Avesnes a vécu dimanche de ces heures qui comptent dans l'histoire d'une ville. Avesnes rendait à ses 80 héros de la Grande Guerre un hommage public et grandiose de profonde reconnaissance et d'éclatante admiration.
Quatre-vingts ! Quatre-vingts que l'on était accoutumé de voir, de coudoyer dans la vie journalière. Quatre-vingts hommes et jeunes gens en pleine force, en pleine possession de leurs facultés intellectuelles et physiques et qui ne sont plus ...
Je les connaissais pour la plupart. Avesnois d'origine, - et de coeur - j'avais eu les uns comme camarades d'enfance, comme compagnons de jeu ; ensemble nous avions fréquenté l'école, ensemble nous avions grandi ; plus tard, pour certains d'entre eux, ensemble nous avions souffert et combattu. J'avais vu croître les autres, fils de mes aînés ... Et, lorsqu'à 9 heures du matin, j'atteignis, avec les Troupe des Boy-Scouts Saint-Polois, les verdoyantes approches de la bourgade, j'éprouvai, en passant au pied du vieux clocher qui nous avait vu naître, et dont les solides assises semblent braver les siècles, une profonde émotion et un grand serrement de coeur.
Les Préparatifs
Nous débouchons par le tournant brusque de la route de Saint-Pol, dans la grande rue déjà toute fleurie, toute enguirlandée. Affairés, les Avesnois mettent la dernière main à la décoration de leurs habitations. Le docteur Camus, adjoint au maire, un des organisateurs de la fête, est là en cotte bleu, un marteau à la main ; Mme Camus ajuste les dernières guirlandes de lierre ; le statuaire Gauquier lui-même, le Maître valenciennois, à qui la municipalité a confié l'exécution du monument que l'on inaugurera tout à l'heure, se mêle aux gens du quartier qui prennent avis de son sens artistique pour la décoration de l'arc de triomphe élevé à l'entrée de la ville. partout on rivalise de bon goût et d'entrain, et s'est sous une voûte de verdure et de guirlandes multicolores, coupée d'arcs de triomphe très heureusement conçus, que le camion automobile dans lequel nous avons pris place, gagne la place du Château d'eau, où les Boy-Scouts montent leurs tentes.
A l'Eglise
10 heures. La grosse cloche sonne à toutes volées, appelant au lieu saint la foule des fidèles. mas, dès avant l'heure, l'église est pleine ; c'est en vain que l'on se presse, que l'on se tasse : de nombreuses personnes restent sur le parvis.
Dans le choeur, ont pris place M. charlemagne Brocq, le sympathique maire d'Avesnes et le conseil municipal, M. H. Gauquier, statuaire, les fonctionnaires, les cheds des sociétés locales et votre serviteur. De chaque côté du catafalque, drapé des trois couleurs, autour duquel les boy-scouts forment une garde d'honneur, on remarque les familles de nos grands morts, les anciens combattants, les "confrères" des deux compagnies d'archers, les enfants des écoles.
La messe est chantée de façon artistique par un choeur mixte composé d'amateurs de la ville. après l'évangile, M. le Doyen monte en chaire. il fait l'appel des soldats d'Avesnes tombés au services de la France. La foule s'est levée et écoute, profondément impressionnée, cette longue et glorieuse énumération. Puis le prêtre parle des morts ; en termes élevés il dit tout le mérite de ces enfants du pays tombés en vaillants pour le salut de la PAtrie ; il trace les grandes leçons qui se dégagent du suprême sacrifice de ceux que l'on glorifie aujourd'hui et termine par un appel vibrant à la concorde, à l'union des vivants, en souvenir de nos morts qui ont scellé leur fraternité dans le sang des champs de bataille.
La quête est faite par Mme Pierre Mathieu accompagnée de M. Thellier, notaire, et par Mme Tinard, accompagnée de M. Jean Wallon. Puis M. le Doyen donne l'absoute.
La bénédiction du Monument
La messe terminée, la foule se rend en cortège au monument érigé près de l'Hôtel de Ville, sur l'emplacement de l'ancien abreuvoir. Après avoir apporté un nouveau tribut à la glorification des chers disparus, nobles champions d'une France pacifique contre les hordes d'une Allemagne belliqueuse, ambitieuse et barbare, victimes aimées au souvenir desquelles nous nous sentirons plus forts pour demeurer fidèles à notre devoir de bons Français, M. le Doyen, d'un geste large, bénit le monument.
