PERNES-EN-ARTOIS

Le monument aux morts de PERNES-EN-ARTOIS

Inauguration du monument aux morts de Pernes-en-Artois


Pour nos morts

M. Alfred Salmon, maire, conseiller général, adresse à ses concitoyens, l’appel suivant :

« Voulant élever à la mémoire des enfants de Pernes morts pendant la dernière guerre, un monument digne de leur souvenir, le conseil municipal a provoqué les offres de nombreux marbriers et a arrêté son choix sur l’un des modèles présentés par MM Dechamps et Lefèvre de Lillers.

De grand style, de conception artistique, ce monument d’une hauteur totale de 6 mètres, parera notre cité et témoignera à tous de notre éternelle reconnaissance envers les morts pour la Patrie. 

Pour réaliser ce projet, il nous faut tout votre concours. Nous venons faire un pressant appel à votre générosité ; nous venons solliciter vos offrandes les plus grandes comme les plus petites.

La première souscription faite n’est pas digne de notre ville, il nous faut recommencer.

Chers concitoyens, soyons généreux ; n’oublions pas que c’est grâce au sacrifice de la vie consenti par nos soldats que nous devons de n’avoir pas été envahis, de ne pas avoir vu nos foyers dévastés ; que c’est grâce à leur dévouement que nous avons pu travailler, faire des affaires prospères alors que nos proches voisins partaient pour l’exil, fuyant l’invasion totalement ruinés.

Que les commerçants de Pernes, tous sans exception, répondent largement à notre appel qu’ils souscrivent généreusement ; que les familles qui ont eu le bonheur de ne pas payer le lourd et douloureux impôt du sang témoignent, par une souscription généreuse, de toute leur gratitude et leur compassion aux familles des soldats morts au champ d’honneur. 

Le monument doit coûter 24.000 francs, nous avons 3.000 francs, la ville souscrit à 7.000 francs.

Donnons généreusement pour que le monument élevé à la mémoire de nos chers héros soit digne d’eux, digne de leur sacrifice ; pour ce que monument témoigne aux générations à venir, non seulement de la grandeur de ce sacrifice, mais aussi de la reconnaissance des habitants de Pernes.

Nous devons à la mémoire de nos héros ce qu’en pareil cas les hommes témoignent aux plus grands d’entre eux : l’hommage du souvenir, traduit par l’érection d’un marbre ou d’un bronze.

Souscrivons largement ; Pernois, soyons dignes de nos frères morts pour la Patrie. »

Souscription pour l’érection d’un monument aux morts

M. Alfred Salmon, maire de Pernes, adresse à ses administrés les remerciements suivants :

« Chers Concitoyens,

La souscription faite en vue de l’érection d’un monument aux soldats de Pernes morts pour la Patrie a dépassé toutes nos espérances. Vous avez compris notre appel, vous avez voulu témoigner à nos chers morts et à leurs familles votre respectueuse et infinie gratitude.

Votre générosité reconnaissante permettra à la ville de Pernes d’élever à nos héros un monument digne de leur sacrifice.

La souscription a donné 14.650 francs, qui joints à la première souscription et à la contribution de la commune couvriront les 24.000 francs que doit coûter le monument.

A tous, de grand cœur, merci ; merci, au nom de la Ville de Pernes, merci au nom des familles de nos héros. »

Inauguration

L’inauguration du monument aux morts pour la Patrie aura lieu le dimanche 14 août prochain dans la ville de Pernes-en-Artois, sur l’ancien emplacement de la Pipe.

Cette belle fête, qui sera présidée par M. le Sous-Préfet de Saint-Pol, s’annonce comme devant être particulièrement brillante tant par la beauté majestueuse du monument blanc de Carare, qui sort des ateliers de M. Authom-Bienfait, marbrier à Saint-Pol, que par le nombre des sociétés qui y participeront et l’importance des primes qui seront distribués.

La pose de la première pierre du soubassement a eu lieu mercredi dernier, par M. Salmon, Maire, assisté de MM Vaillant, adjoint, Dauthuille et Videlaine, conseillers municipaux.

Cérémonie patriotique à Pernes-en-Artois

Dimanche 14 août 1921, la ville de Pernes, dans un élan d’admiration fervente et d’ardente gratitude, a glorifié la mémoire de ceux de ses enfants qui sont tombés au champ d’honneur.

