ESTREE-WAMIN

Le monument aux morts d'ESTREE-WAMIN

L’inauguration du monument aux morts d'Estrée-Wamin


Le dimanche 25 septembre, splendide journée automnale, la pittoresque commune d’Estrée-Wamin inaugurait le monument élevé à la mémoire de ses enfants tombés pour la Patrie.

Du commencement à la fin de cette cérémonie si simple, si touchante, conserve son véritable caractère, comme il sied en une pareille circonstance. Aucune parole discordante n’en troubla la sérénité.

Dès la première heure du 24, , tout le monde fut sur pied pour la décoration des rues.

Les arc de triomphe se dressèrent majestueusement.

On en compta une quinzaine ! Tous furent chamarrés de nombreux faisceaux de drapeaux tricolores auxquels se mêlaient guirlandes et banderoles. Tout cela donnait au petit village, tapi dans la verdure, un aspect féerique.

Le matin à 11 heures, une messe solennelle était chantée en l’église de Wamin, trop petite pour contenir la foule, par le M. le curé Cornet.

Dans une allocution, empreinte du plus pur patriotisme, il évoqua les souffrances, le long martyre des victimes de la dernière guerre, de ceux dont il exalte l’héroïsme et la vertu ! Sa chaude parole releva le courage défaillant des épouses et des mères !

A l’issue de la messe, il fut procédé à la bénédiction du monument suivie d’une visite aux tombes du sous-lieutenant Laflotte et du maréchal des logis Voisin, dont les restes sont inhumés au cimetière d’Estrée.

A 15 h 30, les sociétés invitées étaient rassemblées dans la cour de l’école pour de là se rendre route d’Houvin où devait avoir lieu la réception des autorités.

La jonction opérée, le cortège au complet s’ébranla, suivit l’itinéraire convenu dans l’ordre ci-après : Société des anciens combattants des communes de Beaudricourt, de Berlencourt, du Cauroy, d’Ivergny, de Magnicourt, de Rebreuviette ; la France en deuil, l’infirmière ; orphelins et orphelines ; les mères et veuves, les mutilés, la France victorieuse ; l’Alsace et la Lorraine ; les enfants des écoles, tous porteurs de gerbes de fleurs et de couronnes, la musique de Conchy, les autorités, les assistants !

Ajoutons que deux anciens combattants d’Estrée-Wamin portaient une magnifique couronne à l’adresse de leurs camarades d’Armes.

Tout le long du parcours, de sveltes et aimables quêteuses épinglent sur chaque poitrine l’insigne surmonté du minuscule ruban tricolore.

A 16 heures, la foule accourue se presse nombreuse, comme figée devant le monument. Le voile tombe, la pyramide apparaît dans sa grandiose simplicité !

Sur sa base, on peut lire les noms des braves gravés en lettres d’or.

La Marseillaise éclate gravement, prenante, émouvante et sublime, jouée par la jeune musique de Conchy-sur-Canche : silence et recueillement ; fierté et douleur !

Monsieur de Fleury, adjoint, procède à l’appel des morts, un jeune poilu répond : « Mort pour la France », et M. Beauchet Victor énumère leurs titres, le lieu où ils succombèrent.

Epouses, mères et pères déposent bouquets, palmes et couronnes et reçoivent le diplôme destiné à rappeler toujours le souvenir du cher et regretté disparu !

Monsieur Cousin, le sympathique maire, prononce ensuite d’une voix émue, le discours que nous reproduisons plus loin in extenso.

Laurence Mercier récite avec âme un poème d’actualité : « Aux morts de la Grande Guerre ! »

Sa sœur, Marthe, une mignonne fillette de 11 ans, chante de façon admirable : « Ceux qui pieusement … » D’autres élèves reprennent après chaque strophe : « Gloire à notre France éternelle ! »

Vient ensuite le discours d’un ancien combattant par Albert Dambrine, que nous nous faisons un plaisir d’insérer.

Ce beau morceau fit couler bien des larmes.

