L'appel suivant est adressé à la population de la localité par la société des anciens combattants et mobilisés de Savy-Berlette :
« Le Conseil municipal se
propose d'ériger cette année un monument aux morts pour la Patrie. Ce pieux
hommage rendu à des héros doit être digne du sacrifice consenti par eux.
Sans vouloir gêner en rien les plans déjà arrêtés, il
nous semble que la statue du Poilu a sa place marquée dans le monument. Le
soldat français, que le monde entier a admiré pour son abnégation et son
courage a comme symbole impérissable "le Poilu".
Seule une considération
d'argent peut arrêter la réalisation de nos voeux. A notre humble avis, un
dernier effort de la population aplanirait toutes les difficultés.
Habitants de Savy-Berlette,
Rappelons-nous que l'ennemi
s'est arrêté à quelques kilomètres de notre village. Au prix de leur vie, les
héros que nous devons honorer ont dressé une barrière infranchissable, qui nous
a protégés dans ns biens et laissé ignorer les ruines, les risques de
l'évacuation forcée et les misères de la captivité.
Aussi devons-nous montrer que
nous comprenons l'étendue du sacrifice des morts de la grande guerre. Ce sera
peut-être répondre à leur pensée suprême que de leur élever un beau monument
dans le village qu'ils ont tant aimé et qu’ils ont certainement revu alors que
leurs yeux se voilaient à jamais.
Convaincus que la population
de Savy-Berlette répondra à ces sentiments de pitié envers ses morts, les
anciens combattants et mobilisés se permettent de demander encore une modeste
obole aux habitants, afin d'ériger une oeuvre commémorative répondant aux
sentiments de respect que nous ressentons pour nos morts ».
C'est dimanche prochain 20 août,
que doit avoir lieu l'inauguration du beau monument élevé à la mémoire des
enfants de la commune tombés glorieusement au cours de la grande guerre pour la
défense de la Patrie.
Tandis que les organisateurs
mettent la dernière main aux préparatifs de cette belle célébration, il
convient de donner une description du superbe et original monument que
d'intelligentes initiatives ont réussi à élever dans cette commune de
Savy-Berlette, qui ne comprend guère plus de 600 à 700 habitants.
En vue du monument à ériger, M.
Victor Duez, ancien conseiller d'arrondissement, a légué à la commune un
terrain situé au centre du village, près de la mairie. Sur ce terrain disposé
en pente, qui descend en bordure de la route, la municipalité a fait creuser un
large emplacement destiné à recevoir le monument, qui se trouvera ainsi entouré
d'un talus de verdure. Des arbres plantés sur ce talus lui donneront par la
suite un décor d'un cadre naturel.
Le monument lui-même consiste en
une colonne de marbre, que surmonte un groupe symbolique en bronze : le coq
gaulois terrassant l'aigle allemand. La colonne s'élève sur une vaste terrasse,
à laquelle donne accès un double escalier de pierre à rampe ouvragée, le tout
d'une belle ampleur. Sur la face avant de la terrasse, au fronton, se détache
l'inscription : Aux enfants de Savy-Berlette morts pour la France. En dessous,
deux larges plaques commémoratives sur lesquelles sont gravés les noms des
glorieux "poilus" tués à l'ennemi. Entre les deux plaques, au pied du
monument, un poilu en bronze, l'arme au pied, monte la garde.
A son tour, la commune de Savy-Berlette inaugurait dimanche dernier, 20 août, le monument élevé à la mémoire de ceux de ses enfants tombés glorieusement pour la défense de la Patrie. La cérémonie s'est déroulée par un temps superbe sans que la chaleur, supportable dans le plein air du village, ait incommodé les assistants.
D'une extrémité à l'autre, le double village de Savy et de Berlette, s'allongeant au loin, avait été décoré avec beaucoup de goût et de variété. Partout des drapeaux, des guirlandes multicolores, des feuillages ingénieusement disposés, dont l'agréable verdure redoublait l'aspect frais et coquet du verdoyant paysage. Sur ce long parcours s'élevaient quantité de fausses portes, formant comme les arceaux d'une voie triomphale. Ornées de verdure et de drapeaux, ces fausses-portes étaient semées d'inscriptions, appropriées à la cérémonie :
"Ils ont vaincu - Ne les oublions pas", "A nos vaillants soldats" - "Ne les oublions jamais" - "A nos enfants morts pour la France" - "Hommage à nos héros".
Et les inscriptions se poursuivent sur les fausses portes. Nous y relevons encore celles-ci :
"Honneur à nos mots glorieux !" - "Nos héros sont tombés face à l'ennemi" -"Merci aux Poilus"
et celles-ci, en face de l'école :
"Gloire à notre France éternelle !" - "Honneur aux autorités" - "A nos enfants morts pour la France" - "Soyez les bienvenus" - "Souvenez-vous".
On remarquait ici un arc de triomphe de buis, de roses, de drapeaux et de guirlandes, surmonté d'une Renommée, dont la trompette semblait faire retentir la devise : "A nos glorieux morts !"
Plus loin, c'était l'inscription "A nos héros", d'un cachet spécial, aux lettres faites de roses piquées dans un fond de terre, surmontant une grande croix de guerre suspendue en dessous du fronton. A proximité de l'usine, une large banderole traversait la voie d'accès à l'Eglise, avec cette inscription : "A nos héros, ne les oublions jamais". Puis, en continuant vers Aubigny, ces mots de bon accueil : "Soyez les bienvenus". Et enfin : "Honneur à ceux qui viennent glorifier nos morts !"
Tel fut le beau décor aménagé par les habitants pour cette fête commémorative des mieux réussies et dont tous les détails témoignaient d'une organisation bien comprise.
La matinée
A 9 heures et demie, une messe solennelle a été dite par M. l'abbé Garin, curé de Savy. L'église était décorée de tentures noires et de faisceaux tricolores. Un catafalque se dressait au milieu du choeur, autour duquel avait pris place le Conseil municipal au complet. Dans la nef, l'assistance se serrait nombreuse et recueillie.
M. l'Abbé Déprez, supérieur du séminaire de Béthune, montant en chaire, prononça une belle et touchante alloucation, dont nous nous excusons de ne pouvoir donner qu'un sec résumé :
Allocution de M. l'Abbé Déprez
L'éloquent prédicateur évoque le souvenir du défilé de la victoire, sous l'arc de triomphe :
Nos soldats victorieux avançaient dans l'ivresse et la joie du triomphe, quand leurs yeux se sont mouillés de larmes en contemplant le cénotaphe dressé sous l'arc de triomphe. De même, au retour de nos soldats victorieux, dans toutes les communes de France, on rend hommage à nos soldats. C'est l'application des beaux vers du grand poète :
Ceux qui pieusement sont morts
pour la Patrie,
Ont droit qu'à leur cercueil la
foule vienne et prie.
Ainsi, vous aussi, à Savy, dans une magnifique unanimité, vous venez célébrer les soldats de la commune tombés pour la grande et pour la petite Patrie. Vous avez voulu que leurs noms soient gravés sur le marbre. Mais cela ne suffirait pas s'ils n'étaient aussi gravés dans votre coeur.
