CONCHY-SUR-CANCHE


Le monument aux morts de CONCHY-SUR-CANCHE

L’inauguration du monument aux morts de Conchy-sur-Canche

Nichée au fond de la verdoyante vallée de la Canche, la coquette commune de Conchy était en fête, dimanche dernier. Fête du souvenir, de la reconnaissance, fête du cœur.

Une foule nombreuse, venue des villages environnants, s’était jointe aux habitants de la localité, pour honorer et rendre aux glorieuses victimes de la guerre un hommage vénéré.

On inaugurait en effet le monument élevé à la mémoire des dis huit enfants, du pays, morts pour la Patrie.

A midi, les autorités étaient reçues à l’entrée du village par le sympathique maire, M. Pophyre Lejosne, entouré de son conseil municipal. Puis le cortège, précédé d’une fraction de l’excellente Fanfare de Rollepot, se rendit, parmi la verdure, les guirlandes et les arcs de triomphe, à la mairie où, en termes simples, M. Lejosne souhaita la bienvenue à M. Henri Marais, sous-préfet, à MM. Harduin et Goubet, conseillers généraux, Maincourt, conseiller d’arrondissement, Houllier, lieutenant de gendarmerie et aux personnalités qui les accompagnaient.

A l’heure dite, le cortège se reforma, plus imposant et plus compact encore, et défila aux sons d’entraînants pas redoublés, jusqu’aux abords du cimetière contre lequel s’élève, face à la route, le monument commémoratif.

Au milieu d’un grand silence la voix du prêtre s’éleva. M. le curé de Conchy, en termes émus, exalta la mémoire des héros qui se sont fait tuer pour la défense du pays, puis d’un geste large bénit le marbre.

Après quoi, des paroles émouvantes, inspirées du plus pur patriotisme, furent prononcées par MM Mouret, au nom des anciens combattants ; Lejosne, Maire ; Harduin, conseiller général du canton d’Auxi-le-Château ; Goubet, conseiller général de Bapaume ; Henri Marais, sous-préfet.

Puis les enfants des écoles sous la direction de leur dévouée maîtresse Mlle Vaillant récitèrent des poésies de circonstance.

Une fillette, Fernande Mouret, déclama avec une rare expression la poésie de Victor Hugo « Aux morts pour la Patrie ». Des bouquets, déposés par les enfants, s’amoncelèrent au pied du monument commémoratif et la cérémonie se termina sur ce geste simple et touchant.

En résumé, journée magnifique et belle cérémonie qui marquera dans l’histoire de Conchy-sur-Canche.

Ci après nous reproduisons le discours de M. Mouret, ancien combattant.

« Mesdames, Messieurs,

J’ai l’honneur de rappeler à votre mémoire les noms des enfants de la commune morts pour la France :

Vaillant Léon, Crépy Henri, Delannoy Georges, Palfart René, Renaud Eugène, Becker René, Valdenaire Charles, Watisset Charles, Saint-Solieux Achille, Renversé Numa, Delcloque Paul, Bouchard Abel, Devisse Arthur, Van Aelst Gaston, Rousselle Marcel, Saulty Arthur, Marcel, Petit Eloi.

A l’appel de chacun de ces noms, un enfant répond, au milieu de l’émotion générale : « Mort pour la France », puis M. Mouret reprend :

Mesdames, Messieurs,

Délégué par les Anciens combattants, mes compagnons d’armes, je prends la parole, au pied de ce monument, pour apporter un humble hommage à la mémoire de ceux que nous honorons aujourd’hui.

Lorsqu’au début du mois d’août 1914 nous partîmes tous, pleins de courage et le cœur rempli du sentiment patriotique, jamais nous n’aurions cru que, pour sauver notre patrie menacée, notre petite commune aurait à payer un si lourd tribut de sacrifice.

Pendant ces cinq longues années de cette terrible guerre, la mort fit une ample moisson ; elle éprouva cruellement notre village. Dix-huit noms sont gravés sur cette pierre, car, hélas ! dis-huit valeureux compagnons, moins chanceux que nous, tombèrent fauchés par la mitraille ennemie et la maladie.

