HUMEROEUILLE

Le monument aux morts d'HUMEROEUILLE

L’inauguration du monument aux morts d'Humeroeuille

Le 30 octobre, sous la présidence de M. Dupire, conseiller général, eut lieu l’inauguration du monument élevé à la mémoire des enfants d’Humeroeuille, morts pour la Patrie.

Dès le matin, les habitants rivalisaient de zèle pour pavoiser et dresser de magnifiques fausses portes.

A 10 heures, un service solennel fut célébré par M. le curé d’Humeroeuille devant une assistance nombreuse, empressée à rendre hommage aux morts de la commune. Après la messe, il fut procédé à la bénédiction du monument. M. le curé prononça une allocution qui impressionna toute l’assistance. De gracieux petits enfants déposèrent au pied du monument gerbes et couronnes.

A 3 heures et demie, le cortège s’ébranlait dans l’ordre suivant : deux pages précédaient Jeanne d’Arc superbe sur un cheval richement caparaçonné et conduit par un gentil écuyer en livrée ; 4 écuyers ; les sapeurs pompiers de Blangy ; la France en deuil au milieu des pupilles de la Nation et suivie des familles éprouvées ; les jeunes filles porteuses de gerbes de fleurs ; la France victorieuse avec l’Alsace ;  la Lorraine ; les élèves de l’école ; les anciens combattants ; les autorités. Suivait une foule nombreuse parmi laquelle de charmantes quêteuses habillées en infirmières, distribuaient l’insigne tricolore. Dirigé par d’énergiques commissaires, le cortège se déroula dans un ordre parfait et se rendit au pied du monument. Tour à tour, M. le Maire, un ancien combattant, M. Dupire, prirent la parole. Les discours furent coupés de poèmes et de chants par les élèves de l’école qui récitèrent et chantèrent avec une remarquable expression. A 4 h et demie, un vin d’honneur, réunissant les autorités, les familles éprouvées, les anciens combattantes, les sapeurs-pompiers de Blangy, termina cette journée admirable, mêlée de recueillement et de joies. Honneur aux habitants d’Humeroeuille qui ont prouvé qu’ils n’oubliaient pas les enfants morts pour la Patrie.

Sincères remerciements au petit comité si dévoué, qui a prêté son gracieux concours pour l’organisation de cette fête.

Discours de M. Evrard, Maire :

« La joie immense de la paix est cependant enveloppée de deuil et, aujourd’hui encore, l’on entend des glas dans le carillon vibrant de notre cloche. La victoire évoque la pensée des victimes qui en furent la rançon, de tous ceux qui en ont été les artisans célèbres ou obscurs.

Non, ils n’ont pas été inutiles les admirables efforts qu’a déployés le pays au cours de cette guerre sans précédent dans l’histoire, avec une ténacité qui a valu à la France l’admiration de toutes les nations. Après les preuves d’énergie, de bravoure qu’a données notre Patrie, elle a le droit de lever noblement la tête et de reprendre sa place au premier rang des puissances du monde.

Non, il n’a pas été perdu le sacrifice de ces centaines de milliers d’hommes glorieusement tombés sur la ligne de feu, jusqu’au jour où l’offensive victorieuse de Foch a bouté l’ennemi hors de France. Mais on doit reconnaître, hélas ! qu’un tel sacrifice fut et demeure bien pénible et douloureux. De ces 1.500.000 héros, dont nous voulons perpétuer la mémoire, souvenons-nous, car le souvenir des morts est une des expressions les plus touchantes de la fraternité qui relient les unes aux autres les générations humaines.

Sont morts pour la France les enfants de la commune d’Humeroeuille : Cappe Achille, Lebrun Gilles, Delattre Jules, Croussy Amand, Soyez Julien, Bruno Warin, Neuvéglise Louis.

O, vous tous ! infortunés parents qui m’écoutez, représentez-vous, avec moi, combien doit être grande l’angoisse de nos chers enfants, lorsque, étendus sur un lit de souffrances, cruellement mutilés ou gisant sur le champ de bataille, mortellement frappés, ils cherchaient autour d’eux, dans leur suprême agonie, un regard ami, attendant, le désespoir au cœur, avant de s’endormir pour toujours, le doux visage d’une mère bien aimée, d’une épouse tendrement chérie.

Loin d’avoir voulu la guerre, nos vaillants disparus étaient plutôt pour la paix. Mais leurs sentiments se modifièrent du tout au tout, en présence des ambitions de l’orgueilleux Kaiser qui déchaîna sur le monde le terrible fléau. L’indignation du patriotisme enflamma leurs cœurs. Ils se dressèrent contre un ennemi déloyal et barbare, formidablement formé et défendirent leurs foyers, leurs champs, leurs femmes et leurs enfants. Soldats du droit, ils ont eu la gloire incomparable de faire échec à la science et à la méthode allemande de rendre à la mère patrie l’Alsace et la Lorraine, de sauver le monde de la servitude et de la barbarie.

Mais ils ont connu aussi, eux que choyaient les mères tendres et dévouées, ils ont connu la misère de la soif et de la faim, les averses de l’automne, la boue glacée et enlisante, les nuits sans repos, les lentes agonies dans les fils de fer et les tranchées. Rien n’a manqué à leur douloureux calvaire. Gloire à eux ! Honneur aux martyrs qui ont tous souffert plutôt que de faiblir ! Sur tous les champs de bataille, que ce fût Yser, Somme, Verdun, Nancy, Orient, ils ont bravé la pluie de fer et de feu, ils ont foncé sur les baïonnettes et sur les canons, ou se sont fait tuer sur place. Et aujourd’hui, suprême récompense qu’ils ont entrevue du fond de leur âme, pour laquelle ils sont morts, la France est libre, la France est vivante.