Le souvenir, la prière, la continuation de leur oeuvre, voilà ce que nous devons tous à ces héros.
Le souvenir : leur vie s'écoulait pacifique et heureuse. Soudain la cloche a sonné le tocsin d'alarme. Ils ont jeté les outils pour empoigner le fusil. Ils sont partis bravement, "à la Française".
Et, en termes émouvants, l'orateur évoque les épreuves, les souffrances supportées pendant l'été, puis pendant l'hiver. C'étaient la boue, la pluie, la glace, après la soif, sous un soleil torride. Et l'on pensait : Jamais ils ne supporteront un pareil hiver ! Et ce furent le deuxième, le troisième, le quatrième hiver ! Ils ont tenu jusqu'au bout, magnifiques d'endurance.
Spectacle sublime et poignant de voir tous les régiments français monter dans l'enfer de Verdun, comblant sans cesse les trous faits par l'artillerie ennemie, aux cris de : "Ils ne passeront pas !" Et ils ne sont pas passés.
Et puis, après quatre années d'attente, quand notre armement fut enfin devenu assez puissant, en quatre mois, lorsque Foch eût prononcé le mot : "Allez-y, mes enfants !", ils culbutèrent l'ennemi, le boutant hors de France.
C'est pour nous qu'ils ont tenu, qu'ils ont vaincu, qu'ils sont morts. Et nous pourrions les oublier ? Non, nous garderons toujours le souvenir vivant de nos morts.
Mais aussi nous devons prier pour eux. C'est dans une autre vie que chacun reçoit la récompense méritée. Certes, ils vivent, nos morts, ils ont entendu la sentence de Dieu. Or, il est impossible que, malgré leur sacrifice, tous ne soient pas encore sauvés. Ayons pitié, prions pour eux, afin de leur ouvrir un jour l'entrée du ciel, comme leurs camarades survivants ont connu la joie du défilé triomphal après la victoire.
Ils ont accepté de mourir sans phrase pour que la France vive. Grâce à eux, la France a échappé aux tenailles allemandes qui menaçaient de la broyer. Elle est vivante, victorieuse, mais combien affaiblie ! Je ne parle pas seulement des 1.500.000 morts et des milliers de mutilés. Je songe aussi à notre faible natalité, déjà constatée avant la guerre et qui fut une des causes de celle-ci. L'Allemand, en effet, ne répétait-il pas : "5enfants naissent en Allemagne contre 1 en France ; qui donc empêchera les 5 petits allemands de venir prendre le bien de ce petit français ?" Eh bien, leur opinion n'a pas changé. Les Allemands n'ont pas renoncé à leur rêve. Ils songent à la Revanche. Tous ceux qui réfléchissent le savent. Clemenceau au lendemain de l'armistice disait : "On a beau prendre toutes les précautions militaires, un peuple qui n'a pas d'enfants est un peuple fini".
Et l'orateur développe ici cette à laquelle on ne saurait prêter trop d'attention : il ne faut pas que tout ce sang versé ait été versé en vain. Pour que la France soit vraiment forte, il importe de veiller à la repopulation. Ah ! certes, il en coûte aujourd'hui d'avoir une famille nombreuse ; mais là seulement se trouve, avec la force, le vrai bonheur et la vraie joie. Avoir des enfants, multiplier, c'est non seulement votre devoir de français, mais aussi votre devoir de chrétiens. Ayons en le courage. Ainsi pourra se continuer la tâche que nos héros ont commencée.
Pour certains il ne reste plus d'autre religion que l'argent ; ils s'en vont prêchant l'égoïsme stérilisant et répètent partout : "Que voulez-vous ! les morts sont morts ! il faut vivre avec les vivants !" Non ! les morts ne sont pas morts ; quand le vent souffle de l'est, de la colline sacrée nous arrive leur voix. Elle nous crie : "Nous avons gagné la guerre, et vous, vous devez gagner la paix."
Pensons à ces 1.500.000 morts qui ont empêché la France de mourir. A notre tour de l'empêcher de sombrer dans la honte de la défaite et de l'esclavage."
L'offrande suivit cette éloquente allocution, dont one ne saurait trop méditer les conseils de sagesse prévoyante. Pendant le défilé des fidèles, la fanfare de Savy, que préside M. Vasseur, exécuta des morceaux de circonstance fort bien rendus sous l'habile direction de M. Rattier. Puis un choeur dirigé par M. Hauchard, ancien instituteur, se fit entendre.
Au cimetière
A la sortie de la messe, la foule se transporta au cimetière qui entoure l'église, pour la bénédiction des tombes des soldats qui est donnée par M. le Curé de Savy.
Devant les tombes couvertes de fleurs, la Musique fit entendre un morceau funèbre. Puis M. Loubet, président des anciens combattants, mutilés de guerre, prononça un discours que nous résumons :
Discours de M. Loubet
Après avoir rappelé les vers de Victor Hugo : "Ceux qui pieusement...", M. Loubet s'écrie :
"C'est pour répondre à cette magnifique pensée que nous venons nous incliner devant les tombes de vos enfants, de vos époux, de vos frères, de vos pères, de nos camarades de combat.
Nobles martyrs, trop hâtivement descendus dans la tombe par la faute du plus sauvage des peuples, on ne vous honorera jamais assez !"
Le Président des anciens combattants rappelle l'enthousiasme patriotique du départ ; les jeunes brûlaient du désir de suivre leurs aînés. Seules les mères, les épouses, craignaient ... Hélas ! leurs appréhensions étaient fondées et beaucoup de ceux qui croyaient revenir ne sont plus.
Quelques-uns de ces grands morts ont été ramenés dans le cimetière de leur village natal. Les mères, en deuil pour toujours, les enfants, les veuves viennent fleurir leurs sépultures et prier sur les restes de l'être aimé.
Mais l'acharnement des combats n'a pas toujours respecté la dépouille de nos frères d'armes. Il est des tombes qui ont été bouleversées par la mitraille, et les corps qu'elles contenaient ont été dispersés en affreux lambeaux. La dernière demeure de ces nobles disparus aura pour décor les fleurs que la nature dispense aveuglément à travers l'espace.
D'autres dorment leur dernier sommeil, dans les villages rapprochés de la ligne de combat, où quelque tumulus surmonté de la modeste croix de bois et de la cocarde tricolore indique que là est enseveli un soldat français. Ceux-là ne reviendront jamais dans leur village qu'ils ont quitté pour accomplir pieusement leur devoir...
Mais la nation reconnaissante à ses fils les meilleurs les unit tous dans le culte du "Soldat Inconnu" solennellement inhumé sous l'Arc de triomphe.
Savy-Berlette a payé son large tribut. 40 de ses plus beaux enfants sont tombés au Champ d'Honneur.
Aujourd'hui, nous les unissons tous dans un même sentiment de reconnaissance en élevant à leur intention un monument grandiose. Ce monument montrera à la postérité que notre commune a compris de quels sacrifices fut payé le salut de la France, le retour de l'Alsace-Lorraine à la mère Patrie et la libération du pays envahi par un sauvage agresseur.