Certes, je ne ferai point ici leur biographie ou leur histoire, je ne veux vanter que leur vaillance, leur dévouement et la grandeur de leur sacrifice.

Du premier inscrit sur ce monument jusqu’au dernier, beaucoup d’entre vous les ont connus et ont su les apprécier ; ceux qui les regrettent encore si vivement ont su les apprécier davantage encore.

 Leur vie parmi nous fut simple : bon père, bon époux, bon fils et bon frère, sur le champ de bataille, ils surent acquérir les qualités tant vantées du soldat français ; leur vie fut bien courte, elle fut belle ; leur mort fut plus belle encore, elle égale celle de tant de héros français versant généreusement leur sang pour nous conserver la liberté.

Hélas, ces souvenirs sont bien pénibles à appeler surtout pour ceux qui les pleurent encore si souvent, mais n’est-ce pas quand même une douce consolation d’entendre causer de ces vaillants morts, car, par leurs souffrances, leur dévouement et leur sublime sacrifice, n’ont-ils pas mérité à jamais notre gratitude et toute notre reconnaissance ? Puis je souhaiterai pour vous, familles si éprouvées, que ces hommages rendus aujourd’hui à leur honneur, contribuent quelque peu à atténuer votre douleur encore si vivace et si profonde. Soyez persuadés que leur souvenir restera toujours parmi nous et que leurs frères d’armes ne les oublieront jamais.

En terminant, je me fais un devoir, toujours au nom des Anciens Combattants, de remercier sincèrement la nombreuse assistance ici présente qui relève l’éclat de cette belle fête, les généreux donateurs et notre sympathique municipalité pour leur générosité et leur dévouement apportés à l’érection de ce monument tant désiré par la population. »

Discours de M. Porphyre Lejosne, maire

« Mesdames, Messieurs, mes Enfants,

Quelle est simple, mais touchante, grandiose et noble à la fois la cérémonie qui nous rassemble aujourd’hui. Il s’agit, en effet, d’honorer les morts de la grande guerre. Nous avons voulu que nos héros (car ce sont tous des héros ceux qui ont combattu, versé leur sang et donné leur vie pour nous, pour la Patrie) ne fussent jamais oubliés.

C’est donc pour commémorer leur souvenir que nous avons érigé ce monument à nos chers morts. Il y a bientôt six ans, c’était le 1er août 1914, vous vous en souvenez comme moi, pères et mères qui m’écoutez, et vous les appelés d’alors, qui nous êtes revenus, toutes les cloches de nos villes et de nos villages annonçaient pour toute la France, des Pyrénées aux Vosges, l’ordre de la mobilisation. C’était la guerre à bref délai ; oui, la guerre qu’on nous cherchait sournoisement depuis de longues années, la plus terrible des guerres que l’on ai vues.

A cet appel, sorti de nos clochers, à cette grande voix de la France, un grand souffle de patriotisme comme nous n’en avions pas ressenti depuis longtemps, nous fit tressaillir. A l’instant même nous quittions nos travaux, nos champs se faisaient déserts, nos usines se vidaient et sur nos places publiques, ce n’était que rassemblements et conversations sur le grand cataclysme qui allait se déclencher. La Patrie était en danger, tous ses fils répondaient : « Présent ! ». Le lendemain, la mobilisation commençait. Nous n’oublierons jamais le départ de nos défenseurs, leurs adieux si touchants, mais si confiants à la fois dans les destinées de la Patrie et dans le succès final. Et c’est au milieu d’un enthousiasme général que tous les enfants de la France sont partis, bien qu’ils sussent à l’avance à quels ennemis nous avions à faire et combien la guerre serait pénible et cruelle.

C’est donc pour perpétuer à jamais le souvenir des enfants de Conchy qui ont donné leur vie à la Patrie, que nous élevons ce monument. Vos noms, soyez bien certain, sont gavés dans nos cœurs, en même temps que sur ce marbre.

Dormez en paix ! Jamais vous ne serez oubliés !

Vos enfants, de générations en générations, liront vos noms et fleuriront, à défaut de vos tombes, ce monument qui les symbolise et que nous avons placé dans le mur du cimetière ; et vous tous, pères, mères, épouses, frères, sœurs, neveux, nièces et amis, soyez fiers de nos chers disparus, en pensant qu’ils ont donné leur vie pour vous, pour nous, pour la France entière.