L'assistance s'attarde un instant dans la contemplation du marbre, sur lequel sont gravés les noms des 80 morts et que le sculpteur Gauquier a animé de son ciseau. le grandiose sacrifice de ces enfants d'Avesnes qui sont morts pour que la France vive, le Maître l'a symbolisé en un Poilu qui s'élance hors de la tranchée à l'annonce de la défaite allemande et, foulant au pied un casque boche, lance vers le ciel le cri de victoire. Heureuse conception, excellente exécution digne d'un tel artiste et de tels héros.
Au Cimetière
un appel, soudain, retentit. Les Anciens Combattants se rassemblent, puis, escortés des boy-scouts, et suivis de la population se rendent au cimetière. autour de la croix, qui s'élève au centre de la nécropole, un cercle compact se forme. et dans le silence de la multitude, une voix s’élève.
C'est celle de Jean Wallon, vice-président de l'association des Anciens Combattants et mobilisés d'Avesnes-le-Comte.
Il s'adresse aux "Camarades, morts pour la France" à qui l'association a le devoir de venir apporter, avec des fleurs, l'hommage de son affection. Ce même hommage, il l'envoie par la pensée aux frères d'armes qui dorment dispersés sur la terre de France. Il rappelle leur départ enthousiaste, pour la défense du pays et la sauvegarde de leur famille, qu'ils espéraient revoir un jour. Et puis ils sont tombés, les uns sans pouvoir se dire que leur sacrifice n'était pas inutile ; les autres, après avoir pu se réjouir du succès de nos armes. Tous, ils se sont sacrifiés pour l'idéal de paix et de labeur que partagent les bons Français. Les Anciens Combattants ne les oublieront pas et de même qu'ils prennent l'engagement de venir chaque année s'incliner sur la tombe de ces héros et rappeler leur courageuse conduite, de même ils entoureront de leur sympathie et de leur aide morale et matérielle ceux que les grands morts ont laissés derrière eux.
Un enfant, Henri Sébert, d'une voix posée, claire, nuancée d'énergie déjà, dit une poésie, A nos Morts.
Puis les anciens combattants, un instant, se dispersent parmi les tombes et vont déposer des gerbes de fleurs sur les terres où reposent vingt enfants d'Avesnes réinhumés dans la terre natale. Ce pieux hommage rendu, on se rend dans le cimetière voisin où s'alignent les tombes des soldats britanniques. M. le Docteur Camus adresse aux morts alliés le salut des anciens combattants d'Avesnes, dont il est le vice-président. Il s'exprime en ces termes :
"Camarades Anglais,
A l'heure où nous allons
inaugurer le monument aux enfants d'Avesnes-le-Comte morts pour la France, nous
avons tenu à vous associer au témoignage d'affectueuse sympathie que nous leur
rendons. Vous avez mêlé votre sang au leur pour la défense du droit, de la
justice et de la liberté, mais comme eux, vous n'aurez pas la satisfaction de
reposer dans la terre natale.
Mais, de temps à autre, la
brise, qui soufflera du large, vous apportera l'écho des prières de ceux qui ne
pourront s'agenouiller sur vos tombes.
De notre côté, nous viendrons vous apporter avec des gerbes de fleurs nos sentiments de sympathie que nous partagez avec vos frères français, dormant à vos côtés, unis avec vous dans la morts comme ils l'ont été dans la vie glorieuse des combats."
Peu à peu, la foule se disperse et les rues de la ville rentrent dans le calme. Elles reprennent bientôt une animation extraordinaire. Les sociétés étrangères commencent à arriver et la multitude les suit au Marché aux bestiaux, lieu du rassemblement.
A quatre heures, arrivent M. Henri Marais, sous-préfet, M. Amédée Petit, vice-président du conseil général, M. Bouillet, conseiller d'arrondissement, M. Charlemagne Brocq, maire, entouré du conseil municipal les reçoit et leur adresse quelques paroles de bienvenue. Puis dans le carré formé par les Sociétés, M. le Sous-Préfet s'avance et remet à M. Léonce Sébert, président des Anciens Combattants, le drapeau qua la population avesnoise offre à l'Association. L'Harmonie La Cécilienne, joue La Marseillaise.