Morts, connus et inconnus, dormez en paix, la reconnaissance des survivants restera éternelle.
Réception des Autorités
A midi, M. le Maire, le conseil municipal, la musique, les sapeurs-pompiers d'Aubigny se rendent à la gare, où le train d'Arras amène M. Bachelet, sénateur et les autorités militaires. De là on gagne la mairie, où a lieu la présentation du conseil municipal et des fonctionnaires de la localité.
Un déjeuner auquel sont invitées les autorités est servi à l'école des filles. Aux côtés de M. Cauwet, maire de Savy, prennent place MM Henri Marais, sous-préfet ; Bachelet, sénateur ; le commandant Cary, représentant le général Lacapelle ; le capitaine Sauve, représentant le général Huguenot ; Amédée Petit, Théret, Harduin, conseillers généraux ; Desmazières, Lebas, Carton, membres du conseil d'admiinstration et Laisse, directeur de la Sucrerie ; Houllier, lieutenant de gendarmerie ; les abbés Déprez et Garin ; Lamiot, maire d'Aubigny ; Bouchez, maire de Mingoval ; Catis Dorge, maire d'Hermaville ; Trombert, Garaudel, percepteurs ; Fontaine, receveur d'enregistrement ; Canesson, huissier ; Corlouer, Bricé, architectes du gouvernement ; Dorge, notaire, capitaine de pompiers ; Sinot, notaire ; Loubet, Cauwet Al., Thibaut, président des anciens combattants ; les membres du conseil municipal de Savy ; MM Damour, adjoint, Leleu, Godart, Wacheux, Opigez ; Hardy ; René Dorge ; Dubois, directeur de l'Abeille de la Ternoise ; Rivaux, Cochet, Hauchard, Lauzy père et fils, Béal, Normand André et Emile, Bouvry, Mary, Wagon, Têtu, Thomas etc.
Au dessert, M. Henri Marais, sous-préfet de l'arrondissement, se lève et, tenant compte de ce que cette journée commémorative ne comporte pas de banquet proprement dit, tient cependant à remercier M. le Maire de Savy et les organisateurs de l'aimable attention témoignée à leurs hôtes. Il dit l'honneur que fait l'armée à la commune par la présence de ses représentants à la cérémonie ; il salue le conseil d'administration de la Sucrerie et a un mot aimable pour M. de Wazières.
M. Bachelet à son tour, s'associe aux remerciements de M. le Sous-Préfet pour la gracieuse hospitalité et la cordiale invitation ; il a accepté avec d'autant plus d'empressements qu'il savait retrouver à Savy des amis de vieille date, en particulier M. Dorge et les administrateurs de la sucrerie. Il rappelle les luttes qu'il a partagées avec ces derniers pour mener à bien la création de la sucrerie agricole, en compagnie de M. de Wazières qui fut, en cette occasion comme en tant d'autres, à la tête du mouvement. M. de Wazières, pour la santé duquel nous formons tous nos voeux, dit-il, n'est-il pas le grand initiateur des progrès agricoles, l'entraîneur par excellence, un des bienfaiteurs de ce pays ?
M. de Wazières se déclare confondu de ces élèves ; il renvoie tout le mérite de l'oeuvre à MM Evrard et Bachelet. "Sans eux, dit-il, nous n'aurions rien pu faire". Je profite de l'occasion pour signaler l'aide précieuse que nous avons rencontrée auprès de M. Amédée Petit, président de la société d'agriculture. Merci à tous.
M. Dorge remercie à son tour. "Il a fallu, dit-il, l'aimable allusion de M. Bachelet pour je prenne la parole. Plus d'un demi siècle s'est écoulé depuis que des liens d'amitié nous unirent. La commune de Savy est heureuse et fière de voir ici, dans un jour comme celui-ci, un homme tel que le Sénateur M. Bachelet qui est bien le dévouement et le travail personnifiés...
Pendant que s'achève le déjeuner servi par l'Hôtel de France de Saint-Pol, les sociétés arrivent. Elles sont reçues aux abords du village par des commissaires qui les amènent à la mairie où elles sont saluées par MM Damour, adjoint au maire, Wacheux, conseiller municipal, Théry, secrétaire de mairie. Salle de l'école des garçons, des vins d'honneur leur sont versés par Mme Théry, assistée d'un essaim charmant de demoiselles. Puis les commissaires les dirigent au delà du pont de Berlette où elles se forment en ordre parfait pour le défilé et où M. le sous-préfet vient les passer en revue.
Le défilé a lieu à 4 heures. Très imposant, le cortège s'achemine vers le monument et défile devant une estrade élevée à l'angle de la route nationale et de la rue des écoles, sur laquelle ont pris place les autorités qui saluent au passage les diverses sociétés.
Le défilé
Le cortège défile dans l'ordre suivant :
en tête, une couronne de fleurs naturelles offerte par le conseil municipal, les enfants des écoles, garçons et filles, un groupe d'alsaciennes, un groupe de lorraines.
Puis les sociétés diverses, dont plusieurs venues des mêmes communes, rangées dans l'ordre suivant :
Aubigny (Société des anciens combattants, et sapeurs de pompiers) ; Avesnes (anciens combattants) ; Berles (Tir) ; Béthonsart (tir) ; Cambligneul (La mutuelle et l'Union) ; Duisans (anciens combattants, pompiers, section sportive) ; Habarcq (tir) ; Haute-Avesnes (anciens comabttants, tir) ; Hermaville (tir) ; Izel (anciens combattants, tir) ; Lattre (Tir) ; Mingoval (tir) ; Pénin (anciens combattants, tir) ; Saint-Pol (anciens combattants) ; Tilloy (tir) ; Tincques (anciens combattants) ; Villers-Brpulin (tir).
Ces sociétés sont accompagnées par des commissaires portant un brassard tricolore avec le numéro brodé correspondant au numéro d'ordre de chacune d'elles.
L'inauguration
La disposition des groupes est des mieux comprise. Devant le monument, dont nous avons, dans un précédent numéro, décrit l'aspect grandiose et original, sont déposés en demi cercle les drapeaux de toutes les sociétés. Sur les marches du double escalier qui donne accès à la plate forme sont rangés les enfants des écoles tenant de petits drapeaux. Sur la terrasse le groupe des fillettes costumées en alsaciennes et lorraines. A gauche, la tribune, que remplissent les autorités ; à côté, la musique. Et devant la tribune, le groupe des familles des morts. Tout autour du vaste emplacement qui encadre le monument, les anciens combattants forment la haie. Par delà, en rangs compacts, se presse la foule attentive ; chacun a arboré à sa boutonnière ou sur sa poitrine les insignes distribués par de charmantes jeunes filles, chargées de la vente.
L'ensemble forme un tableau superbe. Cuivres et drapeaux étincellent sous les rayons d'un soleil radieux.
Le voile tombe. La sonnerie des clairons retenti, suivie de La Marseillaise. L'instant est solennel.
