’appoint de troupes nécessaires, décidées à manœuvrer à la française, prirent l’offensive, pas un seul jour ne s’est passé sans victoire, et quelques mois plus tard l’ennemi demandait grâce.

Malgré toutes les souffrances endurées, malgré toutes les pertes subies et les sacrifices consentis, l’esprit de vengeance soufflait si peu parmi nous que nous eûmes la générosité de déposer les armes, considérant que nous n’avions pas le droit de prolonger d’une minute l’hécatombe, que le sanguinaire autocrate prussien avait déchaînée sur le monde.

De même qu’en 1914, pour éviter le conflit, nous avions été jusqu’à commettre l’imprudence de retirer nos troupes de la frontières, de même en 1918, au premier signal nous arrêtions le combat, malgré les grands avantages que nous aurions eux à ne le faire que quelques jours plus tard.

Héroïques enfants d’Anvin tombés pour la France, nous vous vouons une reconnaissance éternelle.

C’est votre victoire qui permet aujourd’hui à l’illustre homme d’Etat qui dirige les destinées de la France, d’une manière si ferme et si clairvoyante, d’éviter, quelque fois, que les intérêts français, après avoir été si sacrifiés durant la guerre, continuent de l’être par trop dans les règlements de la paix.

On peut être fier et tenace et exiger justice, quand on a derrière soi, avec un pays ravagé, le sacrifice de 1.500.000 hommes tombés pour la cause commune.

Au pied de ce monument, souvenons-nous aussi de ce qu’a dû être le suprême désir de nos chers morts et pour répondre à leurs vœux et suivre leur exemple, pratiquons l’union et la concorde, et continuons de montrer l’exemple d’une nation, la plus bouleversée par la guerre, devenant la plus calme dans la paix. »

M. Salmon, conseiller général, succède à M. Delgéry.

« Il a le devoir, dit-il, de rendre un témoignage de reconnaissance et d’admiration à ceux qui se sont sacrifié et qui ont donné à la postérité le plus bel exemple d’abnégation. Aux survivants, à ceux qui, après les longues souffrances de la guerre, ont connu la victoire, il demande à être forts dans la paix, comme ils l’ont été durant la guerre et de travailler au relèvement de la Patrie affaiblie. Il lance un appel à l’union féconde de toutes les bonnes volontés.

Plus de luttes intestines ; c’est par l’union que nous ferons une France forte.

L’honorable conseiller général rappelle que la France n’a pas voulu la guerre, même d’une guerre victorieuse. Ce sont nos ennemis qui l’ont déchaînée. Aujourd’hui nous n’avons pas le droit de leur pardonner trop vite ; nous avons le devoir d’exiger les réparations qui nous sont dues. Agir autrement serait oublier l’immense sacrifice de nos héros.

Il félicite M. le Maire d’Anvin pour l’éclat de la cérémonie et Mlle Courtin, directrice d’école pour l’organisation du cortège et termine en rendant une dernière fois l’hommage aux morts pour la Patrie.

M. Henri Marais, sous-préfet, qui préside la cérémonie, remercie M. le Maire d’avoir pensé à le convier à cette imposante cérémonie. C’est de grand cœur qu’il est venu prendre part à cette manifestation du souvenir et de la reconnaissance.

« Nous devons honorer nos Morts. Mais il ne suffit pas de célébrer et perpétuer leur mémoire par l’érection de monuments ; il faut encore et surtout nous montrer dignes d’eux. Dignes d’eux par notre Union, par notre ferme volonté de travailler au relèvement de la Patrie, pour la défense de laquelle ils se sont sacrifiés. »

M. le Sous-Préfet  montre aux enfants les enseignements qui se dégagent de la cérémonie et les engage à se montrer en toutes circonstances dignes de leurs pères, pour que la France redevienne et reste grande et prospère.

M. Desmazures, maire d’Anvin, termine la série des discours.

« Après tout ce qui vient d’être dit, il me reste peu de choses à vous dire. Je ne puis que vous faire l’histoire de ce monument.

En décembre dernier, le nouveau conseil municipal eut à s’occuper d’abord de son achat puis de son emplacement.

Précédemment, une souscription avait été faite ; jugeant que la commune d’Anvin n’avait pas répondu suffisamment à l’appel de nos devanciers, le conseil décida de faire un nouvel appel à la générosité publique.

Il fut entendu et nous recueillîmes assez d’argent pour élever à nos héros ce monument digne de leur sacrifice.

 Pour l’emplacement, estimant que sa place était sur la voie publique à la vue de tous, étrangers et habitants, nous eûmes l’espoir de trouver un terrain propice au centre du village. Cet espoir fut déçu et sans notre camarade Masse, qui gracieusement nous offrit ce terrain, nous eussions été obligés d’abandonner notre projet. Ceci dit, il me reste à adresser mes plus vifs remerciements à toutes les personnes de bonne volonté qui se sont dévouées pour donner à cette cérémonie l’éclat qu’elle méritait.

Je remercierai en particulier, M. le Sous-Préfet si bienveillant pour tout ce qui touche Anvin ; M. Pigelet, ingénieur des Ponts et Chaussées, grâce à qui nous avons pu embellir la commune ; MM Salmon, Delgéry et Martin, les élus du canton, toujours prêts à nous aider ; M. le Capitaine Vincent, président de l’Union Nationale des Combattants, nos vieux camarades les Vétérans, dont la devise doit toujours rester dans nos cœurs ; M. Lebel, président de la musique de Saint-Pol et les Musiciens de talent, qui ont bien voulu, par leur présence, rehausser l’éclat de cette inauguration.

Je n’oublie pas les Maires et conseillers municipaux des communes voisines, venus affirmer une fois de plus leurs bons sentiments de camaraderie. Enfin vous tous, qui êtes venus si nombreux, assister à l’érection de ce monument du souvenir.

Je dois un témoignage particulier de reconnaissance à Mlle Courtin, notre dévouée institutrice qui a bien voulu se charger de la partie artistique et  qui, à côté de ce monument, symbole de la France meurtrie, va nous montrer, avec ses élèves, un autre symbole, celui d’une France grande et prospère par l’union et le travail de ses enfants. »

Les discours sont terminés, M. le Curé dit alors, devant la foule recueillie, le De profundis. Puis tout à coup, La Marseillaise éclate, vibrante et fière, et les cœurs battent à ses nobles accents.

Une magnifique apothéose, mise au point et dirigé par Mlle Courtin, montre la France victorieuse et meurtrie se relevant dans la paix par le travail et la concorde.

La foule se sépare sur ce spectacle impressionnant, et les Sociétés se rendent avec les Autorités à l’Ecole communale où les vins d’honneur leur sont offerts.

Telle fut, rapidement esquissée, la belle cérémonie dont on se souviendra longtemps à Anvin et que nous nous excusons de n’avoir pu relater plus tôt.

(L’Abeille de la Ternoise, du 17 octobre 1920)


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