Lundi 7 juillet, à 11 h, a eu lieu à Savy-Berlette, l’inhumation du médecin-major Marcel Dorge, décédé à Dakar (Sénégal), victime de son dévouement le 16 juin 1916. Bien que la funèbre cérémonie fût tout intime, une assistance nombreuse se pressait derrière le cercueil aux formes massives, qui contenait les restes de cet enfant du pays, si unanimement aimé et regretté. On peut dire que tout Savy était là, y compris les enfants des écoles, donnant à la famille Dorge un témoignage de sympathie. De nombreuses gerbes de fleurs avaient été offertes par les société locales, anciens combattants, musique, tir, société colombophile, par les enfants des écoles et par les amis du défunt. Le deuil était conduit par Hyppolite Dorge, ancien conseiller d’arrondissement, ancien maire de Savy, accompagné de ses 3 fils, André, René et Auguste Dorge, père et frères du médecin-major Dorge. Dans l’église, trop petite pour la circonstance, le curé, après l’offrance, dit quel grand malheur avait été pour le pays la mort de Marcel Dorge. Il rappela avec quel empressement celui-ci se prodiguait comme médecin, auprès de tous, pauvres et riches, ne cherchant qu’à répandre le bien autour de lui, en toutes circonstances ; c¶ur généreux aux nobles impulsions, créatrices de tous les dévouements… Au cimetière, devant la foule profondément impressionnée, M. Loubet, président des Anciens Combattants, prononça le discours suivant : « Mesdames, Messieurs, Au nom de la société des Anciens Combattants, je viens adresser un dernier adieu au Docteur Marcel Dorge, qui vient reposer à tout jamais dans le caveau de ses ancêtres. Marcel Dorge est un enfant de Savy. Il en était une des fleurs, il restera l’un des plus regrettés. Je ne m’étendrai pas longuement sur sa jeunesse puisque j’ai le regret de ne pas l’avoir connu. Je me permettrai seulement de rappeler qu’il fit ses études aux collèges de Saint-Pol et du Quesnoy, études couronnées de succès comme l’atteste le titre de Docteur en médecin qu’il obtint à la Faculté de Lille. La vie d’un médecin digne de ce nom est un véritable apostolat. Marcel Dorge l’avait comprise ainsi, puisque à peine installé à Lomme-les-Lille, banlieue de la grande cité industrielle, il dispensa sa science, son temps et même son argent pour atténuer bien des misères qui s’abattent sur l’humanité et surtout dans la classe pauvre. Dans son rayon d’action, dans tous les postes où il exerça sa profession, il ne laissa que des amis qu’il savait se créer par sa franchise, sa gaieté, sa science. Malheureusement la tourmente générale qui se déchaîna le 2 août 1914 devait entraîner avec elle cet homme de bien qu’unanimement nous pleurons. La mobilisation enleva le Docteur à ses malades, et ce fut le 1er corps d’armée, glorieux entre tous, qui lénrôla dans ses rangs. Dans une retraite malheureuse, l’homme qui savait panser les blessures et qui possédait les trésors de bonté et de délicatesse pour réconforter le moral, se dévoua de tous son être jusqu’au jour où un engin meurtrier le coucha à son tour sur le lit d’hôpital. Sa forte constitution eut vite raison de sa blessure. A peine convalescent, il fut affecté à un centre d’instruction de la classe 15. son caractère d’homme puissant et actif ne put s’accomoder à cette vie sédentaire de médecin major veillant sur l’état physique des jeunes gens pleins de santé, comme il le disait lui-même. Une mission d’une beauté particulière l’attendait. Lorsque notre Gouvernement fit appel à nos colonies pour venir au secours de la Mère Patrie, il fallut un service sanitaire de recrutement. Le médecin major Dorge partit volontaire pour le Sénégal. Son rôle avait la même grandeur que celui du combattant du front français. Sous un ciel meurtrier, où les fièvres paludéennes font des hécatombes de vies humaines, Dorge contribua à la formation des contingents de troupes noires qui suppléèrent bien souvent les troupes de la métropole dans les affaires sanglantes dont le souvenir nous étreint le c¶ur. Au Sénégal, Marcel Dorge parcourut la brousse pendant de longs mois, surmontant tous les obstacles, grâce à une santé de fer, et poussé par un profond sentiment du devoir. Son séjour à la colonie était terminé et il entrevoyait son retour prochain parmi nous. Mais le sort en décida autrement. Un de ses collègues était atteint de la fièvre typhoïde paludéenne. Mal terrible qui ne pardonne pas, si des soins intelligents ne vienent contrecarrer le microbe peurtrier. Ces soins, le médecin major Dorge les donna à son camarade. Mais la contagion guettait notre ami qui fut atteint à son tour. Moins heureux et surtout mal soigné, il succomba à Dakar en juin 1916 après être resté dans le coma pendant 3 jours. Qui nous dira la lutte terrible qui se livra chez cet homme qui ne voulait pas mourir ? Lutte physique, lutte morale. Lui qui, tant de fois, s’était penché sur le lit de douleur, lui qui croyait en la sicence, lui qui s’était tant de fois dévoué pour la sauvegarde de la vie humaine, se voyait terrassé à 34 ans, loin de sa mère et de son père, loin de ses frères qui, eux aussi, accomplissaient leur devoir de bons Français, sans avoir reçu le dernier baiser qui aide à franchir le vaste précipice de la vie au trépas. N’avait-il pas fait le rêve d’adoucir les souffrances de ses parents à leur lit de mort ; n’avait-il pas pensé qu’il serait celui qui écarterait la maladie du foyer paternel ? Un injuste retour des choses le clouait au tombeau avant d’avoir pu soulager une partie des misères humaines qui minent la société. Nos regrets sont doublement amers. Savy a perdu un de ses enfants les meilleurs. LA France a vu disparaître un de ses plus dignes fils, car il réunissait en lui l’homme de sciences et l’homme de c¶ur doublé d’un parfait citoyen. Madame, Messieurs, Je ne sais comment vous exprimer la grande douleur que nous ressentons en présence d’un pareil malheur. Soyez persuadés que la disparition glorieuse de votre fils et frère va au c¶ur de tous ceux qui se pressent autour de vous. Je me permets de faire l’écho de leur pensée en vous priant d’accepter nos condoléances les plus sincères et les plus attristées. Que le retour à la terre natale de votre fils et frère soit un adoucissement à votre grande peine ! Marcel Dorge, au nom de vos anciens camarades de Savy-Berlette, je vous dis un dernier adieu. |
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