Gloire ! Gloire ! Gloire ! Honneur à eux ! Gloire à nos braves ! »

Son allocution terminée, M. Lejosne exprima sa gratitude à toutes les personnes qui avaient contribué à l’organisation de la cérémonie, et à celles qui avaient fleuri le monument ; il remercia en particulier la ville de Frévent, représentée par MM Cauwet, maire, Rétaux, adjoint, Ph. Damiens, conseiller municipal, A. Demont, juge de paix, Evrard, conducteur ds Ponts et Chaussées, et Arthur Bourrier, et qui, de cœur avec le village de Conchy, avait fait déposer au pied du monument une magnifique gerbe de fleurs.

Discours de M. G. Harduin, conseiller général

« Mes Chers Amis,

Je partage d’autant plus l’émotion qui étreint les parents de ceux que vous glorifiez aujourd’hui que moi aussi j’ai perdu un fils, mort au champ d’honneur, et c’est du fond du cœur que je m’associe à l’hommage rendu par la commune de Conchy-sur-Canche, à ceux de ses enfants qui, pendant cette terrible guerre, sont tombés glorieusement pour la France.

Et ce monument, si beau qu’il soit (et il l’est) sera un bien faible tribut de reconnaissance pour ceux qui se sont sacrifiés non seulement pour la défense de notre foyer et de notre sol, mais aussi pour la civilisation et la liberté.

En effet, l’Allemagne, grisée par sa victoire de 1870, avait rêvé la domination du monde ; pour cela elle avait fait de son Empire une immense caserne ; ses arts, sa science, son travail célébraient partout le culte de la Force. Dès leur plus jeune âge ses fils étaient soumis à la servitude militaire. En temps de paix, ses usines forgeaient ces énormes canons qui devaient porter la dévastation à plus de cent kilomètres de rayon, ou encore ces terribles sous-marins, qui, en quelques secondes, envoyaient au fond des mers les citadelles et les villes flottantes qui s’appellent des cuirassés ou des transatlantiques. Ses armées étaient tellement formidables qu’il fallut toutes les puissances coalisées du monde pour les jeter hors de France. Ses méthodes de guerre rappelèrent celles des peuples barbares ; les armées allemandes semèrent partout, sur leur passage, la dévastation et la mort ; les habitants de nos départements envahis furent traités en esclaves ; les vieillards, les jeunes filles, les enfants furent déportés et durent forger les armes destinées à tuer leurs compatriotes.

L’esclavage ou le bannissement était, sans nul doute, le sot qui nous attendait en cas de défaite ; c’était pour tous la ruine, pour beaucoup la mort ; et la France pressurée par l’ennemi victorieux n’aurait pu nourrir ses enfants.

Dieu ne l’a pas voulu et l’héroïsme de nos soldats nous a sauvés.

Le soldat français a été le grain de sable qui, le premier, a arrêté la monstrueuse puissance ; à la Marne, sur l’Yser, à Verdun, en Champagne, à Amiens, partout, notre poilu a arrêté les hordes teutonnes.

Mais au prix de quels sacrifices ! 1.500.000 de nos enfants sont restés sur les champs de bataille et parmi ceux-là les héros dont les noms sont gravés sur ce monument.

Souvenons-nous toujours de leur sublime sacrifice, et n’oublions pas que si le Kaiser et ses hobereaux sont les auteurs de la guerre, tout le peuple allemand a suivi son empereur, et doit en porter la responsabilité ; lors de la déclaration de guerre, au Parlement Boche, une seule voix, celle de Liebneck s’éleva contre la guerre.

Nous manquerions à la mémoire de nos morts, si tendant une main fraternelle aux Boches maudits, nous renoncions à faire juger et condamner le Kaiser et ses séides dont le foi orgueil a causé l’épouvantable carnage, et si nous n’exigions pas du peuple allemand la réparation des dommages causés par ses armées.

