Commémorer : l'exemple des

monuments aux morts du canton d'Auxi-le-Chateau



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Pendant la Grande Guerre, près d'un homme sur cinq envoyés au combat a été tué. La mesure du choc psychologique et l'importance du dueil expliquent qu'immédiatement après la fin du conflit, un grand nombre de monuments aux morts se soient élevés sur le sol français.
"
Ce serait acquitter une dette de reconnaissance que de rendre hommage aux enfants de Rougefay morts pour la France", déclare le maire, Ernest Lamoury, à ses collègues du conseil municipal le 28 juillet 1920.
Le monument commémoratif se veut en effet, le symbole de la reconnaissance des vivants envers les morts, mais aussi le signe de la solidarité nationale envers les familles des disparus.

A Wavans, le 7 août 1919, le conseil municipal vote une somme de 600 fr destinée à couvrir, en complément d’une souscription, les frais d’érection, mais le maire, Tillier, se voit rappeler par le Préfet qu’il est obligatoire de former un comité pour faire appel à la générosité publique.
La création d’un comité chargé de l’érection du monument est en effet obligatoire. En août 1919, le Préfet rappelle au sous-préfet de l’arrondissement de Saint-Pol : "Avant de faire appel à la générosité publique, les municipalités doivent former un comité qui peut très bien être choisi, en partie ou même en totalité, dans le conseil municipal avec le Maire comme président, et conformément au premier paragraphe de l’article 2 de la loi du 31 mai 1916 sur les œuvres de guerre, il doit en faire déclaration ".
Cette déclaration indique les nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité, profession et domicile des fondateurs, directeurs et administrateurs ; les buts précis que poursuit l’œuvre ; son siège, et les ressources dont les fondateurs disposent pour le fonctionnement de l’œuvre et les moyens qu’ils se proposent d’employer pour faire appel à la générosité publique.
Dans le canton d’Auxi, le comité est le plus souvent constitué exclusivement d’élus du conseil municipal, comme à Conchy-sur-Canche et Monchel-sur-Canche. Rares sont les comités qui, à l’instar de Noeux-les-Auxi ou de Quoeux, ont le souci de représenter, au mieux, la communauté.
Tout comité a pour objectifs de proposer un emplacement, un projet architectural, et de collecter des fonds à travers des quêtes, au porte-à-porte. Des appels à souscription sont publiés dans la presse locale. Les journaux L’Abeille de la Ternoise et Le Télégramme publient dans leurs colonnes, les noms des généreux donateurs par commune. Un nombre très important de souscripteurs, et le montant des sommes collectées (parfois très élevé ou très modeste), témoignent de l’adhésion de la très grande majorité des habitants.
A Bouret-sur-Canche, l’adjudant Desacy, président de l’union des anciens combattants, et son beau-frère, Louis Allart, s’occupent de la souscription. Ils sont aidés par l’instituteur, Carbonnier, qui exerça souvent les petits élèves et les jeunes gens à la pratique du tir avant la guerre afin de les aider à devenir de bons soldats.
D’un projet de plaque commémorative, une municipalité peut passer à un projet de monument commémoratif. C’est le cas à Noeux-les-Auxi, où le 20 juin 1920, le conseil municipal décide l’achat d’une plaque commémorative qui serait posée contre le mur de l’église près du grand portail. Mais le 10 avril 1921, plusieurs conseillers municipaux exposent qu’il serait préférable d’acheter un monument compte tenu des fonds recueillis dans le cadre de la souscription.
Dans le but d’éviter toute erreur ou omission dans l’inscription sur le monument, des noms des enfants de la ville morts ou disparus au cours de la guerre, le comité de Frévent invite les familles éprouvées à consulter la liste affichée chez MM Mattissart et fils, marbriers sur la Place.
Tout comité organise aussi la cérémonie d’inauguration, et en élabore le programme.


