FONTAINE-L'ETALON

Le monument aux morts de FONTAINE-L'ETALON

Inauguration du monument aux morts de Fontaine-l'Etalon


Le dimanche 6 août, la petite commune de Fontaine-l’Etalon a procédé à l’inauguration du monument élevé à ses enfants morts au champ d’honneur.

La décoration des rues, enguirlandées de fleurs, et des maisons parées aux couleurs nationales, témoignait de l’intérêt et de la part que tous les habitants avaient pris à cette fête patriotique ; le portail de l’église, pavoisé comme aux plus grandes fêtes, était orné d’une superbe croix de guerre du plus bel effet.

Le matin, service solennel et sermon dans lequel M. l’abbé Debuire, le dévoué curé de Fontaine, glorifia avec éloquence et cœur la mémoire des héros de Fontaine.

A 4 heures, le conseil municipal et toute la population reçoivent les invités ; MM Harduin, conseiller général, Pruvot, conseiller d’arrondissement (M. Maincourt malade n’avait pu les accompagner).

Le cortège se forma et se rendit à l’Eglise, ensuite au monument que M. le Curé de Fontaine bénit et devant lequel il prononça une nouvelle allocution.

Puis c’est l’appel des morts, suivi d’un discours prononcé par M. Marcel Caron, représentant M. Lagache, maire, que l’émotion, causée par le souvenir de son fils, l’une des 13 victimes de Fontaine, empêche de parler.

M. Bulot, vétéran de 1870, lit ensuite un poème de sa composition, à la gloire des héros de Fontaine.

Puis, M. Bouchez, instituteur à Fontaine depuis 33 ans, qui a eu pour élève la plupart des enfants de Fontaine glorifiés aujourd’hui, prononce le superbe discours que nous reproduisons ci-dessous.

Enfin, c’est le tour de M. Harduin, conseiller général qui exalte de nouveau la gloire des soldats morts pour la France, et, retraçant le martyr subi par les pays envahis, donne la mesure de notre reconnaissance envers les poilus qui ont sauvé la France du joug boche. Il termine en faisant appel à l’union sacrée, toujours nécessaire en face de l’Allemagne préparant la revanche.

Ces discours sont coupés par les chants des enfants, chants de circonstance composés par M. Bulot.

Une prière adressée par les pauvres orphelins à ceux qui ne sont plus a profondément remué les cœurs et fait couler bien des larmes.

Cette belle cérémonie laissera un souvenir inoubliable parmi les habitants de Fontaine-l’Etalon.

Discours de M. Bouchez, instituteur

a première impression que donne ce monument ne provoque pas l’admiration ; il semble qu’il ne répond que faiblement au but rêvé, qu’il n’est pas digne de nos chers disparus, fauchés pour nous en pleine jeunesse.

Mais, est-ce qu’au cimetière l’humble croix du pauvre, au pied de laquelle sanglote une mère, ne vous émeut pas autant que le plus somptueux mausolée ?

Vous admirez ce dernier parce que le travail de l’artiste vous retient, mais ne vous semble-t-il pas que la raison d’être de la croix, comme du monument simple ou grandiose, est de conserver un souvenir, de rappeler un sentiment d’affection, de reconnaissance ; un devoir, une dette sacrée, et s’il se peut de demander une prière. Dès lors, dans cet ordre d’idées, l’unique inscription rappelant au défilé des Thermopyles l’héroïsme des trois cents Spartiates de Léonidas ne vous remue-t-elle pas à elle seul tout autant qu’un monument, bien que vieille de vingt-quatre siècles : « Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts pour obéir à ses lois ! ».

N’est-ce pas un peu ce que sous-entend ce modeste commémoratif ? C’est la leçon de la pierre.

Combattants, mes chers amis ! Quand la cloche de cette petite église jeta la consternation dans vos familles, le jour de la mobilisation, vous vous êtes dressés tous frémissants pour répondre à l’appel de la Patrie menacée.

Le dernier des Hohenzollern, ivre d’orgueil, mettait en mouvement sa formidable armée, avec ses canons monstres qu’attendaient les plates-formes cimentées, préparées depuis longtemps chez nous, à notre insu. Parjure à sa parole, il violait la Belgique pour atteindre rapidement Paris par le Nord.

Ce forfait indigne le monde civilisé. Les Belges se jettent sur la route de l’envahisseur, où nos premiers mobilisés du Nord arrivent à peine équipés. Hélas ! c’est Charleroi, c’est Dinant Louvain est en flammes ; des enfants et des femmes sont placés en boucliers vivants, devant ces forcenés en marche. C’est la terreur. L’Angleterre a la maîtrise des mers, elle n’a pas d’armée.

