AUXI-LE-CHATEAU


Le monument aux morts d'AUXI-LE-CHATEAU


L’inauguration du monument aux morts d'Auxi-le-Château

La coquette petite cité d’Auxi-le-Château possède certainement d’excellents avocats dans le ciel, car elle obtint à point, dimanche dernier, pour la cérémonie patriotique qu’elle avait organisée, un beau soleil dont l’ardeur était tempérée par une légère brise, ce qui parut bien bon après les quelques jours de temps d’automne et de pluie que nous venions de subir.

Il aurait été vraiment regrettable que le soleil ne vint pas présider à cette cérémonie et rehausser de son éclat les parures dont la ville d’Auxi s’était couverte. Ce n’était partout en effet, que guirlandes de verdure, drapeaux et banderoles tricolores, arcs de triomphe disant toute la gloire de notre Poilu. La population auxiloise, avec une initiative, dont il convient de la féliciter, avait décoré superbement ses rues et ses habitations.

Nous arrivâmes à l’Hôtel de Ville au moment précis où sur le seuil du joli bâtiment qui fait la fierté d’Auxi, M. le Sous-Préfet, Henri Marais, qu’accompagnaient MM Harduin, Dupire, Théret, et Goubet, conseillers généraux, Coquidé, conseiller d’arrondissement, et Houllier, lieutenant de gendarmerie, était reçu par M. Maincourt, maire entouré de son conseil municipal, des fonctionnaires de la localité et des maires des communes environnantes. C’était aussi le moment où se terminait la messe dite à l’intention des Auxilois morts pour la France et au cours de laquelle le doyen Lemiche avait prononcé une éloquente oraison funèbre ; toutes les sociétés d’Auxi, Musique, Sapeurs-Pompiers, Société de Secours mutuels, mutilés et anciens combattants, vétérans des armées de terre et de mer, sortant de l’Eglise, bannières et drapeaux au vent défilaient pour venir s’arrêter face à l’Hôtel de Ville. Le tableau formé par tout ce monde s’agitant dans le coin le plus pittoresque de la ciété était aussi merveilleux qu’impressionnant. En l’admirant chacun convenait qu’à Auxi on sait bien faire les choses.

Il était alors midi.

Des vins d’honneur étaient offerts aux invités et aux sociétés. Puis on se dispersait pour se retrouver les uns, à une heure, au banquet de l’Hôtel de Ville, les autres, à trois heures, rue d’Hesdin, pour le cortège.

Le banquet fut ce que doit être tout banquet officiel. A la table d’honneur, à la droite de M. Marais, qui présidait, on remarquait MM Maincourt, maire et conseiller d’arrondissement, Goubet, conseiller général, Demont, juge de paix du canton, Izard, receveur de l’enregistrement, Wasse, percepteur, Marchand, receveur des contributions indirectes ; à sa gauche, MM Harduin, conseiller général, Houllier, lieutenant de gendarmerie, Vimeux, capitaine des pompiers, docteur Boutin, Berthe, directeur de l’école communale des garçons ; en face, MM Dupire et Théret, conseillers généraux, Coquidé, conseiller d’arrondissement, Cauwet, maire de Frévent, Clercq et Vion, adjoints au Maire. On remarquait encore aux autres tables, M. Léon Lebel, secrétaire de M. Farjon, sénateur, les lieutenant et sous-lieutenant des pompiers, de nombreux officiers, anciens combattants, M. Authom, marbrier sculpteur à Saint-Pol, etc…

A trois heures, le banquet se terminait et tout le monde se rendait rue d’Hesdin d’où devait partir le cortège. Nous ne décrirons pas celui-ci, la place nous étant mesurée et les affiches annonçant la cérémonie en ayant déjà indiqué la composition.

Nous dirons seulement que les enfants des écoles, toutes les sociétés auxiloises avec leurs drapeaux ou leurs bannières, la musique, les autorités et les pompiers étaient suivis d’une foule énorme, tout respectueusement suivis dans le même sentiment de reconnaissance envers les glorieux soldats qui avaient donné leur vie pour notre liberté.

