Dimanche dernier, sous un ciel bleu resplendissant de soleil, Le Souich « le beau village » comme disaient les Anglais qui y cantonnèrent nombreux pendant la Grande Guerre, Le Souich était en fête. Il s’était paré avec un soin et un goût remarquables. Pour orner la principale rue et le monument aux morts, les nombreuses fleurs des jardins avaient été moissonnées, rassemblées, en gerbes, bouquets ou couronnes, elles étalaient leurs teintes variées et si gaies, garnissant de magnifiques arcs de triomphe, encadrant guirlandes et drapeaux. Joli mois… d’octobre, que de jolies fleurs tu as fait pousser dans les parterres de Le Souich :
Comme elle était belle la rue d’Arras.
Comme elle était engageante la montée du cimetière et de la coquette petite église ! Et comme il est gracieux le monument commémoratif élevé sur la petite place : le matin, une foule émue et recueillie assistait à la messe de Requiem.
Du haut de la chaire, après avoir glorifié nos poilus « sublimes de courage et de dévouement, qui, sans cesser d’avoir dans les yeux l’image chérie de leur clocher, mouraient pieusement pour la Patrie », en des termes touchants, M. le Curé prononça de consolantes paroles. A l’offrande, en un interminable défilé, parents et amis des glorieux sacrifiés, allèrent s’incliner religieusement devant le catafalque du chœur, surmonté d’un casque de poilu, entouré de draperies de deuil où se mêlaient au noir et aux larmes argentées, le bleu, le blanc, et le rouge des drapeaux nationaux.
La messe terminée, les assistants visitèrent les tombes militaires et y déposèrent des brassées de fleurs. A 14 h 30, les tambours et les clairons sonnaient le rassemblement à l’est du village. Un imposant cortège se forma, ayant à sa tête deux braves vétérans de 1870 portant une palme de feuilles de chêne et de laurier en hommage à leurs émules si noblement « entrés dans la carrière » après eux. Et le défilé commença aux accents d’une marche funèbre exécutée par la fanfare de Bouquemaison. Dans un ordre parfait, avec une régularité étonnante, il se déroula grandiose jusqu’au pied du monument.
Alors eut la cérémonie de l’inauguration que présidait M. A. Petit, vice-président du Conseil Général du Pas-de-Calais, Premier Président de la Cour d’appel d’Amiens.
Nous n’entreprendrons pas dans toutes ses formes et tous ses détails le récit des solennels hommages adressés aux symboliques pierres destinées à commémorer les glorieux morts de Le Souich, mais nous tenons à souligner tout de suite l’habile direction qui a présidé à l’organisation de cette belle fête du souvenir et de la reconnaissance, l’esprit de concorde qui paraît régner dans la population, qui fut remarquable par son pieux recueillement.
A l’appel de chaque nom inscrit sur le marbre, un officier présentant le sabre, répondait : « Mort pour la France ».
La parole émue de M. le Maire, le discours de M. Bouillet, conseiller d’arrondissement, la longue mais ordonnée et claire improvisation de M. Am. Petit, qui sait si bien trouver l’expression qui frappe, la phrase qui chante et n’oublie jamais l’enseignement à retenir, les chants, les déclamations et la musique de la fanfare de Bouquemaison nous conduisirent jusqu’à la bénédiction religieuse qui fit couler les larmes restées par endroits opiniâtrement suspendues aux paupières.
Nous vîmes de gracieuses jeunes filles portant très heureusement le costume alsacien et lorrain ou représentant merveilleusement la « Belle France ». Nous entendîmes de très jolis chœurs vraiment bien exécutés. Nous fûmes particulièrement impressionnés par l’audition d’un poème récité avec autant d’art que de sentiment. Nous ajouterons que les remerciements adressés par M. le Maire à son collègue de Bouquemaison, à la fanfare et aux pompiers de cette commune qui prêtaient leur concours.
Dans le groupe des « Anciens Combattants », nous remarquâmes deux drapeaux : celui de Bouquemaison en avant et celui de Le Souich, vingt pas en arrière. Ceux qui se groupaient derrière ces étendards étaient les premiers au pied du monument. A les regarder, nous pensions : « Ils étaient avec ceux que nous pleurons ». Et tous bas, en nous-mêmes, à eux aussi, nous disions : « Braves poilus, merci ! ». M. le Maire, pas plus que nous, n’a osé le dire tout haut. Les remerciements en pareille circonstance, eut été les désobliger. Nous ne pouvons que nous réjouir de les voir si bien fraterniser et nous incliner devant eux.
La fête s’est terminée à la mairie où eut lieu la dislocation, après les vins d’honneur.
Belle manifestation qui laissera
une profonde impression à tous ceux qui y assistèrent.
(Le Courrier du Pas-de-Calais, novembre 1920)