M. le docteur Camus remercie M. Henri Marais. Il dit en substance :
"Monsieur le Sous-Préfet,
L'Association des Anciens Combattants reçoit le drapeau que vous venez de lui confier, avec la ferme intention de le garder jalousement. Elle le défendra avec énergie et sous ses plis notre union se fera féconde et durable. Nous vous assurons en même temps de notre attachement à la République et à la France que nous voulons toujours plus grande et plus belle".
Après quoi, M. le Sous-Préfet remet, aux applaudissements de l'assistance, la médaille de vermeil de la Famille Française à Mme Thilliez, née Angéline Blondel.
Le cortège s'ébranle alors. En tête, marchent les Boy-Scouts de SAint-Pol, suivis de la Cécilienne qui joue allégrement ses meilleurs pas redoublés ; puis viennent les écoles publiques et libre de la ville ; les anciens combattants d'Avesnes, de Beaumetz-les-Loges ; les deux confréries d'Archers ; les sociétés de tir de Barly, Noyelle-Vion, Habarcq, Izel, Manin, Lattre-Saint-Quentin, et Tilloy-les-Hermaville. Les compagnies de Sapeurs-Pompiers d'Avesnes, Saulty-Larbret, Bavincourt, précèdent les autorités.
Le cortège, escorté de la population à laquelle se sont jointes de nombreuses personnes venues des villages voisins, se rend, par la grande rue magnifiquement décorée, sur la place de la mairie, noire de monde. Dans l'enceinte réservée, prennent place les autorités, les familles des morts, les enfants des écoles, les anciens combattants.
Les drapeaux des sociétés alternant avec les Boy-Scouts font cercle autour du monument, au pied duquel le colonel Thomas, représentant l'armée britannique, dépose une gerbe de fleurs.
Les accents vibrants de la Marseillaise s'élèvent de l'estrade où l'harmonie s'est groupée, puis M. Léonce Sébert, président des anciens combattants, fait l'appel des morts. Chaque nom est suivi de la glorieuse réponse "Mort au champ d'honneur" ; en même temps, la famille du héros tend une gerbe de fleurs.
Et les fleurs s'accumulent sur le tertre de gazon, qui peu à peu disparaît sous les pivoines et les roses. L'appel terminé, M. Charlemagne Brocq, maire, prend la parole :
Discours de M. Brocq, Maire
Il présente les excuses du commandant Hassler, du capitaine Ledru, enfants d'Avesnes, ainsi que celles de MM Pigelet, ingénieur des ponts et chaussées et Dagobert, inspecteur primaire, retenus par les nécessités du service.
Il donne lecture de la lettre d'excuses qu'il a reçue du commandant Hassler, secrétaire général en Cilicie, où le retiennent les révoltes, maintenant apaisées, que les Allemands avaient fomentées contre nous.
Cette lettre, toute vibrante de sentiments patriotiques et d'attachement au pays natal, mériterait d'être reproduite ici, mais la place manque malheureusement.
Après quoi, M. Brocq remercie au nom de la municipalité, de la population et des anciens combattants, M. Henri Marais, sous-préfet, le représentant du Gouvernement, aussi distingué qu'apprécié, MM Amédée Petit et Bouillet, les dévoués mandataires du canton.
Il adresse ses remerciements à M. le Doyen, qui, à plusieurs reprises, a fait si généreusement pour les Morts ; aux sociétés locales, aux sociétés voisines qui se sont jointes à elles pour donner au témoignage de reconnaissance qu'Avesnes offre à ses héros disparus tout l'éclat possible ; il témoigne sa gratitude à tous ceux et celles qui ont apporté leur concours au succès de cette manifestation du souvenir. Il s'adresse en particulier à M. le Docteur Camus, qui a été l'âme de la cérémonie, et joint ses félicitations à ses remerciements envers le statuaire éminent, auquel les héros doivent aujourd'hui un monument digne d'eux.
"Honneur à tous ces
vaillants que nous célébrons, s'écrie-t-il, et parmi eux à ces officiers de
l'armée active, MM Bon et Martigny, devant qui s'ouvrait le plus brillant
avenir, à MM Averlan, Biguet et Deneuville, devenus officiers par leur bravoure
; honneur aux sous-officiers, caporaux et soldats qui tous ont fait vaillamment
leur devoir. Honneur aux plus obscurs d'entre eux, aux disparus dont les restes
glorieux n'ont pas encore été retrouvés.
Nous avons voulu que cette
oeuvre magnifique, élevée grâce aux généreuses offrandes de tous, même des plus
pauvres, que ce granit qui porte les noms glorieux de vos fils, de vos époux, de
vos pères, de vos fiancés se dresse au coeur même de la cité.