Bénédiction du monument
M. l'Abbé Garin, curé de Savy, avant de bénir le monument, prononce une allocution.
Il a accepté avec empressement cette pieuse mission. Cette cérémonie, dit-il, sera doublement utile ; aux morts et aux vivants. Il rappelle l'éloquent discours prononcé le matin du haut de la chaire par le Supérieur du séminaire de Béthune qui a parlé avec tout son coeur de prêtre et d'ancien combattant. Il lui adresse ses remerciements.
Puis il invite les habitants à prendre l'habitude de saluer le monument, quand ils passeront. Tous s'inclineront et viendront prier en famille devant ces noms qui perpétuent le souvenir des chers et glorieux morts, tous, pères et mères, soeurs et orphelins de guerre, jeunes gens sur le point de partir pour le service militaire. Ceux-là viendront prendre ici la résolution de servir la France en bons Français. Les hommes d'âge mûr y viendront aussi s'inspirer de leur exemple, si par malheur la guerre affreuse éclatait de nouveau.
Et M. le Curé les voit s'offrant encore généreusement en sacrifice à la France, puis, ayant combattu en braves, revenant couverts de gloire, attestant une fois de plus que le soldat français est le premier soldat du monde.
D'un geste large, le prêtre bénit ensuite le monument.
Discours de M. Cauwet, maire
Le sympathique maire de Savy, d'une voix forte et bien timbrée, prononce alors un discours dont nous résumons la première partie et donnons intégralement la deuxième, émouvant tableau de ce qui s'est passé à Savy, au cours de la guerre.
M. Cauwet, maire de Savy-Berlette, remercie tout d'abord, au nom de la municipalité et du conseil municipal, les autorités civiles et militaires, les personnalités qui assistent à cette patriotique cérémonie, ainsi que les nombreuses sociétés présentes et toutes les personnes qui ont participé à l'érection du monument.
Pour chacun, il a un mot de reconnaissance. En particulier, il exprime ses remerciements à M. Bachelet, sénateur, "dont chacun sait l'intérêt qu'il porte à tout ce qui touche la vie agricole. Il est de coeur avec nos populations, partagent leurs joies et leurs peines... ses relations avec la sucrerie et de vieilles et bien chères amitiés le rattachent à notre commune.
Après avoir remercié M. le Sous-Préfet de Saint-Pol, les officiers délégués par le général Huguenot, commandant la deuxième division et par le général Lacapelle, commandant la première région, puis les représentants du canton, M. Théret, conseiller général et M. Desmazières, conseiller d'arrondissement, M. A. Petit, vice-président du Conseil général, président de la société d'agriculture, "fidèle à ses attaches familiales du canton comme aussi aux amitiés qu'il compte dans la commune", M. Cauwet s'adresse aux souscripteurs : au conseil d'administration de la sucrerie agricole dont la générosité a tant contribué à l'édification de ce monument grandiose digne des morts qui pleure la commune ; à la mémoire de M. Duez, qui a fait don du terrain ; à M. Dorge, son prédécesseur à la mairie.
"En la personne de M. Dorge, dit-il, je rends hommage aux nombreux services rendus à cette commune pendant 34 ans d'administration prévoyante, active, éclairée. Parmi les enfants de Savy qui répondirent à l'appel de la Patrie brille au premier rang le nom des siens. Inclinons-nous devant cette famille de patriotes qui compta quatre fils à la guerre, et saluons la mémoire de celui d'entre eux qui, à peine remis d'une blessure reçue aux batailles du front, réclama du service comme médecin militaire et succomba victime de son zèle sous le ciel du Sénégal.
Les architectes, MM Raymond Bricé et Corlouer, au talent desquels est dû le monument, d'une conception si originale et d'une exécution si parfaite, ne sont pas oubliés, non plus que le bon ouvrier, M. Opigez, un enfant du pays, qui, à côté d'eux, travailla à la construction de l'oeuvre.
Un mot encore de remerciements aux organisateurs, aux membres du corps enseignant et à M. le Président des Combattants, qui ont mené à bien et la souscription et la mise au point des détails concernant cette cérémonie.
Merci enfin aux nombreuses sociétés régionales et locales qui ont répondu à l'invitation ; à tous et à l'assistance nombreuse qui se presse au pied du monument, M. le Maire de Savy adresse l'expression chaleureuse de ses sentiments reconnaissants.
Puis, venant à l'objet même de la cérémonie, il évoqua la part prise par cette petite commune de 650 habitants dans la tourmente qui, durant quatre année, secoua la France et le monde entier.
"Nous avons encore présent à l'esprit ce que furent pour nous les années de guerre. Nous revoyons le départ de nos mobilisés, la scène touchante des adieux à leurs familles, l'enthousiasme patriotique qui les animait. Tous, quittaient sans hésiter leur foyer, prêts à tous les sacrifices. Avec quelle abnégation, ils ont tenu leur promesse, j'en atteste, Mesdames et MEssieurs, cette glorieuse liste inscrite sur ces plaques, où les noms, hélas ! se pressent trop nombreux !
Ceux qu'ils avaient laissés derrière eux, remplirent aussi leur devoir, dans la mesure de leurs forces.
Quand l'ennemi eut envahi nos beaux départements du Nord et du Pas-de-Calais, Savy demeura des années à proximité du front, près de la ligne de feu. D'ici, nous n'entendions pas seulement le grondement des combats, nous eûmes aussi à en éprouver les répercussions.
A sept kilomètres du front, ces champs aujourd'hui redevenus possibles ont connu le tumulte de la guerre. Savy a vu défiler les régiments héroïques qui montaient à la colline sacrée de Lorette ou qui en redescendaient. Parmi tant de journées mouvementées, l'attaque du 9 mai 1915, restera ineffaçable dans la mémoire des habitants.
A cette date, 50.000 hommes étaient rangés ici. Nous les avons vus, ces braves s'ébranler pour l'attaque d'où ils devaient revenir réduits à presque rien. Au devant de la montée, un cri unanime jaillit de ces 50.000 poitrines. Il retentit encore dans nos coeurs, ce cri magnifique, prolongé, vibrant, dont tressaillirent nos bois et nos clairières, au bas de la crête, sur laquelle on ne marche plus aujourd'hui sans fouler du pied les morts. Oui, nous avons eu ce spectacle inoubliable de 50.000 soldats, qui partaient à la mort en chantant la Marseillaise. Et nous pouvons ici rendre ce fier témoignage de la bravoure française.
Plus tard, notre commune éprouva par elle-même les horreurs de la guerre. Elle traversa en 1918, lors de la dernière ruée boche, une série de mois terribles. Nous n'entendions pas seulement siffler, et passer par dessus nos têtes, les obus qui allaient frapper la voie ferrée et les villes voisines, comme celle de Saint-Pol, nous étions à la merci des attaques par avions, qui se succédèrent sans interruption d'avril 1918 jusqu'à l'armistice. Tous les soirs, le ciel était illuminé du feu des bombes. Une grande partie de la population dut évacuer ; 19 torpilles sont tombées tout près d'ici, en-dessous de l'école, et une autre, sur le terrain même où s'élève ce monument. Au cours de ces attaques, le drapeau communal fut criblé d'éclats de bombes. Saluons cette glorieuse loque qui a bien mérité de figurer aujourd'hui en place d'honneur dans cette cérémonie.