Belle et réconfortante journée, au cours de laquelle tous les cœurs s’étaient donné rendez-vous dans ce culte glorieux que nous rendons partout aux immortelles victimes de la guerre, en dédiant à leur mémoire le monument qui doit instaurer la religion des héroïques martyrs de la foi patriotique !

Tous les habitants avaient rivalisé de goût pour le décor des rues de la cité. Puissamment stimulé par la municipalité, ce zèle réussit à faire des merveilles, et Pernes nous offrit ce jour-là un spectacle que nous n’avions jamais connu. Nombreuses et artistiques étaient les fausses portes et les arcs de triomphe que reliaient des rangées de poteaux tricolores et au travers desquels couraient des multicolores guirlandes achevant de donner à la ville un aspect féerique. Le décor de la Grand’Place était particulièrement soigné, et la rue nationale offrait la splendide perspective d’une légère voûte de gloire aux couleurs nationales. Ajoutons à cela un  nombre incalculable de drapeaux, d’oriflammes, de draperies, émaillent la lugubre sévérité du houx, du sapin et du lierre : tout cela faisait de la cité une véritable voie triomphale, une nouvelle voie sacrée. Et c’est dans ce site poétique, enluminé, c’est à travers ces chatoyantes avenues qu’allaient se dérouler les grandioses cérémonies organisées pour l’inauguration de notre monument.

A 10 h, une messe solennelle est chantée pour nos chers disparus. L’église est somptueusement ornée et la suave blancheur de notre « petite cathédrale » disparaît sous les faisceaux de drapeaux. Des massifs de verdure, des fleurs entourent l’autel ; et, dans le flamboiement des cierges, se dresse, en plein chœur, le cercueil recouvert d’un magnifique drap tricolore.

Dès 9 h 30, la foule emplit les nefs. Habitants de la commune et invités se pressent pour que chacun puisse trouver place. Notre église est bientôt trop petite, et le flot va déborder. Les Sociétés arrivent, auprès du cercueil se rangent les drapeaux sublimes couleurs qui, hier encore, emportaient, suspendues à leurs hampes, toutes les libertés du monde. Tandis que les orgues résonnent sous les doigts de M. Lagnier, exécutant la Marche triomphale de Widor, M. le Sous-Préfet, M. le Maire et le Conseil municipal vont occuper leurs places.

La messe commence, célébrée par M. Lepoivre, chapelain de Ferfay. A la tribune, la Chorale La Lyre ouvrière, de Bruay, chante, sous la direction de M. D. Souliard, la Messe de Ziegler. Viennent alors un Hymne aux morts, de M. Lagnier, le Maria Mater Gratiae, de Guidi, Près du fleuve étranger, de Gounod. Tout est admirablement interprété ; nos voûtes retentissent d’accords harmonieux et la Chorale de Bruay recueille les félicitations unanimes de la population. Daignent MM Souliard, Turbiez, Lesoing, Régnier et tous les choristes trouver encore ici l’expression de nos remerciement les plus vifs.

L’allocution est donnée par M. le chanoine Bridoux, mutilé de guerre, chevalier de la légion d’honneur, noble figure dont notre arrondissement s’enorgueillit à si juste titre. Prêtre et soldat, il va parler avec son âme de Français et d’apôtre et donner aux oreilles avides de l’entendre un merveilleux morceau d’éloquence patriotique et sacrée.

In memoria aeterna erit Justus. C’est le texte qu’il a choisi. «  Le cœur de l’homme est fait pour se souvenir comme pour aimer, et ce souvenir, qui est pour lui une précieuse ressource, un miroir magique, fait revoir et revivre les êtres disparus et les joies passées. Parmi les souvenirs qu’évoque une si grande guerre, il n’en est pas de plus auguste, de plus saint, que celui de nos soldats, morts pour la France. La voix du peuple les appelle des héros, des sauveurs et des martyrs » Faisant alors l’éloge des « gas du Nord », l’orateur continue : « C’est pour nous une noble tâche que de commémorer aujourd’hui la mémoire de nos chers disparus, soldats braves entre tous, semeurs de confiance, faucheurs d’ennemis et moissonneurs de victoires. » Il évoque « le jour fatal, plus sombre que la nuit, où la sombre nouvelle s’enfonça comme un glaive dans les cœurs désolés pour y causer une douleur d’autant plus vive que nous n’avons pu revoir une fois encore nos chers disparus, consoler leur agonie, recevoir leur dernier adieu, leur donner un dernier baiser. » Puis c’est l’exaltation de l’héroïsme : « Leur linceul sanglant est un manteau de pourpre et de gloire ; ils ont été des héros par l’accomplissement du devoir et par la vaillance de leur conduite.

