BRIAS



Le monument aux morts de Brias

Le monument aux morts de Brias (détail)


L’inauguration du monument aux morts de Brias

Dans le merveilleux cadre de verdure qu’offre le coquet village de Brias, s’est déroulée dimanche dernier une inoubliable cérémonie. Imposante dans sa simplicité, elle a été digne de ceux dont on honorait la mémoire, les morts de la Grande Guerre.

L’inauguration du magnifique monument qu’une généreuse souscription publique avait permis d’élever en souvenir de leur glorieux sacrifice, avait été précédée, le matin, de la remise du drapeau à la section des anciens combattants. Présenté par M. Alphonse Louchet, doyen du conseil municipal et vétéran de 1870, l’emblème des gloires et des grandes vertus françaises fut remis, sur la place de la Mairie, aux survivants de la grande guerre par M. le Comte de Bryas, qui prononça à cette occasion une mâle et patriotique allocution.

A 10 heures fut chantée une messe de Requiem, à laquelle assistaient tous les habitants de la localité. M. l’abbé Blarel, curé de la paroisse, qui apporte dans son ministère le même entier dévouement qu’il montra sur le front, éleva les cœurs et les âmes au souffle d’éloquentes paroles. Puis il bénit le drapeau.

La partie principale de la cérémonie se déroulait l’après-midi.

A deux heures, à l’entrée du village, vers Saint-Pol, se rassemblent les divers éléments composant le cortège, qui bientôt se mettent en marche dans une attitude calme et recueillie.

Derrière le clergé, qui ouvre la marche, s’avance un groupe de charmantes fillettes vêtues de blanc et chargées de fleurs. Puis viennent les autorités : M. le comte de Brias, maire de la commune ; M. Dupire, conseiller général ; une délégation d’officiers anglais, les membres du conseil municipal, l’harmonie municipale de Saint-Pol, qui rehausse par son précieux concours l’éclat de la cérémonie. Suivent, derrière leur drapeau, les délégations de l’Association des Mutilés, Réformés et Anciens Combattants de l’arrondissement de Saint-Pol, des sections affiliées d’A.C. de Gauchin, Hernicourt, Troisvaux et la section de Brias.

Escorté et suivi de la foule des habitants de la localité, auxquelles se sont joints de nombreuses personnes venues de Saint-Pol et des villages voisins, le cortège s’avance, par les rues ornées de guirlandes, de drapeaux et d’arcs de triomphe.

Et soudain, se détachant de la masse sombre des frondaisons teintées d’or, émergeant des multicolores décors que l’ingéniosité des habitants a jetés sur le passage du cortège, s’élance, plus gracieuse et plus riche que jamais, l’église, la jolie église de Brias.

La foule y pénètre et assiste avec recueillement aux Vêpres des Morts chantées par M. le chanoine Anselin, archiprêtre de Saint-Pol, assisté de MM. les curés de Troisvaux et de Brias.

Au milieu du terre-plein qui précède l’église, s’élève le monument, simple pyramide, surmonté de la croix, sortant des ateliers Authom-Lebel, à Saint-Pol. Sur l’une des faces, le Christ, mort pour l’humanité ; étendu à ses pieds, un soldat, tombé pour la Patrie. Entre ces deux sacrifiés un regard s’échange ; regard de compassion et de miséricorde d’une part ; empreint de suprême confiance de l’autre.

Devant l’assistance qui s’est formée en cercle, le voile tombe. Puis M. le Comte de Brias, d’une voix que l’émotion fait vibrer, prononce le magnifique discours suivant :

« Mesdames, Messieurs,

Mes chers Amis,

En 1913, à un banquet qui réunissait la plupart d’entre nous, je citais les paroles de François Coppée :

« Le travailleur de la terre est le vrai Français de France ; il a poussé là où il se trouve comme l’arbre du pays. J’aime de plus en plus l’homme de la terre et de la culture, ce patient qui fournit depuis tant de siècles à la Patrie le blé qui le nourrit et les soldats qui meurent pour elle. »

A peine un an plus tard, dans des beaux blés de France, j’ai vu ces soldats morts pour la Patrie.

Il y en a eu depuis, un si grand nombre que chaque commune de France a fourni les siens et « ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie » ont droit à notre reconnaissance.

Ils ne sont cependant pas les seuls à l’avoir méritée :

Il y a aussi les survivants mutilés, il y a les anciens combattants, il y a ceux qui se sont usés à garder nos foyers et qui sont quelquefois morts à la peine, il y a enfin tous ceux qui ont fait preuve d’un dévouement quelconque à l’arrière comme à l’avant. Mais les morts ont eu à faire un plus grand sacrifice et il est juste qu’ils soient plus spécialement glorifiés. Toutes les communes de France ont compris qu’il y avait là un devoir à remplir, et la grande famille de Bryas vient à son tour accomplir le sien. L’autre jour, sa pensée allait vers ses défunts et un même sentiment de piété avait associé leur souvenir, évoqué dans cette église, à celui des soldats morts pour la France. Aujourd’hui, ces soldats ont la place d’honneur et parmi eux, ceux dont les noms sont gravés sur cette pierre, vont être plus spécialement rappelés à votre mémoire.

