Le manque de place ne nous a pas permis de rendre compte plus tôt de l’inauguration du monument que la commune d’Hautecloque a élevé le 4 juillet dernier à la mémoire de ses enfants morts pour la France.
Malgré le mauvais temps, la cérémonie que présidait M. Henri Marais, sous-préfet, s’est déroulée au milieu d’une grande assistance dans laquelle on remarquait de nombreuses personnes venues des villages voisins.
Le matin, à onze heures, une messe solennelle avait été célébrée devant le conseil municipal au complet, les anciens combattants en groupe compact et toute la population.
L’après-midi, à 3 heures et demie, furent chantées les vêpres des morts. Puis, à 5 heures et demie, pendant une accalmie eut lieu la cérémonie d’inauguration.
En raison de l’éloignement de la mairie, les autorités, M. Henri Marais, sous-préfet, M. Dupire, conseiller général, M. Willerval de Séricourt, conseiller d’arrondissement, furent reçues au domicile de M. Wissart, adjoint.
Précédé des enfants des écoles parmi lesquels on remarquait les fillettes de l’école communale et de l’école libre, vêtues de blanc et deux charmantes petites Alsaciennes, toutes portant des fleurs et des couronnes, le cortège se rendit au cimetière.
M. le Sous-Préfet ayant enlevé le voile qui recouvrait le monument, M. le curé bénit le marbre ; après quoi, en accents vibrants de patriotisme et empreints d’une réelle éloquence, il glorifia les morts de la paroisse.
Puis ce fut le langage mâle d’un ancien combattant, M. Emile Portier, qui s’exprima en ces termes :
« Mesdames, Messieurs,
Lorsque je fus désigné par mes camarades anciens combattants de la
grande guerre, pour parler aujourd’hui en leur nom, ma pensée s’est reportée
immédiatement à l’époque où, après de dures périodes de tranchées ou
d’attaques, nous allions chercher un moment de repos et d’oubli dans des
villages calmes et tranquilles de l’arrière. C’était alors l’habitude de faire,
dans les compagnies, ce que nous appelions l’appel des manquants pour honorer
ceux qui, trop nombreux hélas, nous avaient quitté sans retour. Laissez moi
aujourd’hui, dans ce cadre familial, reprendre cette coutume, et inclinons nos
fronts à la mémoire de Paul Boucly, Gaston Prévost, Paul Vincent, Désiré
Dupuis, Henri Tramecourt, Arthur Fortier, Jacques de Bertoult, Paul Caty, Emile
Détourné, Ernest Carpentier.
Chers morts, comme pour nous, la vie s’ouvrait belle et radieuse devant
vous. Comme nous, vous rêviez d’un idéal de bonté et de fraternité
universelles ; ce songe, une balle perfide, sournois, rapide ou l’obus
brutal et aveugle ne vous a pas permis de le voir se réaliser. Il ne vous a pas
été donné de voir la victoire couronner nos armes de lauriers. Mais votre nom
brille d’un vif éclat car vous n’avez pas seulement donné votre sang pour la
défense du sol sacré de la Patrie, vous avez fait le sacrifice de votre vie, de
votre jeunesse, de vos aspirations pour la défense du droit et de la liberté de
l’humanité entière menacée par les hordes teutoniques, et cependant, à peine
avons-nous déposé nos armes, que déjà on essaie de ternir notre gloire. A
l’intérieur comme à l’extérieur, mille dangers menacent la France et la
République, cette République d’Union sacrée qui fit notre force et fut tous nos
espoirs. Mais, soyez sans craintes, chers morts, nous, les combattants d’hier,
nous montons une garde vigilante et
nous jurons sur vos tombes vénérées, de sauvegarder notre œuvre commune. A tous
ceux qui voudraient rétrograder vers un passé impossible, à tous ceux qu’attire
le mirage d’un idéal irréalisable et qui, pour y arriver, sont prêts à
sympathiser avec nos pires ennemis, à tous ceux enfin qui, repus des fruits de
nos victoires, parlent déjà de réviser un traité de paix non encore appliqué,
nous crions : prenez garde ; au nom de nos morts nous ne permettrons
pas que nos peines et nos sacrifices soient vains. A nouveau, et s’il le faut,