Le défilé eut lieu sans à-coups, dans un ordre parfait. Après avoir suivi les rues d’Hesdin, d’Abbeville et d’Amiens, le cortège revint par la ru de Wavans sur la Place de la Mairie. Tout le monde se groupas alors autour du monument fort bien conçu par M. Authom-Lebel de Saint-Pol, que beaucoup voulurent féliciter.

M. Marais, sous-préfet, procéda à l’enlèvement du voile tricolore qui recouvrait le monument, et M. Couvillers-Gaudry, un mutilé, monta à la tribune.

Après avoir fait l’appel des auxilois morts au champ d’honneur, appel auquel les enfants des écoles répondirent tous ensemble par ces paroles si glorieuses : « Morts pour la France ! », M. Couvillers-Gaudry, confiant le monument à la garde de la municipalité, honora la mémoire des camarades tombés pour la défense du pays et rendit hommage aux familles de ces héros.

Le discours de M. Couvillers terminé, les jeunes filles de l’école de Mme Lemaigre chantèrent les vers célèbres de Victor Hugo :

Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie…

A la foule vivement impressionnée par les paroles si belles de notre grand poète, M. Maincourt, maire, parla alors en ces termes :

Discours de M. Maincourt

Après avoir remercié ses administrés de leur empressement à souscrire pour l’érection du monument aux morts ; après avoir rappelé l’appel de la Patrie en danger, l’élan avec lequel ses défenseurs y répondirent, les heures douloureuses que suivit la victoire de la Marne, M. Maincourt ajoute :

« Pendant plus de 4 ans, ce fut une lutte ingrate et meurtrière, où nos chers soldats, par leur courage opiniâtre et leur foi en la victoire, étonnèrent le monde, qui leur avait fait jusqu’alors une réputation de légèreté et d’inconstance. Hélas ! pendant ces autre années de combats sur terre, sur mer, dans les eaux, dans les aires, au milieu des balles, des obus, des gaz, des liquides enflammés, que de vies fauchées en pleine force et en pleine jeunesse ! 1.500.000 morts dorment là-bas des côtes des Flandres aux frontières de Suisse, dans les plaines de l’Yser, d’Artois, de Champagne, dans les Vosges et d’alsace, devant Verdun et sur les rives de la Marne.

Auxi-le-Château a fourni son contingent dans cette sanglante hécatombe. 78 de ses enfants ne sont pas revenus. Où sont-ils ?

Dans quelle sépulture anonyme reposent maintenant ces morts anonymes ? Dans quel champ ? Au bord de quelle route la funèbre tranchée fut-elle ouverte, puis comblée ? Qu’importe ! Ils dorment dans la terre de France ; elle leur sera légère.

Certes, il est dur, il est pénible pour la mère, pour l’épouse, pour la fiancée, de ne pouvoir s’agenouiller sur le tertre sacré où dort le cher héros, de ne pouvoir déposer sur sa tombe la fleur du souvenir. Mais à chaque fête des morts que novembre ramènera, vous aurez la suprême consolation de pouvoir venir au pied de ce monument élevé à la mémoire de ces grands morts par la piété de leurs concitoyens. Vous lirez leurs noms, et s’il est vrai, comme on l’a dit, que l’esprit des morts aimer à planer dans les lieux qui leur furent familiers, peut-être les entendrez-vous dire : « Ne pleurez pas ; notre mère était attaquée, nous l’avons défendue, nous sommes morts pour la France vive. »

Et là-bas dans ces plaines redevenues silencieuses, dans ces plaines où se jouèrent les destinées de l’Europe et peut-être du monde, nos morts nous parlent et nous disent : « N’oubliez jamais ». C’est pour que les  générations futures n’oublient pas, que nous avons élevé ce monument.

Ce qu’elle ne doivent pas oublier, c’est l’héroïsme de ceux dont les noms sont gravés sur cette pierre et dont le sacrifice sauva nos libertés. Ce qu’elles ne doivent pas oublier, c’est que la race germanique est toujours debout. Sa haine pour la France, est plus vivace que jamais, et le Rhin est une bien faible barrière.

N’oublions pas non plus que notre patrie est encore convalescente et que pour que la France guérisse l’union entre tous ses enfants est indispensables.