Leurs noms obscurs hier, sont illustres aujourd’hui ; avec nos familles, notre patrie et la civilisation elle-même, ils ont sauvé notre honneur et notre liberté. Voilà leur vertu, voilà leurs actes. Gloire à nos sauveurs ! Gloire à nos martyrs ! Le martyr, en effet, donne sa vie pour une noble cause ; est-il cause plus grande et plus sainte que celle de la Patrie ? Belle sera donc leur couronne et grande leur récompense : ceux-là en effet meurent dans le Seigneur, qui meurent en faisant leur devoir. » Et l’orateur enflammé poursuit : « Il me semble voir déjà en compagnie des anges et des saints, à la suite des vainqueurs d’Attila, des preux, des croisés, des hommes d’armes de Duguesclin et de Jeanne d’Arc, des fiers soldats de la royauté, des combattants légendaires de l’Empire, des héros de 70, et de tous ceux qui ont fait la France et porté sa gloire et son nom jusqu’aux extrémités du monde : Gesta Dei per Francos.

Que nos prières, ajoute-t-il, fleurs que la tombe préfère, montent vers eux comme un pur encens pour les aider à franchir l’Arc de Triomphe du Paradis ! … Gloire donc à vous, braves enfants de nos campagnes, saintes victimes, vous êtes le joyaux de la cité. Puisse le monument, érigé en votre honneur, maintenir votre image chérie et faire passer dans vos familles le souffle du devoir … Héros sublimes, sauveurs de la Patrie, martyrs du devoir, à nous nos larmes et nos prières, notre admiration et notre reconnaissance, à vous le culte fervent de nos cœurs jusqu’au jour suprême de la gloire éternelle. »

A la fin de la messe, le cortège se forme pour aller bénir le monument et, dans un ordre impeccable, nous oyons défiler les enfants des écoles, la Jeunesse Catholique, les sapeurs pompiers, les secours mutuels, la musique municipale, les anciens combattants, la chorale de Bruay, précédant le clergé, les autorités et les fidèles.  Un silence religieux plane sur la ville et, dans ce recueillement des âmes, on devine la prière, l’hommage que, du plus profond du cœur, on adresse aux morts.

Un rayon de soleil rend alors plus radieux encore notre superbe monument ; les reflets se font plus vifs pour donner tout leur lustre à la pierre et au bronze. Le poilu en marbre de Carrare se dresse plus fièrement sur son socle de granit rose, et les noms de soldats gravés en lettres d’or brillent de tout leur éclat et donnent à leur auréole plus de splendeur. Au pied du monument un très gentil massif dû à l’heureuse conception de M. Andrieux, horticulteur à Saint-Pol, offre à nos poilus les pétales les plus pures des fleurs les plus belles et achève de donner  l’œil une vision superbe.

Au Drapeau !… Une sonnerie de clairons ! … M. le Doyen bénit le monument ainsi que le drapeau de la section des anciens combattants de Pernes.

Prenant ensuite la parole, il félicite la municipalité pernoise d’avoir donné un bel exemple d’union sacrée en associant si pleinement la religion à l’hommage rendu aux morts de la guerre.

« Par ses prières et ses bénédictions, dit-il, la religion élève au-dessus de l’ordre profane les monuments du souvenir et de la reconnaissance. Elle les marque du signe de la Croix, symbole d’espérance et de résurrection. Elle les rend, par là-même, doublement imposants, doublement dignes de la vénération des passants. Sans la religion, sans ses dogmes d’immortalité, tout ce que nous pourrions faire et dire serait à la mesure de notre fragilité.

