BOURET-SUR-CANCHE

Le monument aux morts de BOURET-SUR-CANCHE

Inauguration du monument aux morts de Bouret-sur-Canche


Le dimanche 6 novembre, la commune de Bouret-sur-Canche, voisine de Frévent, a inauguré le monument élevé à la mémoire de ceux de ses enfants qui sont morts pour défendre la Patrie.

Toute la population de Bouret-sur-Canche et nombre d’habitants venus des communes voisines avaient tenu à suivre cette émouvante cérémonie.

M. Carbonnier, le dévoué instituteur, et les commissaires de la fête avaient mis tous leurs soins à organiser un cortège historique, dont la composition, bien comprise, fit l’admiration de tous. Qu’ils en soient remerciés.

Plusieurs discours ont été prononcés au pied du monument. Tour à tour, prirent la parole, MM Tempez, maire de Bouret ; Harduin, conseiller général du canton d’Auxi-le-Château ; Henri Marais, sous-préfet de Saint-Pol, sous la présidence duquel se déroula la cérémonie.

Puis, des chants patriotiques furent exécutés, à la satisfaction générale. Enfin, M. l’adjoint au Maire adressa les remerciements aux autorités présentes, aux diverses sociétés ayant participé à la cérémonie, ainsi qu’à la nombreuse assistance.

La remise d’un drapeau, par M. le Sous-Préfet, à la Section des Anciens Combattants de la commune suivit la cérémonie de l’inauguration, que termina un vin d’honneur servi à la Mairie.

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Nous nous excusons auprès de nos lecteurs de ne donner qu’aujourd’hui le compte-rendu de cette cérémonie.

La matinée de ce beau jour fut marquée par de violentes bourrasques qui faisaient claquer les drapeaux au point de les déchirer, enlevaient les longues files de guirlandes et menaçaient de renverser les arcs de triomphe, élevés la veille. Mais peu à peu, la tourmente se calma et chacun se plut à espérer que la cérémonie se déroulerait à la satisfaction des habitants.

A 11 heures, eut lieu la messe de Requiem célébrée par M. le Curé de Rebreuve. L’église, décorée avec goût, était trop petite pour contenir tous les assistants. Dans un sermon vibrant et d’une haute portée morale, M. le Curé impressionna profondément l’assistance en exaltant le patriotisme et le courage des héros et en montrant l’étendue de leur sacrifice.

Pendant l’office, M. le Curé bénit le drapeau des anciens combattants, et à l’issue de la messe, eut lieu la bénédiction du monument.

L’après-midi, à l’école, vers 15 heures, se forma le cortège, qui, au signal donné par les commissaires, s’ébranla aux airs entraînant de la Musique de Rollepot.

En tête, marchent l’Union des anciens combattants de Bouret, avec ses mutilés et les vétérans de 1870 et l4Union des Anciens Combattants de Bonnières conduite par son président, M. Harduin fils. Viennent ensuite : Jeanne d’Arc guerrière, dont l’armure relui aux pâles rayons du soleil d’automne ; Jeanne d’Arc prisonnière entre deux bourreaux, la France en deuil, avec les orphelins, les orphelines, les veuves et les parents des héros ; la France victorieuse, accompagnée de petites Alsaciennes et Lorraines ; l’armée de l’avenir, représentée par de jeunes écoliers costumés en zouaves et par de jeunes infirmières, et la France au travail avec les élèves de l’école portant une écharpe tricolore.

Le cortège passe sous d’imposantes fausses portes entre les haies ornées de guirlandes et de drapeaux et arrive au pied du monument.

La musique attaque La Marseillaise. Les fronts se découvrent. M. Tempez, maire, procède à l’appel des Morts. M. Delattre, un ancien combattant, répond d’une voix nette et forte après chaque nom : « Mort pour la France ».

Les autorités prennent ensuite place sur l’estrade dressée par M. Adolphe Théry, conseiller municipal, puis la série des discours commence. MM Tempez, maire, Desacy, président de l’Union des Anciens Combattants, Harduin, conseiller général, H. Marais, sous-préfet, et Henri Decroix, adjoint au maire, prennent successivement la parole.

Discours de M. Tempez, maire

Ce monument, au pied duquel nous sommes groupés et qu’en ce jour, mémorable entre tous, nous inaugurons pour commémorer la mémoire des enfants de Bouret morts pour la France, nous rappelle des souvenirs bien douloureux, surtout pour certaines familles cruellement éprouvées.