Le monument aux morts, une leçon aux vivants

Un lieu de recueillement, de reconnaissance et de solidarité

Elever un monument, c’est offrir aux familles qui n’ont pas la possibilité de faire revenir les corps des leurs, un lieu pour se recueillir. Cette idée est reprise dans les discours prononcés à l’occasion des cérémonies d’inauguration.
A Le Ponchel, "A ceux qui, dans le cahot et la tourmente des champs de bataille, n’ont pu retrouver les restes précieux de leur mari bien-aimé ou de leur enfant chéri, ce monument sera une tombe qui leur rappellera les absents et adoucira leurs larmes" (Lucien Dournel, Maire)
A Bouret-sur-Canche, "S’il vous était permis d’interrompre pour un instant votre sommeil éternel vous vous rendriez compte de la grandeur de vos actes ; la joie rayonnerait sur tous les visages. Mais puisqu’il n’en est pas ainsi, je m’adresse à ce monument – image pour ainsi dire vivante qui vous remplace sur cette terre que vous a vu naître – et vous dis ces quelques mots qui seront mes derniers adieux : Martyrs du plus noble devoir, le poète a chanté votre gloire. Vos actes, du plus pur héroïsme, vous ont engagés dans le sentier qui conduit droit à l’immortalité. Votre gloire est éternelle !" (Tempez, Maire)
A Boubers-sur-Canche, "Ce monument élevé par souscription publique à laquelle tous ont versé, sera veillé de génération en génération avec un soin pieux. Nous monterons près de lui, c’est-à-dire des corps de nos héros une garde vigilante, ainsi que le fait aux Invalides le vieux soldat près du tombeau du grand empereur" (Jules Mallet, Maire)

Un symbole de la reconnaissance des vivants envers les morts


De ces monuments se dégage une leçon pour les vivants. Il rappelle aux vivants qu’ils doivent œuvrer pour éviter pareille tuerie et pour maintenir l’unité qui a été celle des soldats aux fronts.
A Bouret-sur-Canche, "Certes pour nous, leur souvenir est impérissable, mais il faut que nos enfants se les remémorent et se disent en passant devant ce monument : ceux dont les noms sont inscrits là ont fait leur devoir …. Que ce monument reste un symbole. Qu’aux heures difficiles, les générations futures viennent ici puiser le courage nécessaire pour les affronter. Qu’elles se disent que le cœur de nos camarades, tombés au champ d’honneur, fut toujours aussi solide que le marbre sur lequel leurs noms sont gravés … Elles verront ainsi que l’amour de la Patrie, idéal de nos frères d’armes, est un guide sûr et infaillible, comme en fait foi tant de siècles de notre Histoire ... Mourir pour la Patrie, c’est le sort le plus beau." (Desacy, président de l’union des anciens combattants)
A Vaulx, le professeur au collège de Calais, Pezé, souligne la beauté de l’emplacement choisi : "Cette large voie montante conduisant aux divers parvis sera demain le chemin d’un noble pèlerinage. Jeunes gens, qui avez à combler les vides laissés par vos aînés, vous n’oublierez pas que vous leur devez les fruits d’une victoire qu’ils ont su gagner. Conscrits des classes futures, vous viendrez ici chaque année déposer en hommage une gerbe de fleurs, relisant avec admiration les noms de ceux qui ont si bien su dicter votre devoir. Et si, contre toute espérance, il vous fallait, à votre tour, défendre notre frontière, c’est devant cette pierre, comme devant un autel, que vous viendriez retremper votre courage, élever vos âmes, pour marcher sur leurs traces".
A Frévent, M. Isbled, au nom de l’Union des Combattants, dit : "En même temps qu’un exemple, ce monument restera à jamais un symbole. Aux heures d’angoisse, aux moments troubles d’un avenir qui peut toujours devenir incertain les générations futures puiseront ici le mâle courage qui leur sera nécessaire … Elles apprendront que même lorsque tout semble désespéré, il faut espérer encore, qu’à Charleroi succéda la Marne et qu’à la ruée dernière du boche, en 1918 il fut répondu par la Victoire".
A Auxi-le-Château, le maire, Maincourt, informe le jour de l’inauguration : "La municipalité conservera pieusement ce monument comme un patrimoine sacré qu’elle a le devoir de transmettre intact à la postérité".