Conservons donc cette union sacrée qui, pendant la guerre, nous fit invincibles. Travaillons et produisons pour que puissent vivre ceux envers lesquels nous avons contracté une dette sacrée : les mutilés, les vieux parents, les veuves, et les orphelins de guerre.

Je m’incline bien bas devant ce monument élevé à la gloire de nos enfants et respectueusement je salue leurs familles et je leur dis : Soyez fiers, ils ne sont pas morts en vain ; ils ont sauvé la France.

Je termine en adressant tous mes remerciements à notre sympathique sous-préfet de Saint-Pol, M. Henri Marais qui a bien voulu accepter avec autant d’empressement, la présidence de cette cérémonie, à Messieurs les conseillers généraux, aux maires et instituteurs du canton, aux personnes étrangères à la localité qui sont venus se joindre à nous pour glorifier nos morts, à la ville de Frévent qui a bien voulu offrir une gerbe de fleurs.

Merci aux organisateurs et aux personnes de bonne volonté, qui tous ont rivalisé de zèle pour orner la ville de magnifiques arcs de triomphe et de guirlandes, merci pour le défilé si bien réussi ; à M. le doyen qui a bien voulu dire une messe en l’honneur de nos héros.

Aux directeurs et directrices des écoles et leurs élèves, aux choristes, aux parents et aux petites enfants travestis, à la musique municipale, aux sapeurs-pompiers, aux sociétés mutuels, aux vétérans des armées de mer et de terre ; à la société de préparation militaire, aux mutilés, aux anciens combattants, sans oublier les prisonniers de guerre, qui ont subi le joug allemand.

Merci enfin à tous à quelque titre que ce soit d’avoir bien voulu contribuer à l’éclat de cette manifestation.

Je rends hommage aux anciens combattants et aux mutilés et comme m’y conviait tout à l’heure leur représentant mon ami Couvillers, la municipalité conservera pieusement ce monument comme un patrimoine sacré qu’elle a le devoir de transmettre intact à la postérité ».

Un morceau de musique fit suite au discours de M. Maincourt, pendant que les enfants des écoles déposaient des bouquets sur le soc du monument, à côté des magnifiques gerbes apportées par les sociétés auxiloises et par la ville de Frévent.

Puis M. le Docteur Boutin monta à la tribune et, d’une voix claire, prononça au nom des Vétérans des armées de terre et de mer, un fort beau discours.

Discours de M. le docteur Boutin

« Mesdames, Messieurs, Mes Chers Camarades,

Fidèle à la devise inscrite sur son drapeau, la 503ème section des Vétérans des Armées de Terre et de Mer a tenu à honneur de venir saluer de son étendard, en ce jour d’inauguration, les Fils d’Auxi-le-Château tombés au champ d’honneur, présenter aux familles des chers disparus l’expression de ses plus fraternelles et affectueuses sympathies.

Prendre la parole dans cette grande et impressionnante cérémonie est peut-être un peu osé à moi qui, simple sociétaire, ai connu et vu se dérouler les deux guerres les plus meurtrières de l’histoire, sans y avoir pris une part effective.

Mais j’ai répondu à l’appel de notre sympathique président et l’invitation des camarades Vétérans de 70 dont la voix tombe et dont l’ardeur s’éteint sous le poids des ans.

Eh bien ! je suis fier d’avoir mérité la confiance de mes camarades vétérans qui, il y a 50 ans, ont versé leur sang pour défendre nos berceaux et nos foyers.

J’en suis heureux aussi en constatant que l’affront fait à cette époque au blason de notre petite cité est enfin lavé par cette cérémonie.

En effet, en me reportant à cette époque néfaste, à cette désastreuse aventure de 70, je vois par cette brumeuse et froide journée du 1er janvier 1871, l’arrivée des Allemands dans cette ville.

A cette même place où s’érige ce mausolée, se trouvait une véritable montagne de denrées et de munitions de toute espèce. Les denrées étaient destinées à ravitailler les vandales qui envahissaient nos régions. Mais les munitions vous étaient destinées, mes chers camarades vétérans de 70, vous qui veniez de verser votre sang à Pont-Noyelles et qui alliez vous sacrifier quelques jours plus tard dans les plaines de Bapaume.