Mais, mes chers amis, nous avons un devoir plus immédiat à remplir envers ceux qui se sont sacrifiés pour nous ; c’est celui de remplacer au foyer familial le soutien disparu. Beaucoup, parmi nos glorieux morts, ont laissé des veuves, des orphelins, des vieux parents sans ressources. Ceux-là doivent être adoptés par la Nation ; il appartient à l’Etat de leur assurer à tous les besoins matériels de la vie, et à nous il appartient de les aimer, de les respecter et de les considérer comme les membres de notre famille.

Pour cela, et aussi pour nous garder contre nos ennemis de l’Est qui déjà songent à la revanche, il faut nous grouper autour de ce drapeau tricolore, symbole de la Nation, qui a porté la liberté aux quatre coins du monde et nous a conduits à la victoire ; il nous faut conserver cette union sacrée qui, pendant la guerre, nous a réunis tous contre l’envahisseur, cette union de tous les cœurs qui seule peut rendre la France invulnérable et de la faire, toujours plus belle et plus grande.

Et croyez-moi, mes chers Amis, c’est la plus noble façon d’honorer ceux qui sont tombés pour Elle.

Honneur à nos glorieux morts !

Vive la France éternelle ! »

Discours de M. Aimé Goubet, conseiller général

« Mesdames, Messieurs,

L’inauguration d’un monument aux morts de la grande guerre dans cette modeste commune de Conchy-sur-Canche, constitue une cérémonie toute intime réunissant les amis, les parents des victimes et faisant l’union des cœurs. Il peut donc vous paraître surprenant qu’un étranger y prenne la parole et, cependant, j’ai cru de mon devoir d’être des vôtres et de célébrer avec vous la mémoire de vos chers disparus. Je le fais dans un double but, pour remercier tout d’abord M. le Maire de Conchy du large accueil qu’il a toujours réservé aux réfugiés dont je suis et pour glorifier vos braves enfants à qui je dois comme tant d’autres des régions envahies, d’avoir pu rester français.

Je ne saurais oublier avec quelle abnégation nos soldats se sont dévoués pour le pays, ils ont lutté pied à pied contre l’envahisseur, arrosant nos champs et nos plaines de leur sang généreux et, dans un élan irrésistible, le repoussant au-delà de nos frontières. Il n’a pas dépendu d’eux que notre libération ne soit pas plus hâtive ; malgré les premiers revers, ils n’ont pas perdu courage et aux jours les plus sombres de ces dernières années dans ces combats homériques où ils luttaient contre un ennemi mieux armé, plus nombreux et surtout plus barbare, ils nous faisaient un rempart de leurs poitrines, nous demandaient de tenir alors que certains se laisser aller à la désespérance en nous criant le mot désormais historique : « On les aura ».

Et en effet, après avoir connu les affres de l’invasion en 1870, après avoir vu de nouveau le Boche fouler notre territoire en 1914, après avoir subi durant de longs mois les tristesses des geôles allemandes et des camps de concentration, après être rentré en France libre pour assister en mars 1917 à une première libération suivie, hélas, d’un nouvel exode, nous avons vu luire enfin le soleil de la victoire.

Soyez à jamais glorifiés, vous tous qui êtes tombés au champ d’honneur sans avoir connu ces jours glorieux de la délivrance. Aux jeunes générations, ce monument rappellera le souvenir de héros qui ont souffert et qui sont morts pour la France. Que devant lui s’effacent les divisions et les haines, qu’il soit le lien naturel de tous ceux dont les fils sont disparus et que les autres viennent u chercher des inspirations et des encouragements. L’union des cœurs et des courages doit se faire indéfectible devant lui et si parfois certains étaient tentés d’oublier le souvenir de la grande guerre et ses enseignements, qu’ils viennent ici se recueillir. Les morts leur diront qu’ils leur ont fait une vie plus belle et meilleure, dans une France meurtrie peut-être, mais toujours vaillante et qui a besoin du concours de tous ses enfants. »

Allocution de M. Henri Marais, Sous-Préfet

M. le Sous-préfet termina la cérémonie par une glorification émouvante des morts et par un vibrant appel à la paix civile, à l’union des cœurs dont la France a tant besoin.

(articles parus dans L'Abeille de la Ternoise, des 13 et 20 juin 1920)

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