Ainsi, dans l'immense hécatombe nationale, notre commune a payé sa part, sa large part de deuils et de souffrances.
Et maintenant, tournons notre pensée et notre souvenir vers les vaillants enfants de Savy-Berlette, dont les noms sont inscrits pour toujours sur ce monument, que la piété de la population a voulu digne de leur sacrifice, et autour duquel sont rangées les familles qui pleurent leurs glorieux fils. Il consacre la mémoire des 41 morts que compte notre humble commune, et dont l'appel solennel va être fait dans un instant. Leur liste comprend 1 médecin militaire, 1 sous-lieutenant, 2 adjudants, 3 sergents ou maréchaux des logis, 4 caporaux, 28 soldats, 1 civil mobilisé resté en pays envahi et décédé en captivité.
A côté d'eux, sont inscrits les noms de trois soldats morts que la commune compta en 1870 et que ceux de 1914-1918 ont vengés.
Aux familles qui les pleurent, aux orphelins qu'ils ont laissés, j'adresse au nom de la commune l'expression émue de notre sympathie et de notre reconnaissance.
Après ce discours, les petites filles de l'école déposent chacune un bouquet au pied du monument, en récitant à tour de rôle quelques vers d'une poésie dont les strophes se suivent et s'enchaînent, tandis que s'accumulent les gerbes de fleurs.
A leur tour, MM Damour, adjoint au maire et Leleu, conseiller municipal, déposent une superbe couronne offerte par le conseil municipal au pied du "poilu" qui monte la garde dans une attitude stoïque, calme et résolue. Au nom des sociétés de Savy, MM Thomas et Wagon viennent aussi déposer une balle palme.
Et c'est alors l'appel des morts ; par une attention touchante, cet appel a été confié à M. Hauchard, l'ancien instituteur qui pendant de nombreuses années a enseigné à tant de générations dans la commune. D'une voix que l'émotion n'empêche pas d'être forte et distincte, le vieux maître évoque les noms de ses anciens élèves qui, tous, pénétrés des sentiments de devoir et de dévouement qu'il avait si bien su leur inculquer, sont tombés glorieusement pour la Patrie. A chaque nom, un ancien combattant répond :"Mort pour la France !"
Voici la liste de ces braves :
1914 : Bayard Charles, soldat au 1er zouaves ; Deleury Jean, caporal au 272ème d'infanterie ; Dépré Louis, soldat 18ème bataillon Chasseurs ; Desaulty Robert, sergent-fourrier, 168ème infanterie ; Flament Clément, soldat 72ème infanterie ; Gobeau François, caporal 3ème Génie ; Gouillard Emile, soldat 6ème chasseurs ; Legrand Eloi, soldat 87ème infanterie ; Lemaitre Abel, soldat 8ème infanterie ; Leriche Gustave, soldat 365ème infanterie ; Roussel Paul, soldat 8ème infanterie.
1915 : Barras Léon, soldat 8ème infanterie ; Bécu Georges, soldat 87ème infanterie ; Bézu Eugène, soldat 135ème infanterie ; Bienaimé René, sergent 505ème infanterie ; Colet Jules, adjudant 402ème infanterie ; Deboffles Achille, caporal 301ème infanterie ; Dilly Paul, prisonnier civil mobilisable ; Dupuis Henri, soldat 38ème artillerie ; Gouillard Adolphe, soldat 272ème infanterie ; HEnneré Amédée, soldat 67ème infanterie ; Leclercq Emile, soldat 1ère infanterie ; Rivière Joseph, soldat 322ème infanterie ; Vérité Urbain, caporal, 128ème infanterie.
1916 : Deltour Eloi, soldat 59ème artillerie ; Dorge Marcel, médecin 44ème tirailleurs sénégalais ; Vaast Marcel, soldat 16ème bataillon chasseurs
1917 : Blondel Léon, soldat 119ème d'infanterie ; Dupuis Julien, soldat 88ème infanterie ; Dupuis Paul, soldat 88ème infanterie.
1918 : Colet Maxime, adjudant 43ème infanterie ; Decroix Joseph, soldat 6ème tirailleurs ; Desaulty Albert, sous-lieutenant T, 54ème tirailleurs sénégalais ; Flament Fernand, soldat 273ème infanterie ; Fontaine Charles, maréchal des logis, 260ème artillerie ; Gouillard Cyrille, 106ème chasseurs ; Grimbert François, soldat 33ème infanterie ; Leclercq Jean-Baptiste, soldat 7ème infanterie ; Mabille Henri, soldat 67ème infanterie ; Vaast Nestor, soldat 54ème artillerie.
1919 : Foucard Albert, soldat
1870 : Desplanques Henri ; Godart Jules ; Miellet René
Après cette scène impressionnante, la musique exécute un morceau approprié.
Deux jeunes garçons déclament, du haut du piédestal, des poésies. Le jeune Vasseur Robert, dit "La Patrie aux soldats morts", et le jeune Vaast Kléber, un peu plus âgé, en détaille une autre « A nos glorieux morts », avec beaucoup de sentiment, une diction juste et nuancée, qui font honneur à son intelligence et à son cœur.
Discours de M. Bachelet.
L’honorable sénateur du Pas-de-Calais accouru à cette grandiose cérémonie prononce alors un discours que nous reproduirons dans notre prochain numéro.
Poésie de M. de Wazières
M. de Wazières s’avance ensuite, et, du haut de la tribune, déclame la poésie suivante qu’il a composée à la gloire des enfants de Savy.
Aux héros de Savy Morts pour la France
Soldat de ce pays … Que ce beau
monument
Nous rappelle toujours le
terrible moment !..
Qu’il nous dise toujours la
sublime vaillance
Des braves de Savy tombés pour
notre France.
Vainqueurs ! … de vos
tombeaux guidez votre victoire …
Que votre sacrifice, auréolé de
gloire
Ait plus d’un résultat :
Qu’il dise aux survivants :
« Soyez unis … toujours …
pour rester triomphants.
Tous ici sur leurs cœurs ont
apporté leur pierre
Pour graver vos hauts faits,
votre cran téméraire
Domptant un empereur ! Si
Guillaume, écumant …
Ne comprend pas encore votre
geste étonnant.
Si notre liberté maintient sa
belle forme
Si notre mère France a conservé
son air
Libre, fière et grande, à qui le
devons-nous ?
A vous ! Poilus sauveurs
remerciés à genou !
Vous étiez nos bonheurs. Dans la
raison de vivre
Vous nous donniez à tous, toutes
les joies qu’enivre
Le secret du foyer … Vous nous
donniez à tous,
Mères, pères, enfants, les
espoirs les plus doux !
A l’appel du clairon, partis
malgré nos larmes,
Pas un n’a reculé … Ne faut-il
pas des armes
Pour défendre les siens des pires
attentats ?
Pour sauver la Patrie, en
protégeant l’Etat.
C’est leur sang valeureux mères
infortunées !…
C’est leur amour sincère, épouses
éplorées ! …
Qui vous donne en ce jour avec
leur souvenir,
La fierté de leurs noms, l’espoir
dans l’avenir.
