Clovis GRIMBERTun écrivain combattant |
Dans l'ouvrage "Anthologie des écrivains tués pendant la première guerre mondiale", Alfred Demont a rédigé la notice suivante, relatant la biographie de Clovis Grimbert :
Membre des rosati du Ternois, puis des Rosati d'Artois, Clovis Grimbert est connu comme poète de terroir, journaliste, et surtout comme directeur et rédacteur en chef de l'une des principales feuilles du front, Le 120 Court.
Né le 25 avril 1887, à Erin, joli village de l'arrondissement de Saint-Pol, situé sur les bords de la Ternoise, et où il avait empli ses yeux de la beauté des plus ravissants paysages et son coeur des plus nobles et plus délicats sentiments, Grimbert vint habiter Saint-Pol en 1907, et se fit clerc de notaire : mais, poussé par un goût très vif pour le journalisme et la littérature, il demandait bientôt à collaborer au journal de l'arrondissement de Saint-Pol, L'Abeille de la Ternoise, que dirigeait M. Jean Dubois. Ce dernier l'accueillit avec plaisir et ne regretta jamais de lui avoir ouvert les colonnes de son journal, car Grimbert les remplit de nouvelles, de variétés, de chroniques, d'articles d'actualité sous les rubriques D'Estoc et de Taille et Ternois-Revue, de comptes-rendus et de poèmes, sonnets, ballades, chansons ..., le tout écrit avec beaucoup de finesse et d'esprit, dans un style alerte et captivant. Il signait ses oeuvres du pseudonyme C.G. de la Vallée, ou C. Benjamin, ou C. du Terdick, ou enfin Djenanine.
Ayant par suite acquis droit de cité à Saint-Pol, Grimbert fut admis dans un grand nombre de société dont il devint le chansonnier. En 1908, il contribua avec d'autres à la fondation des Rosati du Ternois. Il fut l'un des membres les plus zélés de ce groupement et collabora à son bulletin bi-mensuel, le Renouveau. Il fut même un moment le secrétaire de redaction de cette petite revue locale. Plus tard, il fournissait aussi quelques articles d'actualité au Journal de Saint-Pol, sous le pseudonyme de Jehan de la Glèbe, puis à La Vie Arrageoise, ainsi que des poèmes qu'il signa C.G. du Ternois d'abord, et de son vrai nom ensuite.
En 1911, son service militaire terminé, l'Harmonie municipale de Saint-Pol le mettait à contribution pour ses fêtes et lui demandait des revues. En collaboration avec M. Louis Lebel, président de cette société, Grimbert composa Saint-Pol... en cinq secs, qui fut jouée à la Salle des Fêtes de Saint-Pol les 30 mars et 9 avril 1911, et Nous sommes de revue... ! qui fut jouée le 26 février 1912. Ces deux revues eurent le plus grand succès. Voici ce qu'en disait L'Abeille de la Ternoise : "De l'esprit d'à propos, de la fantaisie, il y en avait à chaque phrase, et avec un je ne sais quoi de coquet, de simple, de charmant. Ce n'était pas de la recherche savante, compassée et prétentieuse, mais de la gaieté débordante ; pas de satire acerbe, de la taquinerie spirituelle tout au plus." On chante encore aujourd'hui à Saint-Pol quelques uns des couplets de ces revues.
Le 16 mai 1912, à un grand concert donné par le journal L'Abeille de la Ternoise au profit de l'aviation, Grimbert fit chanter La Marseillaise de l'Aviation, sur l'air de "Coeur de Tzigane". Cette chanson vibrante de générosité et d'abnégation eut un succès énorme. On l'a encore chantée après la guerre dans un concert à Saint-Pol. En 1913, Grimbert prit par à la Fête des Roses organisée par les rosati d'Artois dans le parc de la sous-préfecture de Saint-Pol, en l'honneur de Sébastien-Charles Leconte. Il offrit au poète la Ballade des Roses du Ternois, oeuvre pleine de grâce et de douce sentimentalité.
J'aime de mon Ternois la rivière
coquette,
Brillante et gracieuse ainsi
qu'une soubrette
Par
les beaux jours d'été ;
J'ai entendre son chant, ses
plaintes, son murmure,
Et voir ses bords fleuris tremper
leur chevelure
Dans
le flot argenté.