Il ne faudrait vraiment pas que ces héros soient morts en vain. Elèves des écoles, jeunes gens qui m’écoutez, élevez vos âmes vers le souvenir de vos aînés ; que leur exemple soir pour vous source de lumière et d’énergie ; abandonnez-vous à son influence. Du fond de leur tombe, ceux qui sont décédés vous appellent au travail qui doit féconder leur victoire. Leur tâche est terminée, la vôtre commence.

Travaillez pour que revive plus claire et plus belle la France de demain, pour qu’elle se montre toujours digne du passé.

Et tous, mères au cœur meurtri, veuves endeuillées, pères infortunés, frères et sœurs attristés, tous inclinons-nous devant les sépultures avec respect, admiration, fierté, gratitude infinie.

Nobles enfants d’Humeroeuille, chers disparus, dont nous avons évoqué tout à l’heure les noms glorieux entre tous, reposez en paix. Héros, au courage sublime, nouveaux spartiates. Titans même, dormez en paix.

Humeroeuille ne vous oublie pas. Le monde entier vous admire. La Patrie vous remercie. »

Après quoi, M. Evrard adresse ses remerciements au Comité pour le précieux concours qui lui a apporté dans l’organisation de cette fête, aux habitants d’Humeroeuille, à M. Dupire, conseiller général, à M. le Curé, à Mlle l’institutrice, et à toute l’assistance.

Discours de M. Gaston Hérard, ancien combattant :

« Brutalement assaillie en 1914, la France, d’un seul élan, se trouve debout.

Répondant à son appel, 42 enfants de la commune d’Humeroeuille, sont partis se ranger à côté de leurs frères d’armes, pour barrer la route aux barbares envahisseurs de nos plaines pacifiques.

Le choc fut dur, contre un ennemi préparé depuis longtemps à la guerre, contre les hordes teutonnes, enivrées par de premiers succès, auxquelles l’on avait promis Paris et le nord de la France.

Les noms gravés sur ce monument sont là pour rappeler ces souffrances aux enfants, qui encor sur les bancs de l’école, n’ont pas connu le poilu plié sous le barda et tout couvert de cette terre de France, qu’il défendait pas à pas : à ces enfants qui n’ont pas vu la froide mélancolie de ces yeux résignés devant la mort, apprenons ce que veulent dire ces simples morts : Mort pour la France.

Un mort pour la France, c’est ce soldat qui, en 1914, répondant au premier appel, est parti confiant dans les destinées de la Patrie, résolu à faire noblement son devoir, et qu’un obus couchait dans la tombe quelques semaines plus tard.

Un mort pour la France, c’est le poilu bondissant de sa tranchée pour une charge à la baïonnette ; il fonce sur le boche, mais hélas, un éclat d’obus l’arrête dans sa course, il baigne dans son sang, les balles sifflent à ses oreilles, les obus tombent autour de lui, la pluie vient achever de détremper son pauvre corps presque inanimé ; enfin, ramassé après plusieurs jours de cette agonie, il expire en arrivant dans un hôpital.

Un mort pour la France, c’est ce petit soldat qui, rempli d’espoir et de courage, arrive au front en renfort, mais dès ses premiers combats, il est foudroyé par une balle en pleine tête, et l’on ne sait où repose son pauvre corps perdu dans la fournaise.

Un mort pour la France ? c’est le poilu quittant sa femme et ses enfants, pour armer son bras contre l’envahisseur, et qui quelques jours après son départ, ne laisse plus qu’une veuve et des orphelins.

Un mort pour la France ! C’est le poilu qui, après avoir traqué le boche sur le front français, confiant dans sa constitution robuste, part pour l’Orient, où il accomplit les plus valeureuses prouesses.

Exténué de fatigue et abattu par le climat, il revient dans son pays où il espère rétablir sa santé pour reprendre la lutte ; mais, contraint à rentrer dans un hôpital, il expire loin des siens.

Un mort pour la France ! C’est ce jeune soldat qui a quitté ses affections de 20 ans, pour gagner le front avec ses camarades. Au moment où l’ennemi, plein de rage, tente encore une fois de crever les lignes françaises. Malgré la mitraille, il est là, en bras de chemise, près de son canon de 75, semant la mort dans les rangs ennemis, quand, tout à coup, la pièce éclate, le fauchant sans pitié à la fleur de l’âge.

Un mort pour la France ! C’est le poilu qui fut pendant quatre longues années, enlisé dans la boue des tranchées sous la pluie, la neige, bravant la mitraille et les gaz asphyxiants et, qui dans la fournaise de Verdun criait aux armées du Kronprinz : « On ne passe pas ». Ce poilu, qui a vu le boche chancelant et presque terrassé, se préparait à défiler sous l’Arc de triomphe, et à rentrer chez lui en vainqueur ; quand onze jours avant l’armistice, une balle ennemie vint le coucher par terre, et mettre fin à son rêve.

Chers camarades tombés pour la plus noble des causes, vous êtes morts pour sauver notre France du joug des barbares. Vous avez eu seulement l’espoir du succès final. Gloire à vous ! 

Nous, vos camarades de combat, qui avons eu la suprême joie de voir l'ennemi détesté, chassé hors de France, nous nous inclinons avec respect devant vos familles éplorées qui gardent au coeur le deuil d'un être toujouts cher, et pour qui l'amertume de la séparation est toujouts aussi cruelle, aussi déconcertante.

Nous garderons en héritage, comme un dépôt sacré, l'exemple de votre sacrifice, et nous répétons devant vos tombes, les vers du poète :Parmi les plus beaux noms, vos noms sont les plus beaux. »

(article paru dans L’Abeille de la Ternoise, du 13 novembre 1921)



Retour à la page d'accueil