L’espoir, malgré nos
deuils ! … N’avons-nous pas en France …
Au plus profond du cœur un germe
de vaillance ?
Ce germe qui grandit au milieu du
danger
Et groupe nos héros, quand paraît
l’étranger ?
Un pays ne meurt pas, quand il
sait du miracle
Atteindre la merveille !… Il
doit rester l’oracle
Dictant nos volontés, la vie est
un combat …
Même pendant la paix, il faut
rester soldat.
Il faut rester soldat pour éviter
la guerre ! …
Imposer le silence à l’arme
meurtrière,
Pour profiter sans peur du
miracle accompli
Et savoir maintenir notre drapeau
sans plu.
Amis, réfléchissons. Depuis notre
victoire
Des jaloux sont venus, jaloux de
notre gloire.
Et, cependant, sans nous, sans
ces vaillants soldats,
Rachetant de leur sang, l’erreur
de leurs combats,
Où seraient ces jaloux ?
Surtout si notre « Tigre »
N’avait pas, à Doullens, de cette
voix qui vibre,
Lancé son quos ego … forçant nos
bons alliés
A se laisse guider pour ne plus
reculer.
Si l’âme des « poilus »
lestes comme la foudre
N’avait pu s’élancer pour refaire
et recoudre,
Où seraient ces jaloux, sans Foch
et Castelnau,
Sans Pétain, sans tous ceux
choisis par Clemenceau ?
- Au fin fond de la Manche !
– un autre bon ministre
Résiste à nos jaloux, il veut
qu’on enregistre
La force des vainqueurs. Allons,
amis anglais,
Laissez-nous réparer des brigands
les méfaits !
Français, serrons les
rangs ! … Soyons comme à la guerre …
Marchons main dans la main pour
sauver notre terre.
Devant le monument, jurons sur
nos vainqueurs
De maintenir bien haut la force
de leurs cœurs.
A.W.
Un chœur d’hommes et d’enfants se fait entendre sous la direction de M. Hauchard ; ce chœur a été réglé par M. Rattier, Mme Béal, MM Théry et Hauchard.
Les discours reprennent. M. Loubet, président des anciens combattants, prend la parole au nom de la société.
Discours de M. Loubet, président des anciens combattants
"L'oubli où va tout ce qui tombe" ne doit pas s'appesantir sur le souvenir des morts pour la Patrie.
"Les plus humbles bourgades, comme les villes les plus opulentes élèvent des monuments, humbles ou magnifiques, tous dans la même pensée : "Glorifier les morts de la Grande Guerre".
Ainsi débute la discours du Président des Combattants, qui retrace ensuite le tableau de la guerre : la mobilisation et les adieux des soldats partant dans l'enthousiasme, puis les désillusions amères, l'invasion de nos beaux départements, la résistance et la victoire de la Marne, l'ennemi arrêté sur Arras, à quelques kilomètres de Savy. Grâce à la bravoure de nos magnifiques soldats, cette région et notre village n'ont pas connu les horreurs de l'invasion.
Puis il montre ce que fut, durant quatre ans, cette lutte horrible, la vie dans les tranchées, les sacrifices de toutes sortes stoïquement consentis, la science mise au service de l'esprit de destruction des vies humaines.
Pendant ce temps, la vague d'angoisse ne cessait de déferler sur le pays.
"Au foyer les mères sanglotaient et pleuraient. Le mari parti, l'épouse courageusement avait pris la direction de la ferme ; les enfants eux-mêmes aidaient de toutes leurs forces pour que le papa soit content lorsqu'il reviendrait ... Les lettres s'échangeaient entre l'avant et l'arrière. Puis un matin la missive du front annonçait quelque blessure, - toujours légère pour si grave qu'elle fût !... Mais, hélas ! combien de familles n'apprirent la fin des leurs que par le silence complet de l'absent !
'Oh ! cette mort atroce de l'homme à la fleur de l'âge ! L'affreuse blessure, les cris de douleur, le dernier mot d'adieu adressé à la mère, à l'épouse, aux enfants ... Et le dernier baiser qui clôt les paupières du mourant, très peu de ceux que nous honorons l'ont reçu...
Ainsi la France entière a été meurtrie par la perte de ses plus beaux enfants... Que de foyers détruits ! que de chaumières où seul subsiste le portrait agrandi de l'être disparu, du fils que la mère pleure, essuyant quotidiennement ses larmes intarissables, du père chéri dont les orphelins contemplent les traits, puisant dans cette contemplation de celui qui devait être leur guide, la force du caractère nécessaire pour supporter les difficultés de l'existence...
"Devant tant de deuils, devant tant de misères morales, quel est notre devoir ?
Les glorieux martyrs nous demandent autre chose que la reconnaissance. Ils demandent qu'on se souvienne.
Nous ne devons pas oublier leurs douloureux sacrifice, nous ne devons pas oublier que pendant 5 ans, ils ont souffert et que nous leur devons la joie inexprimable de tendre librement nos mains vers la lumière.
Ils ont souffert et de leur coeur est sorti le cri de haine à la guerre qui remplit de sang les sillons tracés pour la récolte nourricière.
Et pour que l'oubli ne tombe pas sur eux, on a élevé des monuments qui sont salutaires, parce que leur vue doit ranimer le souvenir et dire que nous ne devons jamais oublier.
Savy-Berlette n'a pas failli à son devoir. en faisant élever le cénotaphe que nous avons devant les yeux, le conseil municipal à qui j'adresse les félicitations les plus sincères, au nom des anciens combattants, a voulu montrer que le culte du souvenir s'était instauré dans nos coeurs.
Mesdames, Messieurs, 41 de vos enfants ont leurs noms gravés sur le marbre. Ils étaient les plus beaux, les plus fiers, les plus courageux. Enfants, ne les oubliez pas ! En sortant de vos écoles, venez ici, lire les noms glorieux ; en vous faisant raconter la vie de ces braves, vous apprendrez comment, malgré les pires dangers et les pires souffrances, un homme sait remplir son devoir.
Vous y lirez encore les noms de 3 enfants de Savy-Berlette morts pendant la guerre de 1870. Eux aussi avaient fait abandon de leur vie, pour la défense du pays. Le sort des armes leur fut doublement défavorable. Combien ils seraient heureux d'apprendre que les générations qui leur ont succédé n'ont pas failli à la tâche qui leur incombait de faire rentrer dans le giron de la Mère Patrie l'Alsace et la Lorraine, brutalement enlevées, par un traité dont l'application stricte fut exempte de faiblesses.
La longue liste de ces vaillants martyrs est sous la garde du Poilu de France ; de celui dont l'héroïsme, l'abnégation, la discipline ont émerveillé le monde. Sa faction sera éternelle et à travers les âges, il montrera aux générations futures son attitude franche et simple du guerrier du droit.
Le Coq gaulois emblème de la France éternelle, semble s'être perché tout là-haut pour mieux chanter son amour de la liberté.
Le Coq gaulois emblème de la France éternelle, semble s'être perché tout là-haut pour mieux chanter son amour de la liberté. Il foule à ses pieds le casque allemand qui représente à nos yeux l'esprit d'impérialisme, de conquête, de domination.