J'aime les clairs midis tombant
sur la vallée
Et parsemant d'azur la pleine
ensoleillée
D'où
montent des chansons ;
J'aime les doux parfums des
fleurs à peine écloses,
Les perles du matin et la
fraîcheur des roses
A
l'ombre des buissons.
Un an après, la guerre éclatait. Incorporé d'abord au 73ème Régiment d'Infanterie, Grimbert alla de Béthune à la frontière belge, et de celle-ci au Havre, puis à La Rochelle, et enfin à Saint-Astier, où avait été évacué le dépôt de son régiment. Le 30 décembre 1914, il quitta Saint-Astier pour aller à Decize, au 37ème d'infanterie, d'où il passé au 69ème à Autun, puis au 17ème bataillon de chasseurs à Châlons-sur-Saône, et enfin qu 120ème bataillon de la même arme, où, de sergent qu'il était, il devint sergent-fourrier, puis sergent-major, et enfin sous-lieutenant.
C'est alors qu'il était encore sergent-fourrier, secrétaire du chef de corps, qu'il entreprit, avec l'autorisation de ce dernier, la publication du 120 Court. Ce journal de tranchées, dont le premier numéro vit le jour le 20 juillet 1915, en Alsace, en pleine action, eut vite une très grande vogue. "Il survint à point, écrivait un jour le commandant Rousseau, pour secouer les nerfs crispés et dérider les fronts". Tiré à plus de 5.000 exemplaires, Le 120 Court avait déjà près de 300 abonnements à son deuxième numéro. C'est que Grimbert avait su donner à cette feuille le cachet qu'il fallait. Elle était rédigée avec goût et dans le seul esprit qui pût plaire aux Poilus. Ce n'était en effet, dans ses articles, que contes gais et drôles, que blague spirituelle, bons mots, potins sans méchanceté, etc.
Les trois quarts de chaque numéro sont l'oeuvre du directeur du 120 Court. Ce sont des articles de qualité, dit le commandant Rousseau. Certains même sont de petits chefs d'oeuvre. Citerai-je, par exemple, les poèmes : Les Poilus, le Gaillard d'arrière, Nos Poux, Noël des Gueux de la Guerre, et surtout le revue Haut les Cors ! "revue nébuleuse, cafardicide et suffocante en dix-huit étapes sans casse-croûte", qui fut jouée le 19 mai 1917 dans le bois d'A...
Le 120 Court acquiert un tel renom, tant sur le front qu'à l'arrière et dans l'intérieur, que son directeur reçoit des félicitations et des encouragements sans nombre, d'abord des grands journaux parisiens, qui lui empruntent parfois, puis de nos meilleurs écrivains, de Barrès, Richepin, Marcel Prévost, etc. De charmantes abonnées même lui envoient des vers dithyrambiques. Mais Grimbert reçoit mieux encore : ce sont des subventions, parmi lesquelles une de 500 francs du Ministère des Colonies. Ainsi encouragé, Grimbert apporte encore plus de soin à la rédaction de son journal. Il fait si bien que ce dernier obtient un des premiers prix dans le concours ouvert par Le Journal entre toutes les feuilles du front, et chacun sait combien nombreuses elles étaient.
Noël des gueux de la guerre
(paru dans Le 120 Court, n° 30, Noël 1916)
Noël, ô Noël des Gueux de la
Guerre,
Viens donc réchauffer les boyaux
glacés,
Viens nous rappeler les beaux
jours passés,
Toi qui, cette nuit, visites la
Terre !
Le bataillon dort, mais
quelques-uns veillent.
Vois comme ils sont beaux, les
gas de chez nous.
Malgré leur fatigue et malgré
leurs poux,
Les reconnais-tu, ces gas qui
sommeillent ?
Ils sont de partout, de l'Ain, de
Lorraine,
Paysans vosgiens, gamins de
Paris,
Types du Morvan, Lyonnais et
"ch'ti-mi".
Fils de la Cité ou fils de la
plaine.
Ils sont là, couchés dans la
pestilence,
Sous l'âpre baiser du froid qui
sévit,
Et les noirs créneaux et les
noirs gourbis
Rendent plus cruel le pesant
silence.
