GAUCHIN-VERLOINGT

Le monument aux morts de GAUCHIN-VERLOINGT


L’inauguration du monument aux morts de Gauchin-Verloingt

Toute la population de Gauchin était rassemblée le 11 juillet dernier, à 3 heures de l’après-midi, autour du monument que, pour perpétuer la mémoire de ses enfants morts pour la France, la commune a élevé au centre du nouveau cimetière. Elle s’y était rendu en un long cortège composé des enfants des écoles, des familles des morts, du clergé, des autorités, du conseil municipal, d’une délégation de l’association des anciens combattants de Saint-Pol, des anciens combattants de Gauchin-Verloingt, et de la foule, nombreuse et recueillie.

Là, en présence de la multitude, M. Lagache, curé de Gauchin, procéda à la double bénédiction du cimetière et du monument commémoratif. Puis d’une voix forte, en des termes empreints des sentiments les plus élevés il exalta la mémoire des morts et leur rendit unpieux hommage de reconnaissance.

Après lui, M. Tagniache, trésorier de la société des anciens combattants de Gauchin, fit l’appel des morts de la guerre 1914/1918 et de la guerre de 1870-1871, chacun des noms étant suivi de la glorieuse réponse : « Mort pour la France ». Les fillettes fleurirent le monument de bouquets et de gerbes, et M. Tierny, président des A.C. de Gauchin, prononça quelques mâles paroles.

M. Denis, secrétaire de l’Association des A.C. de l’arrondissement de Saint-Pol, déposa au pied du monument au nom de l’association, une magnifique gerbe de fleurs et les A.C. de Gauchin une superbe couronne.

Puis M. Benoît Lédé, maire de Gauchin, lit le discours suivant:

« Lorsque en 1913, la commune de Gauchin-Verloingt, devant l’impossibilité reconnue de l’assainissement du terrain marécageux qui lui servait de cimetière, fit l’acquisition de cet emplacement réunissant toutes les conditions désirables, elle ne se serait jamais doutée que la nouvelle Nécropole, qui allait y être érigée, aurait le triste et glorieux privilèges d’être inauguré par la glorification de dix-huit de ses enfants, qui allaient trouver, dans l’affreuse tourmente qui vient d’ensanglanter le monde, avec courage, un entrain et un esprit d’abnégation qui ne se sont jamais démentis, une mort glorieuse, pour la défense de ces idées larges et généreuses que nous n’avons conquises qu’au prix de sublimes sacrifices et qu’en vrais fils de notre grande révolution, nous entendons conserver et livrer intacts à nos descendants. Aux acteurs de cette grande tragédie et à leurs familles, nous adressons ici l’hommage ému de notre gratitude et de notre infinie reconnaissance.

Tous, morts et survivants de ce grand drame, qui restera unique dans les fastes de l’Histoire, vous avez montré pendant plus de quatre ans d’une guerre sans merci et dans les conditions difficiles que l’on connaît, à l’univers civilisé, que vous étiez restés les dignes et glorieux descendants de la seule nation qui fit trembler devant elle l’empire des Césars. Vous vous êtes souvenus que de tous temps, la France, à la gloire immortelle, a vu, aux jours les plus sombres de son histoire mémorable, surgir des héroïnes et des héros pour la défense de ces vieilles vertus gauloises qui ont porté bien haut, au-delà des océans, le prestige de nos armes et le feu sacré de l’indépendance et de la liberté.

C’est sainte Geneviève, bravant les hordes d’Attila et communiquant l’ardeur de la résistance à la vieille Lutèce de nos pères.

C’est Jeanne Hachette, sauvant la ville de Beauvais des troupes mercenaires de Charles le Téméraire.

C’est Jeanne d’Arc, réparant les désastres de Crécy, de Poitiers et d’Azincourt et sauvant la France de la monarchie des Valois.

Ce sont les volontaires de 92 qui, aux menaces de Brunswick et aux appels de la Patrie en danger, répondirent d’un élan unanime en faisant solennellement sur l’autel de la Patrie, le sacrifice sublime de leur vie.