Typologie des monuments aux morts

Le choix d’un emplacement

Elever un monument, c’est choisir un emplacement plutôt qu’un autre. Des débats ont parfois lieu lors des séance du conseil municipal.
A Fortel-en-Artois, les avis sont partagés sur l’emplacement. Par 7 voix contre 3, le conseil municipal décide de placer le monument sur la butte de l’ancien calvaire sis à l’angle formé par le chemin de grande communication 115 et son embranchement partant sur Villers-l’Hôpital.
A Haravesnes, le 17 février 1921, le conseil municipal considère qu’il est impossible d’ériger le monument dans le cimetière, et décide sa construction sur le terrain communal qui se trouve entre le chemin conduisant à l’église et la grange appartenant à M. Varlet, propriétaire à Haravesnes le long du chemin de grande communication 117, placé à 3 m en arrière.
Le 1er février 1920, le conseil municipal de Le Ponchel décide de placer le monument devant l’église, le long du chemin de grande communication 119 et sur un terrain appartenant par Lucien et Daniel Dournel, qui consentent à faire gratuitement abandon de la surface de ce terrain. Le 12 mars 1921, le préfet indique au sous-préfet qu’afin d’éviter les formalités longues et coûteuses d’un acte de donation, MM Dournel n’ont qu’à céder pour le franc symbolique ce terrain, mais avec la réserve qu’il leur revienne si pour une cause quelconque il n’est plus affecté à sa destination première. Le 3 avril 1921, comme l’emplacement présente des inconvénients, celui-ci est modifié, et le monument est placé sur un terrain communal dans l’encoignure existant en bordure de la route entre le pilier de droite de l’entrée de l’église et le contrefort latéral.
A Wavans, pour faire face à la dépense, la somme de 1.000 fr est prise sur le produit de la vente d’arbres qui a été faite à l’Armée Britannique. Le 27 juillet 1920, le cultivateur et adjoint au maire, Gustave Bacquet, atteste ne point faire usage du droit de préemption qui leur est attribué de par la loi, et abandonner tous droits pour la portion de terrain occupée par le monument public, à poser en face du jardin potager, faisant partie de sa propriété en face de la place publique de Wavans.
A Fontaine l’Etalon, le 14 mars 1921, quelques habitants du hameau de la Fosse (situé à 2 km de Caumont) indiquent, dans une pétition, qu’ils ont versé leurs offrandes sous des conditions qui ne sont pas respectées par la municipalité. Les sommes sont donc remises au comité de Caumont. Les habitants de ce hameau, rattaché à Fontaine du point de vue religieux et scolaire, ont donné à la condition expresse que ce fut pour l’érection d’un monument au cimetière, où reposent leurs morts. Or, la municipalité a décidé l’érection sur un terrain privé. Dans une correspondance, ces habitants indiquent que leurs "démarches n’ont aucun caractère politique ni de querelle, nous sommes et voulons rester tous en excellents rapports de société avec le conseil municipal".