Ah ! combien d’entre vous sont tombés la rage au cœur et le désespoir dans l’âme en voyant que votre sacrifice était inutile et que la victoire ne couronnerait pas vos efforts. Combien aussi depuis ce temps auraient voulu voir le succès final de la grande guerre et sont partis trop tôt, ravis à notre affection, comme le regretté président-fondateur de cette section, M. Froissart.

A ce sujet, permettez-moi de citer quelques paroles d’adieu que je lui adressai alors. En parlant de notre drapeau, je disais :

Mais quant il passera en des mains plus heureuses,

Notre fier étendard, notre fidèle ami,

Quand il effacera les dates douloureuses,

Votre cœur bondira sous la terre endormi ;

Votre corps tremblera sur sa couche de pierre,

Votre spectre rongé sortira du tombeau

Et vous reconnaîtrez de vos yeux sans lumière

Le sang des vétérans dans les plis du drapeau.

Eh bien ! cette heure a sonné.

Le drapeau tricolore relevé par les mains jeunes et vigoureuses des enfants, est aujourd’hui victorieux et triomphant. Trempé dans le sang des aïeux et des fils, il a lavé l’affront de 70 et effacé la tâche qui ternissait le blason de notre cité.

Si les mânes des ancêtres tombés à Wissembourg, à Forbach, à Freschwiller, à Sedan, à Saint-Privat et à Champigny pouvaient revenir et assister à cette cérémonie, elles vous crieraient à vous, les survivants de la grande guerre : « Merci enfants, vous êtes dignes de vos pères ».

Mais aussi, pour arriver à ce résultat, que d’angoisse, que de sang, que de larmes.

Vous vous rappelez cette après-midi du 2 août où le tocsin donnait le signal de la mobilisation. Avec quel entrain et quelle espérance tous nos soldats partirent ! « Bientôt nous reviendrons disaient-ils, quand l’Allemagne sera vaincue ».

Hélas ! non, la guerre ne fut pas courte, et l’Allemand fut tenace.

Ah ! Il l’avait bien préparée sa guerre, en silence, pendant 44 ans, jusqu’au jour où, certain du succès, il violait notre frontière et celle de la Belgique.

Certes oui, il était certain du succès ; il avait même par avance partagé le pays à sa convenance.

Au cours d’une de ces orgies qui lui étaient familières, le Kronprinz ne s’était-il pas écrié : « Que fera donc la France avec ses quelques milliers de soldats contre nos innombrables légions ? »

Que fera la France, sinistre pantin ? Elle combattra, mais ne se rendra pas. On le lui fit bien voir.

Ce fut dur. Les jours sombres apparurent. Nous vîmes les défilés lamentables d’évacués, les dépôts de nos régiments du Nord en retraite, traverser notre ville et les Boches envahir nos régions encore une fois.

Le vent de Charleroi nous apportait jusqu’ici le gros rire des Teutons qui, gorgés de champagne et hurlant leur joie dans des orgies infâmes, accouraient en chantant vers la capitale. Paris ! Paris, l’atelier des doutes et de l’universelles luxure. Paris, la serre des herbes empoisonnées, le café chantant de l’Europe, la ville des modistes et des caricatures.

Paris, que notre vieux Bon Dieu nous a chargés de purifier.

Un pas de parade et nous serons dans Paris.

A ce torrent d’injures, la France déjà meurtrie et affaissée, frissonna. Elle se dressa elle aussi, leva les yeux et regarda autour d’elle.

Elle vit sa fille aînée, cette même ville de Paris si insultée, mais aussi si convoitée, lui montrant d’un geste implorant ses monuments : le Panthéon avec ses grands hommes, le Sacré Cœur de Montmartre avec les vœux des millions de catholiques français, les Invalides avec le tombeau de son empereur et ses mille trophées de victoire, leurs dômes, étincelants de lumière dans la splendide clarté de la fin d’un mois d’août délicieux et lui lançant cette parole de désespérance : « Seront-ils donc Allemands » !