Ces noms, continue-t-il,
entretendront dans nos coeurs le souvenir, car si quelques uns d'entre eux
reposent déjà dans notre cimetière, si d'autres y reviendront, les restes
glorieux d'un grand nombre demeureront loin du toit familial, perdus dans un
ravin ou dans une obscure tranchée ou dans une de ces vastes nécropoles dont
les milliers de petites croix blanches jalonnent la voie sacrée de l'ancien
front. Peu importe où reposent vos ossements, mes amis, vos exemples nous
restent et nous y serons fidèles.
Dans les souffrances et les dangers vous étiez étroitement unis, vous ne connaissiez pas les mesquines discussions ni les rivalités personnelles ; comme vous nous resteront unis pour défendre nos droits immuables et nos intérêts communs".
M. Brocq exhorte les enfants à pratiquer le culte de ces 80 habitants d'Avesnes tombés sur tous les fronts ; il salue la mémoire des soldats britanniques qui ont arrosé de leur sang notre pays d'Artois et reposent au cimetière d'Avesnes. Puis il confie à la population et en particulier aux anciens combattants, qui ont fait vaillamment leur devoir, ce monument, éternel souvenir de l'héroïsme de nos concitoyens.
Le discours de M. Brocq, terminé, la Cécilienne, qui prête à la cérémonie un concours précieux, joue La demeure des braves. Mlle Georgette Darras et Mlle Antoine Bossu déclament deux poésies de circonstance, Souvenez-vous et Nous nous souvenons.
Après quoi, M. Léonce Sébert, au nom des anciens combattants, dit l'immensité de la dette que le pays a contractée à l'égard des chers disparus.
Discours de M. Léonce Sébert, président des anciens combattants :
Il rappelle quel désir de paix animait la France en 1914. Mais, à côté de nous, un peuple, celui-là même qui, 43 ans auparavant, avait mutilé la France abattue, se jetait sur nous, ivre d'orgueil et de conquête. Pour satisfaire ses coupables desseins, le sinistre chef de cette nation de proie a fait délibérément, après mûres réflexions, le geste qui devait mettre l'Europe à feu et à sang. Que personne n'oublie l'horreur d'un tel massacre et que jamais pareil crime ne soit pardonné.
"Nous savions que nous
allions à une lutte sans merci, et pourtant nous partîmes à l'appel du pays,
avec un courage serein, tant il est vrai que la France, l'histoire le démontre,
ne fait jamais en vain appel à ses enfants.
La guerre fut longue et rude ;
enfin l'ennemi, le 11 novembre 1918 se déclarait vaincu. Que n'avons, - nous
refrénant notre générosité naturelle, arraché à l'adversaire ses griffes et ses
crocq pour toujours. Puissions-nous n'avoir jamais à regretter notre trop
grande confiance...
Hélas, beaucoup d'entre nous payèrent la victoire de leur vie ; d'autres plus nombreux encore sortirent de la lutte amputés, meurtris, amoindris physiquement et intellectuellement. Ne nous plaignons pas, nous, mutilés ; nous avons rempli notre devoir et la France fait le sien vis-à-vis de nous. Mais plaignons ceux qui ne sont plus, leurs veuves éplorées, leurs enfants sans soutien. A ceux-ci, nous combattants de la Grande Guerre, nous promettons aide et assistance."
Un morceau de musique Avant la Bataille, par l'Harmonie, puis le colonel Thomas, représentant l'armée britannique, prononce un discours dont le lieutenant interprète Deulin dont la traduction suivante :
Discours de M. le Colonel Thomas, de l'armée britannique
"Mesdames, Messieurs,
Au nom de l'armée britannique,
je désire vous exprimer le plaisir que j'éprouve d'avoir été désigné pour
assister, au milieu de vous, à l'inauguration de votre monument aux glorieux
morts d'Avesnes-le-Comte.
Je rends hommage avec vous, à
ceux qui ont combattu si bravement, côte à côte avec nos armées, durant ces
terribles et angoissantes années de 1914 à 1918, pendant lesquelles nous
luttâmes en alliés pour la grande cause commune.
L'invitation par laquelle, Monsieur le Maire, vous témoigniez le désir que mon pays soit représenté à cette cérémonie, exprime et grandit l'unité de sentiments de l'Entente Cordiale qui, par des faits tels que celui-ci, unit chaque jour davantage nos deux grandes nations.