 Vous l’avez compris, Messieurs de la municipalité, et c’est pourquoi vous avez voulu que la religion fut ici votre première invitée. Vous lui avez demandé de donner à votre cérémonie son cachet propre, son éclat incomparable. Vous avez voulu que le premier acte de cette grande journée fut un acte de foi, une touchante supplication, une prière collective pour l’âme de nos héros.

Leur apothéose n’est plus à faire, ajoute M. le Doyen, mais il faut remercier le chanoine Bridoux de s’être acquitté si parfaitement de cette noble tâche…

 Un survivant des champs de bataille, glorieux s’il en fût, un miraculeux rescapé de la terrible rafale, un brave parmi les braves s’est chargé de célébrer les héros, ses frères qui ne sont plus. En termes éloquents jusqu’au sublime, il a redit tout au long leur douloureux calvaire, leur suprême sacrifice, la gloire que Dieu leur réserve là-haut, comme aussi les leçons que nous devons recueillir de leurs exemples. Nul doute que nous l’eussions applaudi, maintes fois, sans la sainteté du lieu qui nous réunissait. Hélas ! cher Monsieur Bridoux, vous êtes le seul à ne rien voir de la parure de gloire qui vous couvre celle de vos croix et de vos médailles, celle plus brillante encore de vos cicatrices et de vos meurtrissures. Pardonnez-moi de raviver peut-être, par ces paroles, de cuisantes douleurs. Pardonnez-moi de les faire pleurer peut-être ces pauvres yeux, qui se sont fermés pour toujours aux clartés de la terre.

En vérité, je ne sais comment traduire l’émotion, la reconnaissance, l’admiration que vos paroles ont fait naître dans tous les cœurs. Votre modestie, je le sais, se dérobe à nos applaudissements. Agréez du moins avec l’assurance de nos vœux, avec nos sentiments de vive sympathie, l’hommage de notre profonde gratitude. »

Quand les applaudissements ont salué le discours de M. le Doyen, une cantate est exécutée par l’école libre ; la chorale de Bruay donne un chant de victoire et deux petites filles nous font entendre une délicieuse poésie de circonstance.

M. Salmon, maire, conseiller général, prend alors la parole pour remercier les habitants de tout ce qu’ils ont fait pour la beauté de la fête. Il dit sa joie de voir si bien commencée une telle « journée d’honneur, de souvenir et d’espérance qui doit vouer à l’édification des générations futures, un monument si beau, si imposant, si digne de nos héros et de leurs sacrifices … Ce monument symbolisera la tombe des disparus et l’autel de la Patrie. 

C’était, ajoute-t-il, la légitime ambition de nos concitoyens de répondre à notre appel pour donner, aux familles pernoises, une suprême consolation, en rendant à leurs enfants les honneurs les plus solennels. »

M. le Maire remercie alors M. le doyen de la belle cérémonie qu’il a préparée ; il se félicite des rapports cordiaux qui unissent le clergé et la municipalité, et souhaite que sa ville continue à donner le plus large et le plus pur exemple d’union sacrée. S’adressant alors à M. Bridoux, il le remercie de nous avoir donné une allocution d’une si belle éloquence et d’une si haute portée nationale. « Vous avez fait, lui dit-il, tressaillir nos âmes douloureusement et patriotiquement. »

Les fêtes du matin sont terminées ; chacun rentré chez soi sous le coup d’une belle cérémonie où la Religion et la Patrie ont rendu à nos héros et à nos martyrs un tel hommage de reconnaissance et de gloire …


Dès le début de l’après-midi, les promeneurs se font très nombreux et nos rues nous offrent le spectacle d’une véritable marée humaine quand les sociétés sont arrivées.

A 4 h, les vins d’honneur offert à la mairie.

A 5 h, le défilé s’ébranle et nous pouvons apprécier le génie d’organisation qui a présidé à sa formation.

Viennent en tête les sapeurs-pompiers de Pernes, les enfants des écoles, de jeunes Alsaciennes et Lorraines, des jeunes filles portant des fleurs. Puis, les trompettes, les mutilés et les secours mutuels de Floringhem, la société de gymnastique de Camblain, l’Harmonie de Saint-Pol, les pompiers et les secours mutuels de Saint-Pol, les anciens combattants d’Hestrus, les trompettes de Rimbert, les pompiers d’Anvin, les anciens combattants de Fiefs, d’Anvin, d’Erin, de Teneur, de Monchy et environs, les pompiers d’Auchel, les Secours mutuels de Bailleul, les anciens élèves de Pressy et de Tangry, les pompiers d’Heuchin, l’Harmonie de Pernes, les anciens combattants de Pernes, les secours mutuels de Pernes, l’Harmonie du Commerce d’Auchel, la Chorale de Bruay et les autorités.