Des monuments au caractère uniforme et banal

Les municipalités, aujourd’hui propriétaires des monuments aux morts communaux, ont été très rarement maître d’oeuvre de leur construction. Dans le canton d’Auxi-le-Château, elles ont fait appel aux entrepreneurs suivants : Mattissart à Frévent, Authom-Lebel à Saint-Pol, Delwaulle-Parmentier à Hesdin, Delwaulle fils à Hesdin
Parfois, des travaux supplémentaires doivent être faits. Ainsi à Buire-au-Bois, le devis initialement de 3.057,50 fr, est couvert en totalité par la souscription. Mais ce coût s’élève finalement à 3.638,50 fr, divers travaux étant apparus indispensables en raison d’un terrain peu solide, ce qui a obligé l’entrepreneur à faire plus de maçonnerie que prévu.
Dans le canton, des monuments ont ainsi le même caractère uniforme et banal, à part quelques rares modifications de détail. Certains monuments de commerce sont choisis dans des albums spéciaux que l’on retrouve entre les mains des entrepreneurs de monuments funéraires et ne répondant à aucun souci d’esthétique.
Les pouvoirs publics ont cependant des préoccupations urbanistiques, et considèrent le monument comme relevant d’une perspective à la fois historique et artistique. La commission d’examen des projets de monuments commémoratifs aux morts de la Patrie fait quelques observations sur le projet de certaines communes.
Le 11 février 1921, le préfet écrit au sous-préfet que le projet de la commune de Bouret-sur-Canche est inacceptable "en raison de son insignifiance et de sa pauvreté de composition. Il y a lieu de produire un nouveau croquis dressé par un homme de l’art".
Pour le projet de la commune de Rougefay, cette Commission indique : "Le croquis proposé marque la simplicité dans son ensemble mais les petits drapeaux qui forment l’ornementation ne sont pas à l’échelle par rapport aux autres attributs traités de grandeur naturelle. Ils seront à supprimer. D’autre part, la croix demande à être mise plus en rapport avec le style général".
A Frévent, l’érection du monument aux morts sur la place Saint-Vaast, amène la transformation complète de cette place. Trois rangées de tilleuls qui l’ombrageaient ont été supprimées : la plantation de ces tilleuls remontait à 1832, époque à laquelle, à la suite de l’épidémie de choléra, le cimetière entourant l’église fut transféré à l’emplacement qu’il occupe actuellement. L’entourage du monument qui se dresse au milieu de la place consiste en une grille sur soubassement en briques, dont le modèle est fourni par M. Paul, architecte à Saint-Pol.

Les types de monuments aux morts


En fonction de la localisation des monuments, de l’iconographie et des inscriptions, cinq principaux types de stèles ont été mis en évidences par Antoine PROST, dans son article intitulé "Les monuments aux morts" publié dans Les Lieux de Mémoire de Pierre NORA. :
1) Les monuments de la Victoire sont situés sur une place publique et certains sont agrémentés d’une statue allégorique (coq, couronne de laurier, drapeau déployé) ou d’un poilu idéalisé ;
2) Le monument civique ne porte aucune allégorie, et se situe sur la place publique, à proximité de la mairie. La croix de guerre est fréquente.
3) Le monument funéraire-patiotique sont sur la place publique ou dans le cimetière.
4) Le monuments funéraire est une tombe ou un calvaire.
5) Le monument pacifiste développe des allégories de paix.
Dans le canton d’Auxi-le-Château, à l’exception de ce dernière modèle, tous les types sont présents.

Les types d’inscriptions

Comme l’a remarqué Pascale BABOULET dans son étude sur les monuments aux morts de la Première Guerre Mondiale et la Société Lotoise, les noms se suivent, inscrits selon un même modèle typographique, les uns au-dessous des autres dans un ordre qui ne doit rien à ce que les hommes ont été dans la vie. On a retiré à ses morts toute la singularité de ce qu’a été leur existence. On les a homogénéisés et en même temps réduits à leur plus simple expression : leur nom. Tout trait personnel relevant d’une connaissance quotidienne et de longue durée est gommée. Tout regroupement par famille ou autre affinité, de voisinage, de parti, est exclu, alors que dans les communes, l’histoire personnelle de chacune de ces personnes décédées était connue. La standardisation des noms, sur le monument, renvoie aux usages administratifs de l’Etat-Civil, à l’identité attribuée par « les papiers » par l’Etat. Ce pas vers l’égalité des hommes dans la mémoire n’allait pas de soi dans une société où la notion de rang était importante.
Les inscriptions sur le monument sont divers :
1) La commune de X à ses enfants morts pour la France
(Aubrometz, conchy-sur-Canche, Fontaine l’Etalon, Fortel-en-Artois, Le Ponchel, Vaulx et Willencourt)
2) La commune de X à ses enfants morts pour la Patrie
(Boffles, Boubers-sur-Canche, Buire-au-Bois, Frévent, Ligny-sur-Canche, Monchel-sur-Canche, Noeux-les-Auxi, Quoeux, Wavans)
3) A ses enfants morts pour la France, la commune de X reconnaissante
(Gennes-Ivergny)
4) A ses enfants morts pour la Patrie, la commune de X reconnaissante
(Haravesnes, Rougefay)
5) Aux enfants de X Morts Pour la France
(Haut-Maisnil)
6) X à ses enfants Morts Pour la France
(Bonnières, Tollent, Villers l’Hôpital)
7) Aux Auxilois morts glorieusement pour la France 1914-1919
La liste des soldats tués au combat peut s’établir de diverses manières :
1) par ordre chronologique du décès, avec nom, prénoms, régiment (ou grade), date et lieu de décès . . La liste est alors très complète.
(Aubrometz, Bonnières, Conchy-sur-Canche, Monchel-sur-Canche)
2) par ordre chronologique du décès, avec nom, prénom et année de décès
(Haravesnes, Quoeux)
3) par classe, avec nom et prénom
(Boffles, Boubers-sur-Canche, Buire-au-Bois, Fortel-en-Artois, Gennes-Ivergny, Noeux-les-Auxi, Villers-l’Hôpital, Wavans)
4) par ordre alphabétique, avec nom et prénom
(Fontaine l’Etalon, Frévent, Haut-Maisnil, Le Ponchel, Tollent, Vaulx, Willencourt, Rougefay)
4) par ordre alphabétique, avec nom, prénom et classe
(Auxi-le-Château)
Des monuments laissent apparaître d’autres inscriptions : à Monchel-sur-Canche, figure la citation "Gloire à notre France immortelle, gloire à ceux qui sont morts pour elle" ; à Fortel-en-Artois, et à Bonnières, a été gravée l’inscription "Dieu et Patrie" ; et à Gennes-Ivergny, "Pieux souvenir de la Grande Guerre 1914-1918".