Les terribles sacrifices de
cette ville se manifestent à nous, en ce jour, par l'inauguration de ce
monument, qui est le stigmate de votre reconnaissance envers ceux qui ont fait
le suprême sacrifice et qui sera un éternel enseignement et une vivante
inspiration de patriotisme pour vos générations futures.
Mais n'oublions pas la
terrible responsabilité qui échoit aux survivants de se montrer dignes du sang
versé par des millions de concitoyens en contribuant à établir à jamais une ère
de Paix et de Justice.
Je veux aussi, au nom de l'armée britannique, exprimer ma plus sincère sympathie, à ceux d'entre vous qui ont perdu les "leurs" dans la grande lutte pour l'humanité."
Au nom des archers avesnois, M. Joseph Vahé vient à son tour célébrer la mémoire des victimes de la guerre.
Ensuite, les enfants de l'école communale des garçons sous la direction de leur dévoué maître, M. Lièval, interprètent avec âme et un bel ensemble, Aux Morts pour la Patrie, et Le Choeur des Soldats, de Faust.
Après eux, M. Bouillet s'avance.
Discours de M. Bouillet, conseiller d'arrondissement
"Afin de perpétuer
l'héroïsme de ses enfants, Avesnes, dit-il, a eu à coeur d'avoir son livre
d'or, et, à d'faut d'un Panthéon pour l'abriter, de le tenir bien en vue,
constamment ouvert. C'est ainsi que s'éleva ce monument commémoratif qui sera
l'objet de votre culte et dans lequel un sculpteur de talent a reproduit les
traits de celui que la guerre a immortalisé.
Permettez-moi de formuler ici un voeu, celui de demander aux maîtres d'école de vouloir bien, de temps en temps, rappeler à leurs élèves avec les noms de nos martyrs, les actes glorieux qu'ils ont accomplis. Ces noms seront comme les jalons de la route à suivre si la France devait encore, un jour, faire appel au patriotisme de ses enfants".
M. Bouillet dépeint le long martyre enduré par les
familles des poilus, dont elles n'ignoraient point les fatigues et les dangers
incessants. "Comme elles étaient à plaindre ! et n'est-il pas juste de
les faire entrer aujourd'hui dans la gloire avec ceux qui les y ont précédés ?
Et que dire de ces derniers,
objet de tant d'alarmes ? A grands traits, l'honorable conseiller
d'arrondissement fait un tableau poignant et saisissant de la vie du poilu, de
sa force d'âme en face des épreuves, et qu'il s'efforçait de communiquer dans
ses lettres trompeuses à ceux qui tremblaient pour lui ; il le montre mourant,
reportant son ultime pensée vers ses parents, son foyer, sa fiancée, vers
toutes ces choses auxquelles il était attaché, sa maison, ses champs, son
clocher, dont le souvenir final s'embrumait lorsque survenait le dernier
soubresaut marquant l'arrêt de la vie. Oh ! n'est-ce pas mourir deux fois que
de mourir ainsi loin des siens, sans qu'une main amie vienne vous fermer les
yeux ?
Souvenons-nous de cet esprit de sacrifice qu'ils ont poussé jusqu'à la mort et montrons-nous des hommes de bonne volonté, dans l'union féconde qui permettra à la France de se relever. Nos martyrs ont vaincu par les armes, achevons leur oeuvre par la raison".
On applaudit et de nouveau la Musique se fait entendre. Ensuite le jeune Georges Alexandre débite une poésie A ns héros Avesnois, dont l'auteur, M. Liéval, directeur d'école, me permettra de dévoiler l'anonymat derrière lequel se cache sa modeste personne.
Discours de M. Amédée Petit, conseiller général
"L'immense concours de population au milieu duquel se déroule cette cérémonie, dit-il, montre combien les coeurs battent ici à l'unisson quand il s'agit de patriotisme et de glorification des morts. Les soldats de la Grande Guerre ne peuvent être trop magnifiés. Jamais la France n'a couru d'aussi grands dangers, mais jamais non plus elle n'a plus brillé dans le monde".
M. Petit fait un rapide historique de la guerre. Puis il s'écrie :
"Voilà ce qu'ont fait les
soldats de 1914, oeuvre sublime et grandiose entre toutes. Voilà pourquoi
1.500.000 soldats de France, dont ceux que nous honorons aujourd'hui, se sont
endormis de leur dernier sommeil. Ne l'oublions pas.