Les cuivres sonnent, les tambours battent, les drapeaux passent sous les arcs de triomphe et portent l’enthousiasme par toute la ville. Les sociétés viennent alors se ranger sur la Grand’Place ; les Fanfares vibrent plus allègrement que jamais, les drapeaux s’inclinent. M. le Sous-Préfet, suivi de M. Salmon, de MM les Conseillers d’arrondissement et du conseil municipal, passe la revue et réserve à chacun le mot charmant qui permet de goûter une fois de plus son tact et sa bonté.

Le défilé se remet en marche pour gagner le monument ; la gendarmerie assigne la place de chacun, tandis que la Musique municipale lance à tous les échos les accents enflammés de la Marseillaise.

M. Aerdens, président de la section des anciens combattants, prend la parole :

« Ils ont été à la peine

Qu’ils soient à l’honneur !

Mesdames, Messieurs,

Cette devise, que vous avez pu lire sur l’un des arcs de triomphe élevés par la population pernoise en l’honneur de ses concitoyens tombés au champ d’honneur, je suis persuadé que tous, vous l’avez faite vôtre. Que signifierait en effet votre présence ici, si vous n’aviez pas voulu rendre à nos héros un témoignage éclatant de la reconnaissance qui leur est due ? Non, n’est-ce pas, ce n’est pas un vain sentiment de curiosité plus ou moins sympathique qui a guidé votre démarche. C’est, bien au contraire, un sentiment des plus purs, un sentiment de foi patriotique. Oui, tous, vous croyez qu’il était de votre devoir d’assister à cette cérémonie en l’honneur de ceux, parents ou non, dont les noms figurent en lettres d’or sur ce magnifique monument qui est devant vous.

Ils ont été à la peine ! Vous êtes-vous jamais figuré, Mesdames et Messieurs, les souffrances atroces endurées par le poilu de France durant cette guerre de plus de quatre années qui leur fut imposée par un peuple de barbares, voulue par un monarque sans scrupules, qui ne voyait dans cette guerre qu’un moyen d’arriver à ses fins, c’est-à-dire à l’asservissement des peuples libres.

Songez à ce que devait être la vie du poilu dans les journées démoralisantes de la retraite de Belgique, dans les marais de l’Yser et dans ceux de la Somme, dans l’enfer de Verdun, dans les plaines crayeuses de champagne, en Italie, en Orient et dans les mille endroits où le combat a fait rage. Pensez à la lutte sous un soleil de plomb ou dans la boue des tranchées. Représentez-vous, si vous le pouvez, toutes les horreurs des champs de bataille, avec les plaintes et les gémissements des blessés, les appels vains des agonisants. Songez à la mort du prisonnier en Allemagne, après une captivité plus ou moins longues dont les souffrances étaient cependant tempérées par l’espoir de revoir le pays natal et la famille aimée.

Ah ! oui, les poilus de France ont été à la peine.

Et il est donc de toute justice qu’ils soient à l’honneur. Et ici, la Municipalité de Pernes et toute la population n’ont pas failli à leur devoir. Tous, nous avons voulu que ce monument fut digne de la grandeur du sacrifice de nos héros, tombés pour la défense du droit outragé, morts pour nous.

Oui, morts pour nous ! N’est-ce pas à eux que vous devez de voir vos foyers indemnes de la dévastation qui a emporté tant de villes florissantes et de villages paisibles. Faut-il donc aller bien loin pour se rendre compte de ce que la guerre peut faire de ravages dans les lieux où elle passe. Qui de vous n’a vu Béthune avec sa grand’place rasée et son beffroi décapité, Lens avec toutes ses cités ouvrières anéanties ! et Souchez, et Carency, et tant d’autres localités dont peut-être vous ignoriez autrefois les noms et qui maintenant appartiennent à l’histoire.