Des monuments ornés d’une statue de poilu

Le personnage central de la guerre est le poilu. Il est présent sur le monument aux morts de 3 communes du canton d’Auxi-le-Château : Bonnières, Frévent et Fortel-en-Artois.
A Fortel-en-Artois, le poilu est représenté l’arme au pied.
A Frévent, la silhouette du Poilu victorieux qui domine fièrement le monument est due aux ciseau du sculpteur Gaston Beury, dont plusieurs œuvres figurent avec honneur au Salon des Artistes Français en 1920. Lors de son inauguration, le Maire de Frévent, Fortuné Cauwet, en explique sa signification : "Idéalisé par l’artiste, notre poilu rentre au foyer en vainqueur. Fier de l’œuvre accomplie, il brandit la couronne de lauriers. Aux siens, à sa ville natale, il apporte un peu de tout cet honneur dont sa modestie se trouve offensée. Son œil embrasse l’horizon, il voit briller la paix dont lui seul peut connaître le prix. Peut-il douter de l’avenir, lui qui incarna le courage et le dévouement, le désintéressement et le sacrifice ? Loin des convoitises malsaines, du farouche égoïsme de la vie, il pratiqua des vertus surhumaines. Il connut les douceurs de l’amitié désintéressée, la nécessité de la solidarité dans l’effort. Dans cette lutte sans merci son caractère s’est mieux trempé, sa volonté s’est affermie dans l’épreuve. Il est rassuré vis-à-vis des destinées de son pays qu’il a sauvé".
A Bonnières, un poilu l’arme au pied écrase un aigle. Il est l’œuvre du sculpteur parisien, Pourquet.
A Auxi-le-Château, un coq orne le monument.