A l’appel de détresse de la mère Patrie, un million et demi de poilus, sous les ordres d’un chef, nouveau Bayard sans peur et sans reproche, répondirent d’un seul élan : « Salve régina. Morituri te salutant. Longue vie à toi, France notre reine. Tes fils qui vont mourir te saluent ! »

Alors ce qui suivit fut sublime et devra plus tard être écouté à genoux par nos petits enfants. Ce fut la ruée, ce fut l’holocauste et l’hécatombe, ce fut la Marne, nouveaux champs catalauniques où à 15 siècles d’intervalle venait une seconde fois s’écraser le raz d emarée des barbares et d’où devait sortir encore une fois intacte la liberté du monde.

Quatre années ont passé, amenant le flux et le reflux de victoires et de reculs, accumulant les morts et les deuils jusqu’au jour trois fois heureux où pliant enfin sous l’étreinte de plus en plus étroite des alliés, le boche était obligé de regagner ses contrées en désordre.

Messieurs,

Il vient d’y avoir un an, le jour de notre fête nationale, les maréchaux de France faisaient défiler leurs armées victorieuses sous l’Arc de Triomphe depuis si longtemps fermé. Mais en ce jour de fête, les morts avaient eu leur gloire. La veille, le cénotaphe qui leur était dédié avait reçu les honneurs.

Dans la veillée funèbre, tout autour de l’arche de pierre, des statues étaient là qui veillaient majestueusement et grandioses ; c’étaient des dragons, des cuirassiers, des artilleurs, des fantassins bien vivants et pourtant figés dans une immobilité marmoréenne. Ils montaient la garde funèbre, à cheval ou à pied, le sabre au clair ou l’arme au bras. Leurs regards se perdaient très loin dans la nuit. Ils revoyaient sans doute la route parcourue depuis cinq années où tant d’enfants de France étaient tombés ; où sur chaque ronce et chaque pierre ils avaient laissé un lambeau de leur chair et des gouttes de leur sang – Ils revoyaient les plaines lugubres de l’Yser, les champs dévastés de notre Artois, les falaises ravagées de la Meuse, les forêts inviolées de l’Argonne où des milliers de petites croix de bois marquent aujourd’hui la place de nos héros morts.

La rude besogne qu’ils accomplissaient est terminée, la France est délivrée. Ce sont les morts, comme les vivants qui l’ont sauvée. Ce sont les morts qui l’ont grandie et qui l’ont rachetée.

Et si, il y a un an, après le retour triomphal des troupes, tant de femmes en deuil s’en allaient douloureuses et pensives, une femme au moins a pu déchirer le long voile de crêpe qui depuis 48 ans recouvraient les bandeaux de son front et les plis de sa robe. Cette femme, c’était notre mère, c’était la France.

Mais si nos morts nous ont donné la victoire, ils nous donnent aussi une leçon pour l’avenir. Par leur union en mourant, ils viennent nous demander notre union dans la vie. Nous la leur devons.

La France vient-elle d’échapper au plus grand péril qu’elle ait jamais couru pour sombrer dans les horreurs d’une guerre civile ? Non ! si nous savons profiter de la leçon que nous donnent nos morts, et si nous savons être dignes de nos morts.

Le Président Poincaré a eu, à propos de la paix, un mot qui mériterait d’avoir la même fortune que celui de l’Union Sacrée qu’il prononçait au début de la guerre. Il a dit que la paix devrait être, après sa signature, une création continue.

C’est à cette création de l’ordre nouveau que nous devons tous travailler. Nous morts nous y convient.

Et si la discorde menace de nous envahir en soulevant des querelles intestines si préjudiciables aux intérêts de notre pays, jetons les yeux sur ce monument et souvenons-nous de nos morts.

C’est pourquoi avant de descendre de cette tribune, laissez-moi pousser devant vous et avec vous le cri universel des opprimés, des justes et des vaillants, le cri vainqueur qui a scandé les charges et les assauts de nos héros, le cri libérateur de nos frères d’Alsace et de la Lorraine, le cri de ralliement de nos alliés de toutes races et de tous continents, le cri magique, credo d’amour, hosanna de gloire : Vive la France immortelle ! »

Les applaudissements, qu’accueillirent la péroraison du discours de M. Boutin, avaient à peine cessé que les élèves de M. Berthe chantèrent une composition de Maurice Bouchor.