Que ces noms soient également gravés dans vos coeux.

Ernest Trollé, Olivier Lecas, Alcide Thomas, Martial Lecas, Joseph Ricquart, Joseph Louchet, Joseph Trollé, Georges Demonchy, Jules Thellier, Théophile Courcelles, Louis Tanchon, Henri Cuvillier, Marcel Vasseur, François Bécourt, Arthur Théret, l’abbé Victor Bertin, Maurice Capron, André Leloutre, Henri Tanchon, Hippolite Cordonnier.

Nous confondrons dans ce même souvenir :

Camille Vanderslander, Eugène Saligot et Victor Protin. »

L’appel de chacun de ces noms est suivi des mots tragiques « Mort pour la France » en même temps qu’une fillette dépose au pied du monument une gerbe de fleurs. Puis M. le Comte de Bryas continue :

« Ils sont morts un peu partout sur la terre de France et nous ne savons pas comment chacun est mort.

Mais ils étaient Français et ils sont morts en braves, comme ce fantassin qui, parti à l’assaut, ne s’est arrêté que devant la mitraille, pour repartir encore jusqu’à ce qu’il fut mort. Comme cet artilleur, un petit gars du Nord, qui, resté à son poste malgré sa blessure, a crié : Vive la France, et puis est tombé mort, comme celui qui, dans un poste de secours, pouvant à peine parler, demandait seulement : est-ce qu’on a gagné ? »

Ou bien, ils ont été mourir loin du champ de bataille sachant qu’ils emportaient la mort avec eux et ils ont accepté leur doux sacrifice en pensant qu’au ciel il y avait place pour eux.

Si j’ose rappeler ces pénibles souvenirs c’est qu’ils sont tellement beaux ! Ils faisaient même dire à une femme sans enfants : « On voudrait en avoir dix à la guerre, car ceux qui ne sont pas à la peine ne sont pas à l’honneur. »

Oui, nos soldat ont été à l’honneur mais ils ne l’ont pas cherché. Ils ont seulement tenu à défendre la terre de France, la terre de leur pays qu’ils comparaient sans cesse à tous les coins du front. Et cette terre, n’est-elle pas plus que toute autre chose, la Patrie.

Leur famille, leur village, ces éléments de la Patrie étaient leur principale préoccupation. Leur moral dépendait du moral de chez eux. L’un d’eux qui ne savait s’il allait mourir, demandait : est-ce que je vais revoir mes parents ? Ils n’ont que moi, les vieux. »

Qu’on ne se demande donc pas pourquoi ils sont morts ; ou bien qu’on le demande à leurs frères de combat, mais qu’on ne le demande pas à ceux qui gâchent la victoire : ce n’est pas pour ceux-là que nos poilus sont morts !

Et c’est parce qu’ils sont morts que la dévastation ne s’est pas étendue jusqu’à notre région, c’est parce qu’ils sont morts que le cultivateur récoltera encore, que le commerçant fera fortune, que les enfants grandiront sous le toit paternel. C’est parce qu’ils sont morts que nous allons revivre : Ah ! Ne l’oublions pas !

Alors restons unis, unis comme au temps de l’union sacrée, unis comme le sont les anciens combattants. Faites qu’ils ne regrettent pas d’être revenus de la guerre en disant : heureux ceux qui sont morts sur le champ de bataille.

Aimons l’union que nous offrent aujourd’hui tous ceux qui sont venus nous témoigner leur amitié et que je remercie de grand cœur. Ayons toujours cette pensée en regardant cette pierre qui la transmettra aux générations futures.

Conservons ce monument digne de ceux au nom desquels nous l’avons élevé. Que leurs familles y trouvent en passant l’expression de notre profonde sympathie. Et si tous ne peuvent revenir dans notre cimetière, que ce soit pour elles au moins une consolation de voir leurs noms écrits à l’ombre du clocher, sous la croix du Christ et l’image du soldat.

Que les morts eux-mêmes en soient satisfaits et me permettent de leur dire avec le poète :

Dormez morts bien aimés ! Dans la nuit aux longs voiles

Vous avez pour flambeaux les rayons des étoiles,

Pour vengeurs vous avez vos compagnons vainqueurs,

Vous ne connaissez plus le froid ou la souffrance.

O vous qui nous léguez l’immortelle espérance

Vous avez pour linceul le drapeau de la France,

Vous avez pour tombeau le temple de nos cœurs. »

La Marseillaise éclate sur ces derniers mots. Puis, M. Dupire prend la parole.

Il remercie M. le Comte de Bryas de l’avoir convié à cette cérémonie et de lui permettre d’apporter ainsi un salut de reconnaissance aux enfants du pays morts pour la France. Il s’incline avec admiration devant ces braves qui sont tombés loin des leurs sans un baiser d’adieu.

Il exprime sa reconnaissance à ceux qui, ayant traversé les mêmes périls, ayant connu les mêmes peines, ont échappé à la mort ; ils ont droit aux mêmes honneurs.