nous reprendrons nos armes, nous referons un rempart de nos poitrines et de nos
volontés, nous vous jetterons à la face comme nous le faisions naguère à Verdun
et sur tout le front, aux allemands exécrés : Halte-là ! On ne passe
pas. »
En attendant, dormez en paix dans cette terre de France que vous avez
si âprement défendue. Et puisse cette simple pierre élevée à votre mémoire être
toujours fleurie par des mains pieuses et reconnaissantes afin que les enfants
d’aujourd’hui et de demain se souviennent et portent leur regard droit et loin
comme il convient à des âmes droites et fortes au seuil de la vie. »
Après lui, ce fut M. Joseph Pénet, maire de la commune et conseiller d’arrondissement, qui prononça le discours suivant :
« Si j’éprouve toujours un sentiment de profonde sympathie quand je suis
appelé à saluer les soldats de notre beau canton qui ont versé leur sang pour
la France ; je ressens aujourd’hui ce sentiment plus vivement encore dans
cette fête à laquelle je vous ai conviés pour glorifier les enfants de la
commune d’Hautecloque, que j’ai l’honneur d’administrer, et qui sont morts pour
la Patrie.
Votre démarche fervente et émue est digne de nos grands morts et je
remercie particulièrement M. le Sous-Préfet, M. le Conseiller Général et vous,
mon cher collègue au conseil d’arrondissement, d’avoir bien voulu vous trouver
aux premiers rangs dans cette cérémonie patriotique.
Ce monument que nous avons édifié pour commémorer la gloire de nos héros, sera le symbole du souvenir impérissable que nous leur devons et le signe de la reconnaissance et de l’admiration que nous leur garderons souvenir, reconnaissance, admiration ! Mots sublimes et incomparablement beaux quand nous les appliquons à des héros. Souvenir de l’honneur vengé, souvenir des sacrifices généreusement endurés, souvenir de l’union des cœurs dans la vie dure des tranchées où est né dans ce contact de toutes les classes de la société, le germe bienfaisant qui s’est développé, a grandi et grandira encore demain pour la prospérité de la France ! L’union sacrée.
Reconnaissance pour la victoire remportée, et pour nous, mesdames et messieurs, je ne saurai trop le souligner reconnaissance pour l’invasion épargnée. Ah que cette reconnaissance ne périsse jamais et que la vue de ce magnifique monument redise toujours à nous enfants la dette éternelle que nous avons contractée devant les plus grands soldats du monde : Les Poilus Français.
Admiration pour l’héroïsme et la bravoure déployés. Qu’il me suffise d’évoquer la Marne, Verdun, l’Yser, la Somme. Et les batailles gigantesques de nos collines d’Artois, où nos soldats ont donné la pleine mesure de notre passé chevaleresque et guerrier.
Gloire à tous nos héros morts pour la France, gloire particulièrement à ceux de la commune d’Hautecloque sui sont tombés pour nous. Si tous ne peuvent revenir un jour reposer à l’ombre de leur vieux clocher, parce que l’un d’eux, l’adjudant Carpentier, disparu, continuera à monter la garde sur le terrain qu’il a conquis, du moins ce sera une grande consolation de voir leurs noms inscrits sur le tableau d’honneur placé sous la croix du Christ dans le cimetière de notre commune. »
MM Henri Marais, sous-préfet, Dupire, conseiller général, Willerval de Séricourt, conseiller d’arrondissement, à tour de rôle, rappelèrent les mérites de nos héros, l’étendue de leur sacrifice et exhortèrent les survivants à se montrer dignes de ceux qui ont donné leur sang et leur vie pour la défense de la Patrie, et à travailler dans l’union complète des esprits et des cœurs, au relèvement de notre France meurtrie et appauvrie.
Les vins d’honneur offerts au domicile de M. Wissart, adjoint, aux autorités et aux anciens combattants, terminèrent cette simple, touchante et inoubliable cérémonie.
(Article paru dans L’Abeille de la Ternoise, du 1er août 1920)