Malheureusement, la victoire
n'a pas été aussi féconde que nous l'espérions. Nos allies, pour des motifs
encore mal connus, mais que l'on devine, nous ont refusé les suretés
matérielles que notre gouvernement réclamait et leur ont substitué des
garanties morales, illusoires !
Pendant quatre ans, la France
a vécu sous la botte allemande, pendant quatre ans, elle a été mise à feu et à
sang ; ses plus riches régions ont été saccagées. La justice semblait indiquer
une réparation intégrale. Mais il y a un mois, il nous était dû 200 milliards
et nous n'avions pas reçu un centime ; aujourd'hui nous avons la certitude que
nous ne toucherons pas la moitié de ce qui nous est dû.
Si la France veut se relever
c'est sur elle seul qu'elle doit compter. La besogne sera dure. Qu'importe ;
nous n'avons pas le droit d'hésiter. Que diraient nos morts ?
Il faut que la France
redevienne aussi éblouissante que jadis et qu'elle reprenne sa place de
première nation du monde. Pour lui rendre ce rang, nous n'avons qu'à nous
inspirer de l'exemple de nos soldats. Pour cela, restons unis, loyalement ; ce
sera l'union véritablement féconde de toutes les activités, de toutes les
intelligences, de tous les coeurs.
Ecartons de nous les théories
que des esprits criminels ne craignent pas de prôner, n'écoutons pas ces discours
enflammés qui, sous prétexte de rénover le monde, ne tendent qu'à le
bouleverser pour toujours.
Comme les héros que nous glorifions aujourd'hui, élevons nos coeurs ! Debout les enfants de France, pour la France !"
De chaleureux applaudissements couvrent ces dernières paroles. Puis sous l'experte baguette de M. Zéphyr Bajus, qui a repris tout dernièrement, avec le talent qu'on lui connaît, la direction de La Cécillient, un choeur se fait entendre. Un orchestre, formé d'éléments de l'Harmonie l'accompagne. Et l'on assiste à une exécution vraiment artistique de l'Hymne aux Morts pour la Patrie de Victor Hugo, mis en musique par Vernazobres.
M. Henri Marais, sous-préfet, clôt la série des discours.
Discours de M. Henri Marais, sous-préfet
Il remercie le Maire et les membres du conseil municipal de l'avoir convié à présider cette belle cérémonie patriotique ; il les loue et la population avec eux de leur patriotisme éclairé.
Sans vouloir répéter ce qui a été dit, il indique les enseignements qui se dégagent d'une telle manifestation.
Ces cérémonies nous permettent de nous recueillir et de considérer les évènements encore terribles que nous vivons avec le sang-froid et la sérénité nécessaires.
Oui, à l'heure où la France est victorieuse, on semble encore lui discuter des droits qui sont les siens. Il est nécessaire que dans le monde, les peuples sachent que nous avons des droits à réclamer ce qui nous est dû. C'est une raison pour nous de pratiquer l'union. Le Gouvernement a plus que jamais besoin d'avoir derrière lui tout le pays.
S'adressant ensuite à la jeunesse : il faut leur dit-il, que vous vous prépariez à être de bons citoyens, que vous respectiez ces mutilés, ces anciens combattants qui se sont sacrifiés pour vous. Apprenez dès maintenant la solidarité ; aimez-vous les uns les autres, soyez bons et généreux. Ainsi vous préparerez une France plus belle et plus forte.
Aux anciens combattants, M. le Sous-Préfet adresse un vibrant appel à l'union. La France a besoin de leur concours. Il les remercie de l'honneur qu'ils lui ont fait en lui demandant de leur remettre leur drapeau.
Aux veuves et aux orphelins, il rappelle que ce ne sont pas des aumônes qu'ils ont à solliciter du Gouvernement, mais bien des droits à réaliser. Ils peuvent compter sur son dévouement le plus absolu.
Il termine par une nouvelle invitation à la concorde grâce à laquelle la France glorieuse, redevenue prospère, restera à la tête des nations.
Des applaudissements éclatent, couverts aussitôt par les accents de La Marseillaise.
C'en est fini. Les autorités et les sociétés se rendent à la mairie où la municipalité offre les vins d'honneur. Peu à peu, lentement, comme à regret, la foule se disperse, commentant les divers évènements de cette inoubliable journée qui marquera dans les annales de la petite ville, comme une des plus belles de son histoire.
J.D
(L'Abeille de la Ternoise, du 7 août 1921)