De tout temps, on a rendu hommage à ceux qui sont morts pour la Patrie. Mais quelle reconnaissance particulière ne devons nous pas avoir pour ceux qui ont affronté la lutte la plus terrible que l’on ait jamais connu ! Pour nous qui, à proximité du front, avons connu des jours pleins de périls et d’angoisses, nous comprenons ce que nous leur devons.

Unissons-nous pour leur rendre l’hommage qui leur est dû. Unissons-nous aussi pour refaire la France meurtrie plus glorieuse et plus prospère que jamais. Inspirons nous des exemples d’union, de dévouement et de sacrifice que nous ont donnés nos héros ; et tâchons de nous montrer dignes de deux qui ont forcé l’admiration du monde.

Honneur à ceux qui ont arrêté le flot envahisseur de nos ennemis. Honneur aux pères et mères désolés, aux veuves éplorées, aux enfants attristés ; puisse la sympathie dont nous les entourons, adoucir un peu leur grande douleur.

Ce discours terminé, le jeune Louis Hiel déclame avec assurance les vers de Victor Hugo, « Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie », puis Mlle Marie Louchet dit une autre poésie de circonstance, In Memoriam.

M. l’archiprêtre Anselin procède ensuite à la bénédiction du monument. Puis sa voix s’élève pour remercier et féliciter les organisateurs de cette belle cérémonie.

Il rappelle que Michel Ange, se voyant impuissant à animer jusqu’à la vie la statue de Moïse qu’il venait d’achever et à laquelle il ne manquait vraiment plus que la parole, céda à un mouvement de colère et de découragement et frappa le marbre avec violence.

Donnons, dit-il, aujourd’hui une parole aux personnages qui sont représentés devant nous sur ce monument, eu Rédempteur qui, les bras étendus semble nous appeler, et au soldat qui, tombé à ses genoux, semble dire : ne pleurez pas sur ceux qui sont tombés au champ d’honneur... »

M. l’Archiprêtre parle avec éloquence. Les sentiments qu’il exprime sont de la plus haute élévation. Et pour terminer il fait dire au poilu mourant : « Imitez-moi : j’ai donné mon sang et ma vie pour mon pays. A votre tour, soyez des hommes d’union, de bon esprit et de discipline. Comme moi et après moi, sauvez la France. »

La cérémonie est terminée, le cortège se reforme derrière la Musique et se dirige vers la Mairie où sont offerts les vins d’honneur.

M. le comte de Brias adresse ses remerciements à tous ceux qui ont pris part à la cérémonie. Il remercie en particulier M. Dupire, ces paroles d’union qu’il a prononcées tout à l’heure. Il est l’ami des poilus et est de ceux qui n’oublient pas que les poilus ont fait la guerre.

Merci à M. Louis Lebel, l’excellent président de la Harmonie municipale de Saint-Pol, à M. Guillement, directeur, aux musiciens saint-polois qui ont, de si bon cœur, prêté leur concours à cette fête et en ont rehaussé l’éclat.

Merci à M. Jules Bellenguez, président de l’Association des Anciens Combattants de Saint-Pol, mutilé qui se dévoue corps et âmes pour ses camarades. Merci à ceux qui l’ont accompagné dans cette commune qui est « bien petite, mais si grande par le cœur ».

Merci aux A.C. de Troisvaux, Hernicourt, et Gauchin. Il exprime ses remerciements aux officiers anglais. « Vous avez pu, dit-il, constater l’union qui existe en France. Cette union, nous désirons la voir régner avec nos alliés. Elle est nécessaire devant l’incoercible désir de vengeance de l’Allemagne.

Rappelons-nous les paroles du maréchal Foch : dans l’union, par la force, pour le droit. »

A son tour, M. Dupire remercie M. le Comte de Bryas.

Il renouvelle ses sentiments de reconnaissance aux poilus, à qui le pays doit tout. Il sera toujours heureux de mettre son dévouement à leur service.

M. Louis Lebel, président de l’Harmonie municipale de Saint-Pol, termine la série des toasts en remerciant M. le Comte de Bryas et la commune de Brias toute entière de l’excellent accueil que l’Harmonie municipale a trouvé ici. L’Harmonie a été heureuse de participer à la cérémonie organisée en l’honneur de ceux qui se sont sacrifiés pour nous conserver une patrie. Son président lève son verre à M. le Comte de Bryas, au Conseil municipal, à la commune de Brias.

Un concert très goûté donné par l’Harmonie  saint-poloise sur la place du village clôt le programme de la fête pendant que de charmantes jeunes filles, Mlles Marthe Théret, Marie Théret, Lucie Lambert, Alice Théret, Angèle Gottrand, Lucienne Barras, Hélène Engrans, Sophie Dumont, Marie Jacquart, et Hélène Lambert, achèvent de distribuer parmi les spectateurs, les insignes tricolores que de leurs gracieuses mains elles ont offertes pendant le cours de cette journée mémorable.

(article paru dans L’Abeille de la Ternoise, du 14 novembre 1920)


Retour à la page d'accueil