Source : L’Abeille
de la Ternoise, du 6
novembre 1921
Ainsi que nous l’avons annoncé,
c’est le dimanche 30 octobre, qu’a eu lieu l’inauguration du monument
élevé à
la mémoire des enfants de Buneville, morts pour la Patrie. Dès le matin
le
village prenait un air de fête et les habitants rivalisaient de zèle
pour
pavoiser et dresser de magnifiques fausses portes. A 11 heures, un
service
solennel était célébré par M. le Curé de Maisnil, devant une assistance
nombreuse,
empressée à rendre hommage aux morts de la commune et parmi laquelle on
remarquait les membres du Conseil municipal.
L’après midi, après les Vêpres, se forma le cortège qui défila en bon ordre dans les rues du village.
Il comprenait : la croix ; les enfants de l’école porteurs de gerbes de fleurs ; la France en deuil (Mlle Molin) ; l’Alsace Lorraine (Mlles Wasson et Sombret) ; les bannières ; la France victorieuse (Mlle Ricart) ; l’église (Mlle Dupuis) ; l’infirmière de la croix rouge (Mlle Lethellier) ; les familles en deuil ; les anciens combattants avec leur drapeau ; le conseil municipal ; le clergé. Suivait une foule nombreuse, parmi laquelle de charmantes quêteuses distribuaient à la ronde l’insigne tricolore.
Le cortège s’arrêta au pied du monument. M. le Curé de Maisnil, dans un sermon vigoureux qui impressionna l’assistance, sut étaler aux yeux de tous, les horreurs de la guerre ; évoquer devant les familles en deuil l’image de ceux que nous pleurons, décidés à monter au douloureux calvaire et à mourir en braves sous les plis du drapeau. Profondément ému lui-même, M. le Curé procéda à la bénédiction du Monument, du drapeau des anciens combattants portant comme devise « Unis comme au front », et d’une plaque commémorative destinée à l’école.
Après avoir adressé à la population les excuses de M. le Sous-Préfet, de M. Dupire, Conseiller Général, de MM Willeral de Séricourt et Pénet, Conseillers d’arrondissement, retenus à des cérémonies environnantes ou empêchés, M. Cogé, maire de la commune, rappela le sacrifice de ceux dont les noms sont gravés sur le marbre.
Puis vint le discours de M. Herbet, instituteur, qui s’exprima ainsi :
« Entre les plus beaux noms, leur nom est le plus beau !
Oui !
pauvres enfants de Buneville, parmi les plus beaux noms, vos noms sont
les plus
beaux. Vous nous avez quittés couverts de la gloire la plus pure ;
de
votre sang vous avez payé pour nous et pour nos enfants le droit de
vivre, sous
l’égide de la liberté. A l’appel lugubre de 1914, animés du plus pur
esprit de
patriotisme, vous vous êtes élancés de toute votre vigueur dans
l’espoir de
refouler un ennemi sauvage et cruel. Mais quelle fut votre
déception !
Malgré votre désir d’en finir au plus vite avec les Boches, pendant
plusieurs
années il vous a fallu souffrir horriblement.
Que
furent vos souffrances ? Nuls mieux que ceux qui sont sortis
de la fournaise peuvent le savoir. Et ici, je m’adresse aux Anciens
Combattants. Souvenez-vous du soleil cuisant sur les longues
routes ! De
la pluie qui vous traversait les épaules dans les tranchées de
boue ! De
la neige qui vous glaçait les os au poste d’écoute ! De la
mitraille, des
obus qui vous aveuglaient et vous meurtrissaient ! Des vagues
asphyxiantes, des liquides enflammés qui vous empoisonnaient !
Tout cela
est inoubliable ! Pourtant plus heureux qu’eux, nous avons la joie
de
rentrer et de retrouver le toit familial ! Mais eux, après avoir
souffert,
ce que nous avons souffert, il leur a encore fallu mourir ! Loin
d’une mère, loin d’une épouse, loin de leurs enfants, après un appel
perdu dans
le fracas de la mélinite, ils ont expiré.
Eh
bien ! si aujourd’hui
certains étaient tentés de considérer la grande tourmente comme
disparue, nous
devrions leur crier : « Vous n’avez pas le droit
d’oublier ».