A son tout, M. Harduin, conseiller général, célébra l’héroïsme des poilus, dit toute la reconnaissance que nous devons aux soldats morts pour la France, et demande à tous de veiller sur ceux qu’ils ont laissée, femmes et orphelins désolés et souvent sans ressources. Il appartient, dit-il, non seulement à l’Etat, mais à nous tous de secourir ces derniers car c’est pour nous que ces hommes pleins de vigueur et de courage ont versé leur sang.

Puis une charmante jeune fille de l’école de Mme Lemaigre, Mlle Jeanne Moreau, vint réciter une poésie d’Anatole France, et ce fut à M. Goubet à parler.

Bien que conseiller général de la région sinistrée de Bapaume, M. Goubet, accueilli avec cordialité dans le pays depuis son retour de captivité, ne se considère plus ici comme un étranger et il a eu à cœur de se joindre à ses amis d’Auxi pour célébrer la mémoire des disparus.

Braves Auxilois, dit-il, tombés au champ d’honneur, loin de vos familles, vous êtes pleurés de tous les vôtres.

Certes, votre disparition les a cruellement éprouvés. Je m’incline devant leur sainte douleur. Je la comprends, je la respecte.

Mais l’heure n’est pas seulement aux pleurs, elle est surtout actuellement aux résolutions, pour que le sang généreusement versé ne le soit pas en pure perte. Votre courage, vos souffrances, ô martyrs, nous ont épargné les horreurs de la sujétion et du despotisme. Que la solidarité, l’union étroite que vous avez réalisées durant la guerre se perpétuent pendant la paix pour que les vivants pansent les blessures faites, réparent les dévastations subies.

Oublions nos querelles de clocher issues de la satisfaction bien étroite d’un amour propre mal placé, d’une ambition professionnelle exagérée. N’ayons en vue que la grandeur et la prospérité de notre chère patrie.

Ne nous faisons pas d’illusions. Les évènements nous prouvent qu’une grande partie de l’Europe est encore agitée et que des éléments de perturbation existent partout, dans notre belle France. Restons sourds aux appels des partisans du désordre qui demain iraient tendre aux boches une main fraternelle. Bien plus, groupons-nous pour que leurs efforts soient vains, pour que l’ordre règne malgré eux, pour que le travail et le droit triomphent de leurs manœuvres criminelles.

Ainsi, nous demeurerons dignes de ces noms qui renferment dans leur simplicité tant d’abnégation, d’héroïsme et surtout de devoir. Nous continuerons dans la paix la tâche que ces braves Auxilois ont commencée dans les combats et nous nous acquitterons de la dette de reconnaissance que nous avons contractée envers eux.

M. Théret, conseiller général du canton d’Aubigny, succéda à M. Goubet. Dans un langage élevé, il dit tous les enseignements qu’il faut tirer de la Grande Guerre. La parole éloquente de M. Théret fit courir sur la foule comme une vague d’émotion et, malgré la solennité du moment, de chaleureux applaudissements montrèrent à l’orateur que tous partageaient ses sentiments.

Enfin, après que les élèves de M. Berthe et la musique municipale eurent exécuté ensemble le chant de notre compatriote, M. Paul Bracquart de Frévent : Aux Petits Orphelins de la Guerre, M. le Sous-Préfet pria l’assistance d’élever son âme à la hauteur de la circonstance et de prendre la résolution très ferme d’être digne de nos vaillants soldats, de faire trêve à nos querelles politiques et de continuer l’union sacrée, indispensable pendant ces heures de paix encore troubles.

S’inclinant alors devant les morts glorieux d’Auxi-le-Château, M. Marais adressa aux familles en deuil l’expression de toute sa sympathie et de celle du Gouvernement de la République.

La cérémonie se termina sur ce discours, et les assistants se séparèrent, le cœur ému et en se promettant de mettre fin à leurs querelles intestines pour ne plus songer qu’aux enseignements de la Grande Guerre et aux devoirs que nous avons contractés envers nos héros.

(L’Abeille de la Ternoise, des 8 et 15 août 1920)


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