Pères, mères, qui avez tant pleuré vos chers enfants ; épouses éplorées, enfants éperdus, consolez-vous ; ceux que vous avez perdus vous ont légué le plus noble héritage qu’il est possible d’envier et qui seul peut adoucir vos peines.

Braves soldats, qui avez donné votre vie pour sauver la Patrie, pour sauver l’humanité, vous n’avez pas eu la douce joie de voir briller l’aurore victorieuse. L’écho de votre héroïsme a retenti jusqu’au delà des mers, dans les coins les plus obscurs de l’univers. S’il vous était permis d’interrompre pour un instant votre sommeil éternel vous vous rendriez compte de la grandeur de vos actes ; la joie rayonnerait sur tous les visages. Mais puisqu’il n’en est pas ainsi, je m’adresse à ce monument, - image pour ainsi dire vivante qui vous remplace sur cette terre qui vous a vus naître – et vous dis ces quelques mots qui seront mes derniers adieux :

Martyrs du plus noble devoir, le poète a chanté votre gloire. Vos actes, du plus pur héroïsme, vous ont engagés dans le sentier qui conduit droit à l’immortalité. Votre gloire est éternelle !

Discours de M. Louis Desacy

Pourquoi ces drapeaux et pourquoi ces fausses-portes, aujourd’hui, dans notre petit village de Bouret ?

Dans l’élan du souvenir, toute la population s’est surpassée pour saluer la mémoire de nos frères d’armes, dont les noms sont gravés sur ce monument. Mais est-ce qu’ils ne se surpassèrent pas, eux aussi, ces héros que nous glorifions aujourd’hui, et qui, le 2 août 1914, à l’appel de la Patrie en danger, abandonnèrent ce qu’ils avaient de plus cher pour voler à la frontière barrer la route à l’envahisseur ?

Certes, pour nous, leur souvenir est impérissable, mais il faut que nos enfants se les remémorent encore et se disent en passant devant ce monument : « Ceux dont les noms sont inscrits là ont fait leur devoir ! »

Qu’ils se rappellent que, durant plus de quatre longues années, de la mer du Nord aux frontières de la Suisse, ce fut une lutte implacable contre l’Allemand, cet ennemi héréditaire, qui se préparait à la guerre depuis plus de 40 ans. Aux hordes du Kaiser enivrés par de premiers succès, on avait promis Paris, et notre beau département du Pas-de-Calais, avec d’autres, devait agrandir l’Empire allemand.

Pour empêcher la réalisation de ce rêve abominable, 1.500.000 Français sont morts après avoir enduré des souffrances sans nom. Dans cette formidable hécatombe, hélas, Bouret paya son tribut ! Sept de nos compagnons, sept bons camarades de notre petit village, partis comme nous, pleins de courage, ne sont pas revenus. Tous surent mourir glorieusement. Tous furent des Héros ! Gloire à eux !

Après avoir rappelé les péripéties de la lutte gigantesque, M. Desacy continue :

Enfin, l’aube du 11 novembre 1918 se leva. Sortis de la fournaise, nous avons eu la suprême joie de voir le Boche chassé hors de France, mais Eux sont morts seulement avec la satisfaction du devoir accompli et avec l’espoir de l’heureux résultat final.

Que ce monument reste un symbole. Qu’aux heures difficiles, les générations futures viennent ici puiser le courage nécessaire pour les affronter. Qu’elles se disent que le cœur de nos camarades tombés au Cham d’Honneur fut toujours aussi solide que le marbre sur lequel leurs noms sont gravés. Elles apprendront que le mot Espérance n’est pas vain ; - qu’après Charleroi, ce fut la Marne et qu’à la ruée dernière du Boche du 14 juillet 1918 il fut répondu par la Victoire.

Elles verront ainsi que l’amour de la Patrie, idéal de nos frères d’armes, est un guide sûr et infaillible, comme en font foi tant de siècles de notre Histoire.

Nos camarades, tombés pour la plus sacrée des causes, n’auront pas en vain arrosé de leur sang le sol de la Patrie. Nous gardons en héritage, comme un dépôt sacré, le sublime de leur sacrifice suprême, et avec les pères voûtés, les mères vieillies, les veuves éplorées et les enfants de ces Héros que nous jurons de ne jamais oublier, nous paraphrasons le vers du poète et nous répétons avec lui : Mourir pour la Patrie, c’est le sort le plus beau !!!