« Vous n’aurez jamais le droit d’oublier »
Aussi, pauvres martyrs ! En cette grande journée qui vous appartient, est-il juste que nous proclamions vos noms à haute voix, à si haute voix que nous voudrions vous faire entendre là-bas, couchés sur les champs de bataille, que, si vous êtes morts, votre image est toujours vivante dans nos cœurs, que, si vous êtes morts, c’est pour nous ! »
M. Herbet procède à ce moment à l’appel des morts, d’une voix tonnante qui émut l’assistance et fit couler bien des larmes. A l’appel de chaque nom, des enfants déposaient des fleurs au pied du monument et répondaient : « Mort pour la France ». Puis il continua :
« Et
vous, mes chers
petits, qui venez de répondre de tout votre cœur, sachez qu’il en est
parmi
vous qui n’ont plus de père ! Ils sont là, désarmés, faibles et
sans
soutien. Pour eux, plus de baisers, plus de caresses, rien ! Rien
que la
douleur ! Rien que la misère !
Demandons à
la France qu’elle
trouve pour eux une place qui convienne aux fils de ses vainqueurs et
qu’ils
soient ses enfants préférés.
Et plus tard,
si vous sentez
un jour votre cœur défaillir, vous viendrez cous incliner devant ce
marbre
sacré ! Vous y lirez les noms gravés en lettres d’or, de ceux qui
furent
véritablement des hommes, des Français, et vous aurez tôt fait de
retrouver le
chemin du devoir.
Vint ensuite, le discours d’un ancien combattant, M. Foulon, que nous nous faisons un plaisir d’insérer.
« Délégué par mes
camarades comme ancien combattant de la grande guerre, ce n’est pas
sans une
vive émotion que je vois inaugurer ce monument de la reconnaissance de
tous les
habitants de la commune, élevé en l’honneur des enfants de Buneville
morts pour
la Patrie !
Certes !
pour nous, leur souvenir est ineffaçablement gravé dans
nos cœurs.
Qu’on
se rappelle la lutte sans merci qu’ils ont soutenue depuis plus
de 4 ans contre un ennemi acharné, décidé à nous faire retourner à
l’esclavage !
Pour
empêcher la réalisation d’un si abominable projet, 1.500.000
Français, dont neuf de notre petit village, sont morts après avoir
supporté des
souffrances sans nom !
Oui !
Des souffrances sans nom !
Qu’on
se représente bien cette guerre atroce, ces jours angoissants
sous le tonnerre des canons préludant l’attaque, ces longues nuits sans
sommeil, dans la boue des tranchées et toujours sous la mitraille
semant la
mort.
Nous,
leurs camarades de combat, nous avons eu la satisfaction de voir
le boche rejeté hors de France, mais eux sont morts avec l’espoir
seulement du
succès final.
Gloire
à eux !
En
même temps qu’un exemple, ce monument restera pour toujours un
symbole.
Les
générations futures sauront que le cœur de leurs aînés était aussi
ferme que le marbre sur lequel leurs noms sont gravés. Elles
apprendront, que
lorsque tout semble désespéré, il faut espérer encore ; elles
verront que
l’amour de la Patrie est un guide sûr et infaillible puisqu’après la
dernière
ruée des Allemands en 1918 il fut répondu par la Victoire.
Vous
n’aurez donc pas, pauvres camarades, versé en vain votre sang sur
le sol de la Patrie et nous faisons le serment, en cette grande
journée, de ne
jamais oublier votre sacrifice.
Si
notre village est petit, nos sentiments n’en sont pas moins élevés,
vous l’avez prouvé, et nous, les survivants, nous n’aurons toujours
qu’une même
pensée, voir respecter la France et ceux qui sont morts pour Elle !
Enfants de Buneville, au nom des Anciens Combattants, vos frères d’armes, je dépose cette palme en souvenir de reconnaissance et vous adresse un suprême adieu … »
Des enfants de l’école récitèrent avec une remarquable expression plusieurs poésies patriotiques qui impressionnèrent vivement l’assistance ; l’un d’eux, au nom de tous ses camarades, déposa au pied du monument, une jolie gerbe de fleurs.
M. Berthe, adjoint, au nom du conseil municipal, adressa aux familles éplorées les pensées les plus attristées ; aux généreux souscripteurs, à M. le Curé, aux jeunes filles de la commune, aux anciens combattants, à M. Herbet et à ses élèves, aux habitants, tous les remerciements de la municipalité pour le dévouement qu’ils ont apporté à la réussite de cette fête et demanda enfin à la foule de s’incliner une dernière fois devant les noms de ceux qui succombèrent pour que la France soit toujours belle.
Un de Profundis chanté par tous, et ce fut la dislocation que suivit à la Mairie, un vin d’honneur offert aux invités et aux anciens combattants.
Belle fête qui se termina dans le plus grand calme et qui a prouvé que Buneville n'oubliait pas ses enfants morts pour la Patrie.
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