Vous êtes seuls, mes amis, pour retarder l’avance de l’ennemi. Pendant ces journées pleines d’angoisse, nous vivons avec vous par la pensée. Marches forcées, nuits sans sommeil, jours sans pain, vous supportez tout sans plainte.

Vous arrivez près de Paris quand Joffre lance son fameux ordre du jour. Il faut vaincre ; il faut s’arrêter, avancer ou mourir.

La Marne ! Une fois de plus, soldats de France vous étonnez le monde. Vous refoulez le boche exécré qui remonte et se terre comme les fauves. C’est le front de la Mer aux Vosges. Puis c’est la ruée sur Calais, c’est la bataille dans le brouillard et dans l’eau, c’est l’horreur partout.

Il vous faut contre-attaquer sans cesse sous la voûte d’acier et de feu des obus crachant la mort. Vous résistez pourtant mais vos camarades tombent et l’on entend d’un français de « debout les morts » qui traversera les siècles.

L’allemand groupe ses bataillons et c’est la ruée plus terrible avec la grosse artillerie, les milliers de mitrailleuses, les lance-flammes, les gaz asphyxiants. Pour défendre Verdun vous combattez pendant quatre mois, vous souffre nuit et jour, vous mourez, mais le monstre s’arrête. Les français toujours, lui ont jeté leur sublime « On ne passe pas ! ».

La bête blessée devient de plus en plus mauvaise. Torpilleurs et gothas font d’innocentes victimes. L’Amérique poussée à bout se joint à nous. L’Angleterre a depuis longtemps fait surgir une armée, et des canons, des munitions nous arrivent tous les jours de ses nombreuses usines. Le boche sent alors qu’il faut en finir au plus vite. C’est la troisième ruée sur Paris, la Somme, le Nord, le Kemmel.

Un soir, deux capitaines français descendent d’une auto qui se range dans la rue du moulin. Un général y reste pendant que les deux officiers prennent les renseignements nécessaires pour un cantonnement de quelques heures. Des autos camions et leurs hommes sont rangés en face de la maison d’école. Tous partiront au petit jour pour renforcer, pour remonter nos alliés qui avaient dû reculer.

Comme toujours, on avait recours aux poilus ! Ah ! soldats de France, on devrait se mettre à genoux devant vous !

La guerre dure depuis 44 mois, quand le commandement unique est donné à Foch. Notre grand chef martèle l’ennemi partout. Bientôt celui-ci recule haletant. Foch frappe sans arrêt. Ses généraux ne laissent aucun répit à l’ennemi qui enfin n’en peut plus.

Alors comme toujours, mes amis, vous avez été admirables. Partout vous avez fait votre devoir, tout votre devoir, et tout le monde le sait, vous admire et vous glorifie. Il n’est pas un endroit sur la terre où on ne sache ce que vous avez fait, ce que vous fîtes tous les jours, et cela est beau, et cela est grand ! Honneur à vous, soldats de France !

Vous êtes partis 50 de Fontaine, 56 avec Lafoisse. Quel vide après votre départ ! Avec quelle impatience les vôtres attendaient tous les jours l’arrivée du facteur. Quelle joie de lire deux morts griffonnés à la hâte par le cher absent. Quel serrement de cœur lorsqu’il n’y avait de nouvelles. Quelle angoisse quand le lendemain et les jours suivants le « rien » se répétait ! Hélas ! Je revois ce petit soldat couché dans un lit d’hôpital, ou sur la terre sanglante, seul loin des siens. J’entends un mot, le dernier, sortant faible comme un souffle de ses lèvres exangues : « Maman ! » Et son âme de héros s’envole avec les anges !…

Chers morts ! Il me semble entendre un murmure sortir de votre tombe.

Vous nous parlez. Vous nous dites : « Nous sommes morts pour que nos enfants et les vôtres ne se battent plus, pour qu’ils ne connaissent pas la guerre.

Ne comptez pas sur une Allemagne repentie. Si vous lui en laissez le moyen, elle recommencera. Si vous montez en somnolant la garde du Rhin, le réveil sera terrible !

Vous nous dites : « Travaillez beaucoup, travaillez avec opiniâtreté pour que la France se relève rapidement, pour qu’elle ne se laisse pas devancer, pour qu’elle reste à la tête des nations.

Vous nous dîtes : « Aimez-vous comme des frères, restez unis comme vous l’avez été pendant la guerre, comme nous l’avons été tous au front. »

Messieurs, écoutons ces morts, aimons-les, honorons-les, souvenons-nous ! et Vive la France !

(L’Abeille de la Ternoise, du 13 août 1922)




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