N’est-ce pas un peu pour vous conserver votre cité intacte que se battaient et que mouraient les poilus de France ! Songez aux semaines angoissantes du printemps de 1918, c’est-à-dire il y a à peine trois ans : n’entendez-vous plus le bruit sinistre des canons dont les obus sont venus jusqu’ici même.

Les boches ne sont pas passés ! Mais pourquoi donc ? Parce que les poilus étaient là.

C’est donc bien à juste titre que nous devons témoigner à nos héros morts au champ d’honneur la reconnaissance à laquelle ils ont droit par le sacrifice qu’ils ont fait courageusement de leur vie.

Ce témoignage serait cependant insuffisant et indigne de nos morts s’il devait se borner à la manifestation d’aujourd’hui, si belle soit-elle ! Il faut davantage ! Il faut que tous nos efforts tentent dorénavant à maintenir chez nous, dans notre petite patrie, l’union sacrée qui a fait la victoire et la grandeur de la Grande Patrie.

Les Anciens Combattants de Pernes ont inscrit sur leur drapeau « Unis comme au front ». Ils veulent donc cette union et ils ont pris l’engagement de la maintenir.

Devant le monument de nos frères d’armes, je renouvelle ici, en leur nom, cet engagement que je vous demande à tous de nous aider à tenir.

Nous paierons ainsi une faible partie de la dette que nous avons contractée envers nos concitoyens morts pour nous.

Ecoutons la voix de nos morts !

Gardons leur souvenir !

Et vive à jamais la France éternelle ! »

M. Ardaens procède alors à l’appel des morts, 38 noms sont appelés dans un silence religieux et les anciens combattants répondent chaque fois : « Mort au champ d’honneur », tandis que les jeunes filles déposent leurs gerbes de fleurs au pied du monument.

Minutes inoubliables pendant lesquelles les parents et les amis évoquent le visage chéri de celui qui n’est plus et dont toute l’oraison funèbre tient en ces mots : « Mort au champ d’honneur »… Après un chant des enfants des écoles, et de la Chorale de Bruay, nous entendons une belle poésie « Honneur aux braves » dont la fraîcheur monte comme un encens vers notre fier et symbolique Poilu.

M. Fernand Roger, secrétaire de la société des secours mutuels de Pernes, rend alors un hommage ému à la mémoire des enfants de Pernes et prononce d’une voix mâle le discours que nous donnons ci-après et qui est vigoureusement applaudi :

« Je ne saurais se dérouler cette cérémonie sans venir, au nom de mes camarades de la Société des Secours mutuels « La Pernoise », saluer et honorer les glorieux disparus de notre cité. Des voix plus autorisées vous ont dit la conduite héroïque de nos soldats de la Grande Guerre, vous rappelant leurs misères et leurs souffrances, les longues stations des tranchées, leurs courses de la Belgique jusqu’à Verdun, jalonnant les semaines et les mois de leur sang d’abord et trop souvent de leur vie, durant plus de quatre ans.

Ce monument élevé à la mémoire des enfants de Pernes porte 38 noms. 38 héros, dont 9 faisaient partie de « La Pernoise ».

Bons sociétaires, excellents camarades, leur nom, inscrit ici, indique qu’ils furent bons soldats, allant jusqu’au suprême sacrifice pour défendre leur pays.

Tous ont fait leur devoir. Ils resteront pour nous l’exemple et le modèle de toutes les vertus civiques. Aux jeunes générations, ils rappelleront que la Patrie, aux jours de danger, a trouvé des braves pour la défendre, chasser l’ennemi et remporter la victoire.

Honneur et gloire à nos camarades, à nos frères !

Qu’un peu de cette gloire aille aussi aux familles qui pleurent leur disparition ! Que le spectacle de cette foule qui vient respectueusement s’incliner devant ce marbre allège leurs peines !

Mes chers disparus, avant d’être réunis dans la tombe, vous êtes déjà réunis par les liens solides de la Mutualité.

Vous avez compris, bien avant la guerre, que l’union fait la force et que, pour lutter contre les misères de la vie, il faut se grouper. Nous continuerons vos traditions en restant unis.