Trois jeunes filles, anciennes élèves, Mesdemoiselles Capron, Delannoy, et Pétain récitent à tour de rôle et aux applaudissements de la foule : « A la paix », « Vers la Société des Nations », et « Sursum Corda » !

MM Petit, conseiller général, et Bouillet, conseiller d’arrondissement tiennent ensuite le public sous le charme de leur parole et s’attirent d’unanimes bravos !

Un chœur de toute beauté : « A nos héros ! » exécuté par deux hommes et les trois jeunes filles déjà citées, épuise le programme.

M. de Fleury adresse les vifs remerciements de la municipalité à Mme Voisin, à MM Petit et Bouillet, à M. le Curé du Cauroy, à M. Cassoret, industriel à Arras, à M. Wiart, marbrier à Aubigny, aux habitants, aux invités, aux anciens combattants, aux Maires, à la musique de Concy.

Nous ne voulons pas clore ce compte-rendu, forcément succinct sans adresser nous aussi, toutes nos félicitations au conseil municipal en entier :

A M. François Beauchet, qui s’est dépensé sans compter ; à M. Jouy, auquel on doit de la reconnaissance ; aux jeunes gens et jeunes filles d’Estrée-Wamin, sans exception pour leur concours désintéressé, au dévoué garde champêtre M. Alcide Lefebvre, à l’infatigable instituteur M. Vasseur, officier d’Académie vraiment trop modeste qui a, sans conteste, sa large part dans le succès de l’inoubliable manifestation du 25 septembre.

A tous, petits et grands, pauvres et riches, merci !

A tous nos plus sincères félicitations !

Discours de M. le Maire

Après la catastrophe de 1870, la France se reprit à espérer, elle pansa ses blessures et, grâce à la ténacité, au labeur de ses enfants, elle jouit d’une longue période de prospérité, de bonheur !

Après un écrasement qu’ils avaient pu croire définitif, nos éternels ennemis demeurèrent surpris de notre prompt relèvement.

Pour parachever l’œuvre de Bismarck – avec la complicité d’alliés serviles, ils préparèrent – dans l’ombre, une campagne d’extermination contre notre pays.

Pacifistes résolus, nous ne voulions pas la guerre !

L’Allemagne puissante, disciplinée, formidablement armée et aguerrie, nous l’imposa.

A l’appel de la Patrie, tous nos soldats se levèrent comme un seul homme : tous avaient foi en une victoire facile et prochaine, tous croyaient en l’immanente justice !

Mais la lutte se déroula, âpre, désespérée, terrible, sanglante, avec des alternatives d’avance et de recul.

Pendant 4 années, nos héros superbes connurent toutes les souffrances, affrontèrent tous les périls, endurèrent tous les supplices, subirent tous les assauts.

Des millions des nôtres, braves entre les braves, dorment aujourd’hui leur dernier sommeil, confondus, le long de l’immense ligne de carnage.

Jamais pareilles hécatombes n’ensanglantèrent les champs de bataille, jamais nos hameaux, nos villages ne payèrent à un ennemi implacable, déterminé, farouche, un si large tribut d’existences ! Il en coûte de les dénombrer !

Grâce au concours tardif d’alliés valeureux, le sang de ces martyrs n’a pas coulé en vain, la victoire nous a souri !

Une fois de plus, noble France, tu dois ton salut, ta sécurité, ton bien-être, l’intégrité de ton territoire à l’héroïsme de tes enfants, à leur sacrifice sublime !

C’est pour perpétuer le souvenir de cette lutte titanesque, pour honorer à jamais la mémoire des héros tombés pour la cause du droit et de l’humanité qu’à Estrée-Wamin, comme ailleurs, ce modeste monument a été érigé !

Je remets ce monument – couvert par une souscription – à laquelle tous les habitants ont tenu à participer, à la garde de tous les vrais et honnêtes citoyens.

Ils ne permettront pas qu’on le dégrade !

Les vieillards, les personnes d’un âge mûr, surtout les jeunes gens et les enfants, salueront cette humble pierre avec un religieux respect.