Qu'importe pour eux ! Ils ont
leur empire :
C'est l'immensité des champs où
l'on meurt,
Et jamais cafard ou mauvaise
humeur
N'altère leur cran et leur franc
sourire.
Tu pleures, Noël, car ces grands
marmots,
Tu les as connus voilà des
années,
Quand tu leur jetais par les
cheminées
Des jouets de prix tout plein
leurs sabots.
Le sort les a faits ouvriers de
haine,
Eux qui, hier encor, mutins et
charmants,
Mettaient du soleil au coeur des
mamans,
Quand ils s'effrayaient d'un
croquemitaine.
Ah ! laisse-les donc écrire
l'Histoire !
Laisse-les finir le sanglot
boulot,
Et porte chez eux, à leurs chers
loupiots,
Par la cheminée, un peu de leur
gloire.
Devenu officier, Grimbert ne négligea pas pour cela son journal. Il songeait même à composer une nouvelle revue, quand, hélas !, les évènements se succédant avec rapidité et plus terribles les uns que les autres, il tomba, le 11 juin 1918, en montant avec son bataillon à l'assaut du plateau de Méry, dans la Somme, mortellement blessé par un éclat d'obus, à côté de son commandant qui était également touché. Il n'avait que 31 ans, et l'avenir s'annonçait pour lui plein de promesses. La perte de Grimbert fut vivement ressenti dans le 120ème bataillon de chasseurs, où tous, officiers, sous-officiers et soldats avaient pour lui une réelle et sincère affection. Le 46ème et dernier numéro du 120 Court qui parut quelques mois après, en décembre 1918, fut entièrement consacré à sa mémoire. Grimbert fut également regretté de tous à Saint-Pol. Il était si bon, si serviable, il avait tant de tact et de délicatesse qu'il ne se trouvait personne qui n'eût d'estime pour lui.
Grimbert avait 3 citations. En voici la teneur :
1° « Tant dans ses fonctions de sous-officier, secrétaire du chef de corps, que dans celles d’officier-adjoint, a toujours fait preuve d’une grande bravoure personnelle en venant, dans les secteurs les plus bombardés, se mettre en relations avec son chef de corps. Par sa verve entraînante, a su exercer, dans les circonstances les plus critiques, une heureuse influence morale sur le bataillon. Blessé au cours de la campagne. »
2° « Sous-lieutenant au 120è B.C.P., officier plein d’entrain et d’esprit de décision. La majeure partie de son personnel ayant été intoxiquée, le 6 mai 1918, par les gaz, n’a pas moins continué à assurer jusqu’au bout un service dans des conditions particulièrement pénibles et sous de violents bombardements par un obus toxiques, explosifs et incendiaires. »
3° « Officier d’un dévouement sans limite, d’un remarquable esprit de devoir et d’une très haute élévation de caractère, ayant pris part à toutes les affaires du bataillon auquel il appartenait depuis sa formation. Très apprécié de ses chefs, aimé de ses camarades et adoré de ses chasseurs ; synthétisant dans sa personne, l’âme du bataillon. Adjoint au chef de corps, a été mortellement frappé, le 11 juin 1918, au cours d’une attaque en remplissant les devoirs de sa fonction. »
Paul-André Trollé
Bibliographie de Clovis Grimbert
Saint-Pol... en cinq secs,
fantaisie comique locale, jouée à Saint-Pol les 30 mars et 9 avril 1911 -
restée manuscrite.
Nous sommes de revue... !!!,
revue locale en un prologue et 4 tableaux, jouée à Saint-Pol le 26 février 1912
- restée manuscrite.
La Marseillaise de l'Aviation,
chanson (Saint-Pol, imp.J. Dubois, 25 avril 1912)
Le 120 Court, "revue d'un jeune bataillon de chasseurs,
seul journal relié par fil spécial "Cordon détonant" avec les
tranchées boches" - 45 numéros de 4, 8 ou 12 pages in-4° (Grimbert dirigea
ce journal et rédigea la majeure partie de chaque numéro. Le 46ème et dernier
numéro, rédigé par le sergent-major G. Raoul, lui est entièrement consacré. Le
36ème numéro contient la revue : "Haut les cors ! de C. Grimbert et G.
Raoul, jouée le 19 mai 1917 dans le bois d'A...)
Pour citer cet article :