Dans une lutte mémorable de plus de 20 années, ce furent ces invincibles légions, conduites par le nouveau César, à la conquête du monde, que l’Europe coalisée n’avait pu vaincre et dont, en 1812, dans les plaines glacées de la Moscovie, derrière Moscou et le Kremlin en flammes, ne devait triompher qu’un seul ennemi, capable de la faire reculer à jamais : le froid du Nord.

Dans des temps plus modernes, ce sont ces phalanges glorieuses qui s’immortalisaient devant Sébastopol et qui, après avoir lutté glorieusement sur les champs de bataille d’Asie, d’Italie et du Mexique, allaient hélas ! connaître des revers aussi glorieux que sanglants, dus à l’épuisement, à la lâcheté et à la trahison.

Les souvenirs de l’Année Terrible sont encore trop vivaces dans toutes les mémoires, pour qu’il soit besoin d’y revenir. C’est à vous, glorieux descendants de ces braves de 1870, dont quelques-uns sont encore ici parmi nous, qu’allait échoir l’insigne honneur de rétablir l’équilibre européen rompu par le honteux traité de Francfort, de venger la honte de Sedant et d’effacer à jamais ce crime d’Ems, consommé par trois sinistres bandits.

Vous avez parachevé l’œuvre de ce grand Français, de ce glorieux enfant de Cahors, de Léon Gambetta, à la gloire impérissable, qui sauva la France en 1870 et dont l’âme a dû tressaillir d’allégresse, en voyant, l’an dernier, du haut de son piédestal de la place des Tuileries, descendre nos étendards victorieux par cette même avenue des Champs Elysées, par là où les allemands sont entrées dans Paris.

Le glorieux mort de Ville-d’Avray en trouvant en vous, soldats de la Grande Guerre, les vaillants artisans de la revanche a rencontré un digne émule, un autre grand français en la personne du citoyen Clemenceau. Point n’est besoin de faire ici la biographie de ce grand patriote qui sauva la France de 1914 comme Gambetta sauva celle de 1870.

Honneur à ces deux vaillants tribuns qui ont lutté désespérément toute leur vie pour le triomphe de nos institutions et la délivrance de la patrie ; ils furent les chefs et les porte-parole de la résistance et de l’action : c’est pourquoi nous devons honorer leur mémoire et raconter à nos enfants l’histoire de ces deux grands patriotes, qui seront nos inspirateurs, le jour où la guerre, que nous ne pourrons supprimer, serait redevenue inévitable.

Honneur à vous, nobles victimes de l’orgueil et de la barbarie de tous ces vampires couronnés ; paix à vos cendres et malédiction à tous ces tyrans de la terre.

Ce monument, symbole de votre héroïsme et de votre sublime sacrifice, nous le conserverons auréolé de votre gloire. Il sera pour les êtres qui vous sont chers et pour les générations futures, un lieu de recueillement et de méditation, où chacun, dans les épreuves de l’avenir, viendra puiser l’exemple de votre invincible courage et de ces mâles vertus guerrières qui forgent les victoires et engendrent les héros.

Unis dans la paix, comme nous le fûmes dans la guerre, nous le conserverons à l’abri de toute souillure. Mais, si jamais la barbarie voulait de nouveau éteindre nos flambeaux, soldats d’hier et de demain, nous nous lèverions comme un seul homme, criant bien haut à l’oppresseur que nous voulons la paix, mais que si on nous force de nouveau à tirer l’épée, nous en jetterons le fourreau bien loin.

Honneur à vous, mères de famille éplorées, qui nous avez donné de tels héros ; vous avez fait preuve pendant 5 ans d’une guerre sans égale, d’un courage, d’un dévouement et d’une résignation, qui ne se sont jamais démentis.

Honneur à vous, vaillantes françaises qui avaient montré partout dans la vie nationale, à l’ambulance, à l’atelier, à la terre, une énergie à toute épreuve, vous avez montré que vous aviez conservé intactes les nobles traditions de vos héroïques sœurs de Toulouse qui, l’arquebuse à la main, défendaient les remparts de leur ville et mettaient en déroute, après l’avoir tué, les troupes sanguinaires de Simon de Montfort.