Ils liront et reliront les noms bénis qui y sont gravés. Le souvenir des exemples légués par leurs glorieux fils incitera les habitants d’Estrée-Wamin à les imiter. Ils déploieront dans la lutte quotidienne, le même courage, la même énergie qu’eux en montrèrent devant l’ennemi.

Ils feront taire leurs dissentiments, leur égoïsme et vivront unis dans la concorde et la paix !

Remercions ces martyrs qui, par leur vaillance, ont limité nos sacrifices, abrégé ns angoisses, sauvé nos libertés et le monde.

Inclinons-nous profondément pour leur dire tout bas : frères, sentez-vous que nous sommes ici ? Nous nous y trouvons pour louer vos vertus morale et patriotique, c’est d’elles que nous voulons vivre désormais.

Chaque jour nous nous alimenterons à cette source si pure !

Ah ! Vous n’êtes pas morts !

Nous restons en communion intime avec vous, nous vous aimons comme vous nous avez aimés !

Discours de l’ancien combattant

Mesdames, Messieurs,

Pourquoi ces drapeaux, ces guirlandes, ces décorations multicolores, ce monument, cette foule recueillie et attristée ?

M. le Maire avec son clair bon sens et son excellent cœur vous l’a dit !

Que devons-nous donc aux vaillants dont les noms sont gravés sur ce marbre, dont vous connaissez les exploits, dont vous savez les souffrances, dont les pères voûtés, dont les mères vieillies et les fidèles épouses pleurent amèrement la perte ?

Que devons-nous au brave Créton tué à Arracourt, au courageux Cousin, disparu à Maurupt, au patient Bertin, qui exhala son dernier soupir en terre allemande, au vaillant Flambry, atteint à Pynegaele, en portant secours à son camarade Durant, à l’héroïque Vaast, frappé en pleine action, à la tête de ses hommes, à l’ardent Laflotte, tombé à Cuvilly, à Bernard, mitrailleur d’élite, mort à Grateuil, à Voisin, maréchal des logis énergique et tenace, décédé à Châlons-sur-Marne.

Tous firent valeureusement leur devoir !

Tous surent mourir glorieusement !

Tous se conduisirent en héros.

Vous leur devez votre présente tranquillité ; ils ont sacrifié leur vie pour sauver la vôtre !

Honneur à ces vaillants enfants d’Estrée-Wamin ! Honneur à nos chers compagnons des sombres jours !

N’allez pas croire, après cette manifestation, être quittes envers eux !

Souvenez-vous toujours de ces héros, condamnés, durant 4 ans, à vivre isolés, immobilisés, dans la boue des tranchées, sous un froid glacial ou un soleil de feu, sous une pluie de balles ou une avalanche d’obus, exposés à tous les engins meurtriers, à la vague asphyxiante, aux morsures des flammes !

Souvenez-vous toujours de la marche en avant, de l’attaque brusquée et furieuse, des chutes, des cris déchirants, des plaintes lamentables, de l’appel aux mères, des douleurs morales et physiques de l’heure suprême.

Nous qui les avons vus à l’œuvre, qui avons combattu côte à côte, supporté les mêmes misères, couru les mêmes dangers, estimons qu’une éternelle reconnaissance leur est bien due. Le danger rapproche les cœurs : pleurons donc ensemble ces martyrs désormais immortels !

Plus heureux qu’eux, vous et moi sommes sortis de la fournaise !

Inspirons-nous de leur exemple.

En frères, ils ont lutté, par respect pour leur mémoire, vivons en frères.

Evitons ce qui divise : les querelles mesquines, les haines, les jalousies.

Tendons-nous, au-dessus de leur tombe, une main fraternelle et cordiale.

Ils sont morts pour la sainte cause de la liberté, de la justice, et de la paix. Vivons dans la concorde, restons équitables pour demeurer forts et invincibles !

Exprimons le souhait que leur sang soit le dernier versé.

Puisse la Société des Nations régler pacifiquement les conflits futurs et préserver nos enfants du retour de telles horreurs.

C’est mon vœu et ma conclusion. »

(Le Courrier du Pas-de-Calais, du 27 septembre 1921)


Retour à la page d'accueil