Prélude aux cérémonies d'inauguration



Des communes décorées aux couleurs de la République

Les jours précédents l’inauguration, les habitants participent activement à la décoration de leur commune.
A Auxi-le-Château, ce n’est partout que guirlandes de verdure, drapeaux et banderoles tricolores, arcs de triomphe disant toute la gloire du poilu.
Les rues de Ligny-sur-Canche sont transformées en véritables allées de verdures, ornées de fleurs, de guirlandes, de drapeaux et de nombreux arcs de triomphe.
A Vaulx, la population se dévoue unanimement pour réaliser un magnifique décor sur l’emplacement choisi : la place, site élevé, autour duquel se trouvent groupés la mairie, l’école, l’église, le château. Découpée par 4 élégants portiques, la voie montante est bordée, sur un parcours de 300 m, de guirlandes fleuries, diversifiées.
A Bouret-sur-Canche, de violentes bourrasques font claquer les drapeaux au point de les déchirer, enlevant les longues files de guirlandes et manquant de renverser les arcs de triomphe.
A Fontaine l’Etalon, les rues sont enguirlandées de fleurs, les maisons parées aux couleurs nationales. Le portail de l’église, pavoisé, est orné d’une superbe croix de guerre du plus bel effet.
A Boubers-sur-Canche, partout, mais en particulier sur la place et ses abords, sont mis drapeaux, arcs de triomphe, teintures aux inscriptions glorieuses pour les soldats, banderoles tricolores, guirlandes de verdure, sapins, … et tout cela agencé avec beaucoup de goût. Les habitants ont été habitués à cette manière de faire de par le passé, grâce au véritable artiste Luglien-Leroy, qui n’est plus de ce monde en 1920.
A Frévent, dès la première heure, toute la population se met à l’œuvre pour décorer la ville. Toutes les maisons sont pavoisées de drapeaux et de guirlandes. De nombreux arcs de triomphe, aux inscriptions variées, se dressent non seulement sur l’itinéraire prévu pour le passage du cortège, mais aux quatre coins de la cité. Ainsi, à l’entrée de la rue de Saint-Pol, l’arc de triomphe édifié par M. Vasseur ; rue du maréchal Pétain, celui de M. Winterberger ; route d’Arras, celui de l’usine de Cercamp et de M. Ravaux ; rue de Doullents, celui de M. A. Bourrier ; rue Clemenceau, celui de MM Mattissart et Dauver ; rue d’Hesdin, ceux du Comptoir linier, de M. Boulet, de MM Dernez et Becque, …

Une inauguration précédée d’une bénédiction religieuse

Le matin, l’inauguration du monument commémoratif est le plus souvent précédée d’une cérémonie religieuse.
Cette bénédiction porte à discussion à Frévent. Dans le comité organisateur de la manifestation, l’adjoint au Maire, Musart, de convictions socialistes, n’y est pas opposé personnellement, mais demande, au nom de l’Intersyndicale, qu’elle n’ait pas lieu. Le Comité juge que la meilleure solution est de consulter les familles intéressées. "La majorité des familles des morts désirant que le monument soit béni, M. Musart et son parti n’ont plus qu’à s’incliner", relate le rédacteur en chef de l’Abeille de la Ternoise, Jean Dubois, qui poursuit : "Bien qu’il s’agisse ici d’une question politique, nous n’avons pas cru devoir refuser d’en dire un mot dans ce journal qui s’interdit de descendre dans l’arène. Mais nous le faisons dans l’espoir que, cette explication donnée, tout malentendu cessera, toute arrière-pensée disparaîtra, que les partis et les opinions s’uniront devant nos Grands Morts et que c’est dans une communion étroite de recueillement, de respect et de reconnaissance que tous les Fréventins, quels qu’ils soient, rendront hommage solennellement, le jour de l’inauguration du monument élevé à leur mémoire, à ces sublimes enfants du pays".
L’Eglise est, à l’image de l’ensemble de la commune, décorée, parfois avec faste.
A Frévent, l’église Saint-Vaast revêt une parure de deuil et de gloire, faite par Jules Deray (qui décore aussi l’église de Bonnières). Des tentures noires parsemées de larmes d’argent sur lesquelles se lisent les inscriptions : "Seigneur, donnez à nos Braves le repos éternel" et "Ils vivent, nous les reverrons au ciel" sont surmontées de nombreux faisceaux de drapeaux tricolore. Au-dessus du maître-autel, splendidement illuminé et décoré de drapeaux tricolores, s’étale une superbe banderole "Gloire à nos héros". Dans l’avant-chœur, un simple catafalque recouvert du drapeau tricolore, d’une tunique et d’un casque de poilu est entouré de fleurs et de gracieux anges ; autour de lui, quatre soldats permissionnaires montent la garde.
A Boubers-sur-Canche, dans le chœur est dressé un catafalque recouvert d’un drapeau tricolore. En avant de ce catafalque, trois poilus, l’un portant le drapeau national, les deux autres armés d’un fusil, baïonnette au canon ; en arrière, une charmante jeune fille, Germaine Tramcourt, personnifie la France. Autour d’elle, un groupe d’alsaciennes et de lorraines. D’un côté du catafalque, les familles en deuil des héros disparus, de l’autre le conseil municipal, la direction de la filature et quelques fonctionnaires.
A Fortel-en-Artois, une messe est célébrée par l’abbé Derond, et des chants exécutés par la chorale d’Hénin-Liétard. A Ligny-sur-Canche, un service est chanté à l’intention des morts la matinée. A Fontaine l’Etalon, le matin, un service solennel et un sermon sont faits par l’abbé Debuire.
Il arrive que le jour de l’inauguration, une autre cérémonie se déroule. Ainsi, à Aubrometz, deux cérémonies ont lieu en même temps : l’une patriotique sous la présidence du conseil général, Harduin, pour l’inauguration du monument aux soldats de la commune morts pour la France, et l’autre religieuse, sous la présidence du chanoine Legru, pour la plantation d’un nouveau calvaire. Le même rite est adopté : défilé des deux cortèges, le religieux suivant le civil, puis bénédiction du calvaire et du monument élevés tous les deux au centre du cimetière, le monument au pied du calvaire.
A Fortel-en-Artois, une plaque commémorative est bénie par l’abbé Lesenne, supérieur du collège Saint Bertulphe à Fruges.