Camarades mutualistes des pays voisins, je me permets de vous associer à notre modeste société, pour adresser à nos membres disparus en particulier, et à tous nos morts, un cordial merci et un suprême adieu. »

M. Martin, conseiller d’arrondissement, se félicité, à son tour, de rendre un « hommage public de reconnaissance aux combattants. »

Il rappelle les origines de la guerre et s’écrie : « C’est grâce au dévouement, au travail et à la ténacité de tous les Français que nous avons vu luire le jour de la libération du territoire. » Après avoir adressé un souvenir ému aux familles éplorées, il glorifie le sacrifice héroïque des victimes nationales et termine en leur criant : « Vous avez rempli votre tâche et accompli votre destinée. »

M. Delgéry, conseiller d’arrondissement, tient aussi à rendre un « modeste tribut de reconnaissance à nos sauveurs. »

Il suit l’évolution de la guerre, rend hommage à la coopération de nos alliés en insistant sur ce fait que « nos poilus ont été les véritables pivots de l’action et que l’intérêt de la conservation a seul guidé la France. »

Au nom des Sociétés d’Anvin, M. Demazure, ancien Pernois, nous parle de ses camarades d’enfance et de jeu, fait la glorification de ces vaillants qui « firent leur devoir et versèrent leur sang pour la sauvegarde de la Patrie. » Il assure leur mémoire de sa « sincère et fidèle sympathie. »

M. Henri Marais, sous-préfet, qui nous a donné déjà de multiples preuves d’attachement et de délicate attention, dit sa joie de se retrouver au milieu de la population de Pernes, et se félicite que « le pèlerinage douloureux qui lui permet d’honorer les enfants de son arrondissement lui donne aujourd’hui le spectacle d’une foule si considérable et si recueillie au pied d’un si beau monument. »

Il remercie la municipalité et la population, félicite M. Bridoux de son chef-d’œuvre d’éloquence et parle de nos grands morts avec le verbe et l’émotion que lui communique le souvenir de tels sacrifices.

Il insiste « sur la nécessité de l’union sacrée qui nous a fait gagner la guerre et qui nous permettra de rester la première nation du monde. Certes, ajoute-t-il, le gouvernement de la République peut avoir des difficultés avec ses ennemis et ses alliés, mais il sent derrière lui tous les Français. La France démocratique n’est pas, en 1921 plus qu’en 1914, un pays qui ne parle que de revanche, mais nous sommes une nation qui veut assurer, avec les légitimes réparations, le triomphe de la justice et de la liberté. » Cette magnifique péroraison est saluée par de vifs applaudissements : M. le Sous-Préfet a achevé de se gagner la population de Pernes.

C’est maintenant à notre sympathique et dévoué maire de donner un gage d’estime et d’éternelle reconnaissance à nos grands morts. « Les hommes, dit-il, témoignent leur reconnaissance aux plus illustres d’entre eux par l’érection d’un monument, et nous sommes heureux de pouvoir offrir à nos enfants un tel symbole de notre immortelle gratitude. »

M. Salmon remercie ses concitoyens de la belle tenue de la journée, et, s’adressant aux familles en deuil, il leur dit de « relever aujourd’hui leurs voiles de tristesse et d’épingler fièrement dans leurs plis les couleurs françaises. Pernes est en fête, s’écrie-t-il, Pernes célèbre et glorifie ses morts et fait entrer ses soldats dans la gloire de l’immortalité. » Après avoir remercié M. le Sous-Préfet, il félicite toutes les sociétés, et dépose la couronne du conseil municipal au pied du monument, achevant ainsi de fleurir le parterre merveilleux qui fera monter vers le Poilu, incarnation sublime de nos braves, le parfum éthéré de l’admiration et de la reconnaissance.

La Marseillaise est alors chantée par tous les assistants et l’on sent passer dans les cœurs comme un frisson de gloire et d’éternel amour.

La journée se termine par les concerts des sociétés, tandis que de gracieuses quêteuses essaiment par la ville pour vendre des cartes postales du monument, des insignes tricolores et des fleurs au profit des orphelins de guerre.

La « Jeune France » de Camblain donne une Fête de gymnastique sur le Pré Englard, et, le soir à 10 heures, un magnifique feu d’artifice couronne, au milieu des illuminations, le parfait succès de la journée.

(L’Abeille de la Ternoise, des 21 et 28 août 1921)



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