Dans quelques instants, le monument va demeurer seul dans ce cadre qu'on a embelli pour son inauguration. Mais nous nous y retrouverons en nombre à différentes époques de l'année, groupés autour de nos drapeaux.
Pour que la victoire ne soit pas un mythe, pour que tant de sang n'ait pas été versé inutilement, en un mot pour que nous restions dignes dans la paix, comme nous le fûmes au danger, il faut resserrer notre union et donner à nos gouvernants les moyens d'exiger de ceux qui nous ont si lâchement attaqués, les légitimes réparations qui nous sont dues. Lorsque nous constatons la déloyauté avec laquelle agissent ceux qui ont déchaîné la guerre, nous avons le devoir de conserver intacte notre force pour la garantie de la paix et le progrès du monde. Devant la longue liste des martyrs jurons que nous avons compris le commandement suprême sorti de leurs lèvres expirantes : garder la Patrie forte pour qu'elle ne souffre plus de la guerre.
Au nom des anciens combattants et mobilisés, je m'incline devant ces héros, dont le souvenir vivra éternellement dans nos coeurs et je dépose au pied de leurs veuves, l'hommage attristé de notre respectueuse sympathie et de notre impérissable attachement.
Vive la France !"
Après un morceau de musique, la parole est à M. Théret :
Discours de M. Théret, conseiller général
Le dévoué conseiller général du canton d’Aubigny remercie le comité, le maire, et la municipalité de leur aimable accueil. Il s’incline au nom du canton devant les victimes d u devoir et désire leur dire notre infinie reconnaissance.
Il rappelle les angoisses qui étreignaient tous les cœurs quand nos troupes submergées reculaient devant l’envahisseur. Mais nos soldats ne désespéraient pas. Et ils n’ont pas passé ! … Mais de quels sacrifices notre victoire n’a-t-elle pas été payée !
Que ceux qui sont revenus nous permettent de leur dire ce que nous leur devons. Ils ont la même gloire que ceux qui sont morts. N’avaient-ils pas eux aussi fait le sacrifice de leur vie ? C’est dans l’intention que réside le mérite.
Toutes ces manifestations seraient vaines, ajoute M. Théret, si nous ne prenions l’engagement de venger nos morts et de continuer l’œuvre qu’ils ont commencée. Pourquoi sont-ils tombés ? Pour que nos foyers, nos femmes, nos enfants subsistent inviolés. Pour que la France reste grande, libre et belle, telle que l’on faite nos ancêtres. Nous avons le devoir d’assurer la paix, et nous y arriverons en restant unis, en nous groupant derrière les Français, quels qu’ils soient, qui ont la responsabilité et le devoir de gouverner, de sauver la France.
La solidarité née du malheur n’a pas survécu entre les alliés. Nous ne comprenons pas pourquoi l’Angleterre, l’Italie nous abandonnent, pourquoi les Etats-Unis, ayant repassé la mer, s’isolent et se désintéressent de nous. Mais nous savons que les Allemands doivent expier leurs crimes. Nous ne voulons pas anéantir l’Allemagne, non, ce que nous voulons, c’est la paix réparatrice. Pour cela il faut arriver à détruire chez les Allemands les germes de domination et de cruauté qui sont en eux.
Travaillons à ce que notre France reste prospère, libre, à l’avant-garde de tous les progrès ; alors nous aurons fait notre devoir vis-à-vis de nos morts, et nous aurons le droit de passer le front haut devant les monuments, comme celui-ci aux cris de Vive la France ! Vive la Paix ! Vive la République !
C’est maintenant la remise de la décoration, dont est chargée M. le Lieutenant de gendarmerie Houillier. Le ban est ouvert. Le soldat Henneré Elie, du 73è d’infanterie, reçoit des mains du lieutenant la médaille militaire. On ferme le ban.
Discours de M. le Sous-Préfet
M. le Sous-Préfet de Saint-Pol, au nom du gouvernement, prend la parole. Il salue la mémoire des 41 morts de Savy, et s’incline devant leurs familles en deuil.
Après avoir exprimé à M. le Maire toute sa gratitude d’avoir été convié à cette cérémonie, il reprend une idée exprimée par MM Bachelet et Théret, et appelle l’attention de la population sur ce point essentiel à l’heure actuelle : la nécessité de faire bloc, dans un accord unanime, de façon que le gouvernement sente bien qu’il a derrière lui toute la nation, et puise dans cette unanimité de sentiment la force qui lui permettra de tenir en face des alliés aussi bien que des ennemis le langage qui convient.
Nos ennemis d’hier, après avoir tué 1.500.000 des nôtres, détruit nos plus beaux départements, renient aujourd’hui leurs dettes ; et certains de nos alliés semblent se détourner de nous. Voilà pourquoi il faut faire bloc pour réclamer le paiement de la dette sacrée, pour parler haut et ferme.
Il est malheureux que dans notre France, il se trouve quelques criminels, à moins que ce ne soient des fous, qui osent dire que la guerre a été déclarée par la France. Tous les bons Français se sont inscrits en faux contre pareille accusation. Bien au contraire, avant 1914, nous étions des pacifiques et même des pacifistes. Nous le sommes encore. Nous sommes avant tout des Français, des honnêtes gens, sans reproche mais aussi sans peur, et, s’il le faut, « nous remettrons ça » comme disent les poilus.
Devant leurs familles en deuil, je vous crie « Vive la France, vive la République ! »
La Marseillaise termine dignement cette belle cérémonie d’inauguration et la foule s’écoule, vivement impressionnée.
La soirée
Dans la soirée, la foule s’est portée à nouveau devant le monument pour assister à l’illumination par lampes électriques, dont la soin avait été confié à M. Giachello, l’entrepreneur électricien de Saint-Pol, dont on se rappelle le succès lors de l’inauguration du monument de cette ville et qui n’a pas moins bien réussi celle de Savy.
Les lampes électriques fixes tout autour de l’enceinte, au dessus de la porte d’entrée, sur la rampe du monument, au bec et au pied du coq, derrière lequel brillait une étoile, ont produit une illumination splendide.
Dans les flots de lumière se détachait, au-dessus du soubassement et de la terrasse, le fût élancé de la colonne surmonté du coq gaulois, qui se dresse sur ses ergots, dans un élan superbe et puissant, foulant le casque impérial. Ce motif sculpté par le statuaire Mourgnes, médaillé d’honneur du Salon de 1921, est de très belle allure et complète heureusement l’ensemble du monument artistement conçu par les architectes parisiens MM Courlouer et Brice, au nom desquels il convient de joindre celui de l’artisan de l’œuvre, M. Opigez, cimentier local qui a parfaitement saisi et interprété la pensée des architectes.
Des feux de bengale, par deux, par quatre, par gerbes de feux, alternant avec l’éclairage électrique vinrent à leur tour embraser ce magnifique ensemble, cependant que la musique, par intervalles bien réglés, faisait entendre de beaux morceaux de musique.
L’effet d’ensemble était féerique. La foule ne se lassait pas de voir et d’entendre jugeant la fête de nuit plus belle encore si possible, que celle de jour.