Des sermons exaltant le patriotisme

Dans leurs sermons, les curés mettent le plus souvent l’accent sur l’exemple de charité proposé par les morts, et exaltent le patriotisme et le service de la France. Pour l’Eglise, ceux qui sont morts pour la Patrie apparaissent comme des martyrs de la foi. Les souffrances endurées intègrent les morts au champ d’honneur à la cohorte des bienheureux.
A Bouret-sur-Canche, lors de la messe de requiem, le curé de Rebreuve exalte le patriotisme et le courage des tués en montrant l’étendue de leur sacrifice. Il procède ensuite à la bénédiction du drapeau et du monument.
A Bonnières, le chanoine Bridoux fait l’apothéose du poilu s’appuyant sur "In memoriam le souvenir du juste est impérissable". Il retrace les grandes étapes de la vie guerrière du soldat français à la fois héros, sauveur et martyr. Des chants patriotiques par le chœur des jeunes filles sont interprétés durant la messe qui précède la remise d’un drapeau aux anciens combattants. L’après-midi, l’abbé Sacleux bénit le monument, et ajoute : "En défendant son sol, sa maison, sa famille, le soldat français a défendu aussi son église et ses croyances. Souvent son moral était relevé par le noble exemple des aumôniers et des prêtres combattants. Et c’est cette belle attitude du clergé français pendant la guerre qui força l’admiration de tous et pesa d’un grand poids dans le maintien de l’union sacrée".
A Ligny-sur-Canche, lors de la bénédiction du monument, le curé rend hommage ainsi : "Nous leur devons regret, reconnaissance et souvenir".
A Boubers-sur-Canche, une messe est dite le matin par l’abbé Descamps, ancien poilu. Dans une allocution, il développe ce qu’a été la guerre, comment ont vécu les soldats, comment ils sont morts.
A Frévent, la messe est célébrée par le vicaire de Saint-Vaast, l’abbé Goubet, ancien combattant, en présence du curé de Saint-Hilaire, l’abbé Legru. Après l’Evangile, le chanoine Châtelain, curé doyen de Saint-Vaast, monte en chaire et proclame au milieu d’un religieux silence, les noms des 204 victimes militaires et civiles de Frévent pour lesquelles on chante un De Profondis solennel respectueusement écouté par les 1500 personnes qui se pressent dans l’église. A la sortie de la messe, un cortège s’organise pour accompagner le clergé sur la place de l’Eglise. De gracieuses Lorraines, de gentils petits poilus, un groupe d’infirmières, Jeanne d’Arc guerrière, la France entourée de Pupilles de la Nation, se groupent au pied du monument autour duquel s’élèvent des phalanges d’anges aux ailes d’or présentant des palmes et des couronnes. Cet ensemble est dû à Mlle Locquet, directrice de l’Ecole du Sacré Cœur.
Le chanoine Châtelain célèbre le sacrifice, la vaillance et la gloire des héros. "Jamais l’histoire locale n’a connu ni ne connaîtra de plage plus glorieuse que celle qu’ont écrite nos soldats avec leur sang. Nous leur offrons des fleurs ; à leur souvenir nous versons des larmes et leur élevons des monuments, mais nous bornerons-nous là ?" et il lance alors un appel aux prière pour que "la gloire dont nous les couvrons ici-bas ne soit bientôt plus que le pâle reflet de celle que Dieu leur décernera là-haut". "Soyons, dit-il, unis dans la paix comme ils l’ont été pendant la guerre ; aimons-nous comme des frères ; n’oublions pas que nos soldats sont tombés en héros pour la douce France, pour sauver son honneur et sa liberté ; jurions d’aimer la France comme ils l’ont aimée et sur le tombeau de ces martyrs réalisons le pacte d’union sacrée".