Vous avez souffert dans vos plus tendres affections ! Vous avez perdu des êtres qui vous étaient chers ! Mais vous avez acquis des droits à la considération et au respect. Le cœur se serre en présence d’une semblable calamité ; mais si l’on ne peut adoucir toutes les douleurs, on peut du moins calmer certaines difficultés et le gouvernement, par la bouche de ses représentants, nous a fait savoir que l’Etat n’abandonnera point ceux dont les enfants sont morts à son service. Courage, héroïques françaises, votre rôle a été sublime dans le passé, comme il le sera dans l’avenir. Vous répondrez à l’appel de la Nation ! Vous et vos descendants, vous avez encore des services à rendre à la Patrie !

Monsieur le Sous-Préfet,

Au nom du conseil municipal, je vous remercie d’avoir bien voulu présider cette fête du devoir et de la reconnaissance.

Nous regrettons toutefois qu’en raison des multiples occupations dont vous avez la charge, vous n’ayez pu nous accorder que quelques instants et par conséquent nous mettre dans l’obligation de réduire cette fête à sa plus simple impression. Nous savons la sympathie que vous inspirez à tous ceux qui vous approchent et le dévouement sans limites que vous apportez dans vos délicates fonctions. Vous avez conquis l’arrondissement tout entier, et, s’il nous était permis d’émettre un vœu, sans être trop taxés d’égoïsme, ce serait de vous conserver longtemps parmi nous. M. le Sous-Préfet, encore une fois merci, en tout et pourtout vous pouvez compter sur nous.

Nos remerciements vont aussi à M. Dupire, notre si actif et si dévoué conseiller général, à cet homme à l’énergie infatigable et sur le concours duquel nous comptons pour la solution de certains problèmes économiques qui, aux approches de l’hiver, ne sont pas sans inspirer aux esprits bien pensants les plus vives inquiétudes.

Merci à M. l’abbé Lagache, le sympathique curé d’Hernicourt, dont le dévouement pendant la guerre, dans les ambulances et ailleurs, n’a eu d’égale que la grande modestie et que l’on est toujours certain de rencontrer, là il y a un service à rendre, une infortune à soulager.

Merci à notre Commission des Fêtes et à son président, M. Bernard, qui s’est dévoué sans relâche pour la réussite de cette fête.

Merci aux généreux donateurs qui ont répondu à notre appel et nous ont permis d’offrir à nos morts glorieux, un souvenir digne de leurs sacrifices.

Merci enfin à tous nos invités et aux personnes qui ont bien voulu, par leur présence, rehausser l’éclat de cette fête.

Quelque pénible que soit pour nous la triste cérémonie de ce jour, quels que soient les points noirs qui continuer à obscurcir l’horizon, nous ne pouvons nous empêcher de relever la tête avec confiance.

Une nation qui vient de montrer à la face de l’Univers un tel état de sa vitalité peut, sans crainte, dans l’union de tous ses enfants, envisager l’avenir avec confiance et répondre de ses destinées.

Aussi, avant de nous séparer, à la veille de notre grande fête nationale et dans un élan patriotique, c’est du fond du cœur que nous répétons ce double cri : Vive la France, vive la République. »

Après quoi, M. Dupire, conseiller général, rendit hommage aux braves qui, ayant enduré les horreurs d’une lutte sans merci, sont tombés sans le baiser d’adieu et aux parents que la guerre a frappés.

A son tour, M. Henri Marais, sous-préfet, évoqua le souvenir des disparus, exhorta les survivants à se montrer dignes de leur suprême sacrifice et à travailler dans une union étroite et sincère au relèvement et à la grandeur de la Patrie.

Le conseil municipal déposa alors une couronne aux couleurs nationales au pied du marbre et quelques enfants, Olivier Bridoux, René Hervé et Emélie Sotère glorifièrent les morts et les combattants de la grande guerre.

Le De profundis termina cette touchante manifestation de reconnaissance, qui fut suivie de vins d’honneur, servis dans la propriété de M. Bernard Dissaux aux autorités, aux membres du conseil municipal et aux anciens combattants.

(article paru dans L'Abeille de la Ternoise, du 8 août 1920)

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