Discours de M. Harduin, conseiller général

M. Harduin est venu rendre un suprême hommage aux enfants de Bouret morts pour la France. Parlant ensuite de l’Allemagne, il nous dépeint le Boche tel qu’il est ; il nous le montre brutal et préparant son agression pendant plus de quarante ans. Le Boche ne s’avoue pas vaincu et prépare sans nul doute la revanche, car les Commissions interalliées trouvent dissimulés un peu partout des nids de mitrailleuses et des moteurs d’avions. Aussi, est-il de notre devoir de nous tenir toujours en éveil et de rester forts en continuant de pratiquer l’union sacrée.

La guerre nous a légué aussi le devoir d’être le soutien des veuves, des orphelins et des vieux parents qui ont perdu leur soutien. Aimons-les comme les membres de notre famille. Découvrons-nous sur leur passage car ils ont droit à tout notre respect.

Discours de M. le Sous-Préfet

Dans un langage simple pour être compris de tous, comme s’il faisait une leçon de choses, il parle de la guerre. Aussitôt que la France fut attaquée, dit-il, les nations se rangèrent à ses côtés pour combattre ses agresseurs. On gagna la guerre et on imposa à l’Allemagne le traité de Versailles. Mais pour l’application des clauses de ce traité, nos alliés ne nous soutiennent plus avec le même empressement. Des difficultés surgissent souvent ; appliquons-nous à les résoudre. Pour y arriver, pratiquons l’union sacrée qui nous maintiendra forts et continuera d’imposer à tous le respect de notre pays.

Entre les discours, la Musique exécute ses meilleurs morceaux. Des jeunes filles et les élèves de l’école entonnent des chants et déclament des poésies en l’honneur des héros.

A la fin de la cérémonie, M. le Sous-Préfet remet, au nom du Gouvernement de la République, la Médaille d’Or des familles nombreuses à Madame Veuve Zélie Desmetz et lui donne l’accolade aux applaudissements de la foule.

Remerciements de M. Henri Decroix, adjoint au Maire

Puis, M. Henri Decroix, au nom du conseil municipal, remercie M. le Sous-Préfet qui, malgré les difficultés, est venu glorifier les héros de Bouret, et récompenser en même temps la vaillante mère de famille, Mme veuve Zélie Desmetz ; M. Harduin, notre infatigable et dévoué conseiller général, qu’on trouve toujours prêt à rendre service en toute circonstance, ainsi que M. Théret, conseiller général d’Aubigny, qui n’a pas hésité, malgré la distance, à venir rendre hommage à nos héros. Merci encore à M. le Curé de Rebreuve ; à la musique, à son dévoué président, M. Lamy, et à son excellent chef, M. Copin ; à l’Union des combattants, et en particulier à son président, l’adjudant Desacy, qui a fait toute la guerre et qui, rentré dans ses foyers, a pensé aussitôt à ses frères d’armes restés là-bas. C’est lui qui, avec l’aide de son beau-frère, M. Louis Allart, et sous le patronage du conseil municipal, a recueilli la somme nécessaire à l’édification de ce monument. Merci aux généreux donateurs.

Je vous dois un autre merci, Monsieur Desacy, ajoute M. Decroix, pour avoir groupé ces courageux enfants de Bouret en Union de Combattants. Merci encore à mes collègues du Comité d’Inauguration, à son président, notre maire, M. Tempez qui, avec un grand bon sens, sait toujours mettre les choses au point.

Je ne saurais oublier notre instituteur, dont les quarante ans de service n’ont pas altéré le dévouement. Mais aujourd’hui, Monsieur Carbonnier, j’ai un merci à vous dire. Avant la guerre, je vous ai vu souvent exercer à vos petits élèves et nos grands jeunes gens à la pratique du tir, afin de les aider à devenir de bons soldats plus tard. Je vous dis publiquement merci pour cela.

M. Decroix termine par des remerciements à tous ceux et celles qui, de près ou de loin, ont participé à rendre plus éclatante la glorification des enfants de Bouret morts pour la France.

Le cortège regagne la Mairie, où M. le Sous-Préfet félicite les Combattants de s’être groupés en Union. Il remet au président le drapeau de la Société puis recommande à tous de pratiquer l’union sacrée et de la faire pratiquer autour d’eux.

Un vin d’honneur est servi dans la salle de la Mairie, décorée pour la circonstance, et le cortège se disloque.

Chacun conservera de cette journée d’inauguration un impérissable souvenir.

(L’Abeille de la Ternoise, des 20 novembre et 4 décembre 1921)




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