Ajoutons pour terminer et pour être juste que le monde a été frappé de la belle ordonnance dans laquelle se sont déroulées les diverses phases de cette journée inoubliable. Aussi ne saurait-on trop féliciter les organisateurs : M. Cauwet, maire, M. Laisse, directeur de la Sucrerie agricole et conseiller municipal ; M. Théry, instituteur et secrétaire de la mairie ; Mme Béal, institutrice ; M. Loubet, président des anciens combattants.
Nous devons réparer une omission qui s’est produite dans le compte-rendu que nous avons donné de l’imposante cérémonie du 20 août dernier.
Quelques lignes, terminant un alinéa, sont restées sur le marbre pendant la mise en pages, et de ce fait, la présence des sociétés de Savy dans le cortège n’a pas été signalée.
Nos lecteurs ont assurément complété d’eux-mêmes l’énumération que nous avons donnée. Notre souci de l’exactitude nous oblige cependant à indiquer qu’à la suite des sociétés de la région prenant part au défilé avaient pris rang, précédant les autorités, les sociétés locales : La Colombophile (président, M. Wagon) ; les anciens combattants (président, M. Loubet) ; la société de tir (président, M. Normand) et la fanfare La Fraternelle (président, M. Vasseur) qui, parfaitement dirigée par M. Rattier rehaussa l’éclat de cette mémorable journée.
Complétant la série des discours publiés dans notre dernier numéro, nous résumons aujourd’hui l’allocution prononcée par M. Bachelet à l’inauguration du monument :
Discours de M. Bachelet, sénateur
Après avoir remercié M. le Maire et dit qu’il a accepté avec empressement sa demande de venir présider la cérémonie dans cette commune de Savy où il a lutté pour le succès de la Sucrerie agricole, au milieu de cette population dans laquelle il compte un camarade de 50 ans, que la grande guerre a atteint dans ses plus chères affections, M. le Sénateur Bachelet explique la signification de cette cérémonie : de tels hommages rendus aux « poilus » ont pour but d’entretenir dans l’âme populaire, avec le souvenir des morts, celui des évènements terribles qui leur ont coûté la vie.
A ceux qui n’ont pas vécu les cinq dernières années de lutte sauvage le monument que vous avez érigé dira leur courage, leur patriotisme. Il sera un enseignement pour les générations à venir, il les obligera à revivre l’histoire de cette longue période où le monde a crié son admiration pour la grande nation qui, pas une minute, ne perdit la foi dans ses destinées.
C’est ainsi que Savy-Berlette, reconnaissante spécialement envers ceux des nôtres dont la mort nous a conservé la vie, envers ceux qui ont contribué par leur héroïsme et leur abnégation à sauver le pays, et avec lui la liberté du monde, glorifie avec eux tous les Français qui ont trouvé la mort sur les champs de bataille.
« Songez donc : sur un million et demi de français morts au champ d’honneur, plus de la moitié appartient à notre population paysanne. Ces chiffres ont leur éloquence et méritent qu’on les retienne.
« Le monument commémoratif que nous inaugurons aujourd’hui doit nous apparaître à la fois, comme un acte de l’expression d’un sentiment de solidarité, de reconnaissance profonde pour un passé glorieux et comme une leçon pour l’avenir…
« A quoi pensait donc, ce paysan de France là-bas, dans la boue des tranchées ? Il pensait d’abord à son coin de terre, à son foyer à lui, et c’est pour cela qu’il se battait si bien. Ce n’était pas un soldat quelconque qui se dressait contre l’envahisseur, c’était le Français de race, c’étaient des gens de toutes les parties de la France, des gens de chez nous, des gens dans le cœur pacifique desquels se sont réveillées, comme en un sursaut d’instinctif héroïsme, les vertus traditionnelles de la race. C’est bien pour cela que nos gas se sont si bien battus. Ils se sont bien battus pour nous conserver non seulement le foyer intime de chacun, mais quelque chose de plus grand, de plus idéal, de plus précieux encore ; la plus belle des patries : la France.
Il ne faut pas que le sang de tant de jeunes hommes, que tant de larmes de mères aient coulé en vain.
L’union sainte nous a donné la volonté de vaincre, et par là même assuré la victoire. Il faut que cette union nous donne la volonté de vivre. Le sang si généreusement versé peut, par le miracle de notre volonté, se transformer en semence de vie.
Or, vivre, pour un peuple, c’est travailler ; mais la première condition, pour qu’un travail soit fructueux, c’est la communauté de l’effort. Oui, nous avons remporté les plus belles victoires, remportons une victoire sur nous-mêmes. Travaillons d’un même cœur, d’une même pensée au bien général, à la grandeur, à la gloire, à la prospérité de la France. Les devoirs de la guerre sont achevés ; place maintenant aux devoirs de la paix qui nous sollicitent, pressants, nombreux…
Le ministre de la guerre, célébrant l’anniversaire de la victoire de la Marne, prononçait les paroles suivantes qui sont à retenir :
« Amputée de deux de ses provinces, la France a donné au monde pendant 43 ans, l’exemple d’une sagesse qui a tout fait pour ne pas troubler la paix du monde. La victoire lui a rendu, avec l’Alsace et la Lorraine, ses deux filles exilées. Elle ne revendique pas d’autres territoires. Elle n’attend et elle ne veut, dans la paix si chèrement achetée, que l’exécution des promesses solennelles auxquelles sont attachées sa restauration et sa sécurité.
Quoiqu’on l’en accuse, elle ne poursuit pas une œuvre de vengeance, mais, forte de son droit, elle exige que s’accomplisse l’œuvre de justice réparatrice dont l’Allemagne a accepté les conditions …
Qui aurait pu supposer que trois ans après s’être rendue à discrétion, l’Allemagne contesterait sa défaite et défierait ses vainqueurs ? Les hécatombes de tant de jeunes Français qui nous ont valu la victoire de la paix ne permettent pas d’accepter d’aussi honteuses palinodies.
Nous ne pouvons nous contenter en reportant notre pensée vers eux, d’être ainsi que le disait Poincaré, d’être des jouisseurs pacifistes. Nous devons rester derrière nos soldats les hommes de caractère, d’énergie, de volonté, de sacrifice.
L’Allemagne responsable de la guerre, doit réparer le mal qu’elle a fait ; de gré ou de force, elle répare ; le président du Conseil en qui nous plaçons notre confiance en a fait le serment.
Et terminant par un appel à l’Union sacrée, M. le Sénateur Bachelet explique comment nous pouvons la réaliser, en serrant les rangs, en rejetant au second plan tout ce qui peut nous diviser. Cela ne signifie pas qu’il faille répudier nos opinions personnelles, mais cela veut dire que nous devons placer par dessus tout l’intérêt national. Ainsi nous achèverons l’œuvre sainte commencée par nos héros ; ainsi les victoires qu’ils ont remportés au prix de leur vie, la Marne, la Somme, Verdun, ne resteront pas de stériles parades. Unis pour gagner la paix, nous aurons la joie d’aimer et d’admirer la France relevée et chaque jour plus grande.
(L’Abeille de la Ternoise, des 27
août et 3 septembre 1922)