Les cérémonies d'inauguration


L’inauguration officielle du monument aux morts est placée sous la présidence de Georges Harduin, conseiller général du canton d’Auxi-le-Château. Elle donne l’occasion de rassembler la population dans son ensemble, et de la faire participer à l’évocation des années de la guerre. Elle est entourée d’un certain lustre, l’atmosphère est recueillie, et grave. A Ligny-sur-Canche, alors que le cortège parti de la mairie comporte en son sein la fanfare de Rollepôt qui interprète la Marche funèbre de Chopin, un journaliste de l’Abeille de la Ternoise relate : "A l’arrivée du cortège, une foule énorme, venue des communes voisines pour se joindre à la population de Ligny, se presse autour du monument. Le voile tombe bientôt et aux yeux de l’assistance émue apparaissent les noms trop nombreux hélas ! des enfants de Ligny tombés au champ d’honneur"

Cortège et groupes allégoriques rassemblent la population

Véritable événement, cette journée mémorable réunit des écoliers, des anciens combattants, des vétérans de 1870, la fanfare, des sociétés diverses, … à travers le cortège qui se rend au monument, après être parti de l’école ou de la mairie. Ce cortège est composé de groupes allégoriques.
A Villers l’Hôpital, ceux-ci rappellent le Drapeau tricolore, la France en deuil, la France victorieuse, la France et ses pupilles, l’alsace et la Lorraine, la République.
A Bouret-sur-Canche, l’instituteur Carbonnier et les commissaires de la fête organisent un cortège historique. Avec la musique de Rollepot, l’union des Anciens combattants avec les mutilés et vétérans de 1870, l’union des anciens combattants de Bonnières, se trouvent en tête, suivis par des groupes représentant Jeanne d’Arc guerrière, Jeanne d’Arc prisonnière entre deux bourreaux, la France en deuil (orphelins, veuves et parents des héros), la France victorieuse accompagnée de petites Alsaciennes et Lorraines, l’armée de l’avenir (représentée par de jeunes écoliers costumés en zouaves et par de jeunes infirmières) et la France au travail (élèves de l’école portant écharpe tricolore).
A Bonnières, se retrouvent aussi des groupes de circonstances, emmenés par la musique de Rollepot: la France adoptant ses pupilles, Jeanne d’Arc guerrière, la France au Travail, l’Entente Cordiale, et la France Victorieuse.
A Frévent, le cortège est ainsi ordonné : mutilés et pupilles de la nation ; familles des morts ; Croix Rouge ; Sections des Combattants, Vétérans, Tir et permissionnaires ; Société de secours mutules ; fanfare de Rollepot ; délégation des écoles ; cortège officiel ; municipalité ; clergé : comité d’organisation ; fonctionnaires de la ville ; délégations des syndicats professionnels. Il part de la place Jean Jaurès ; puis emprunte la rue du Président Wilson ; Rue de Doullens ; Rue Houbart ; Rue de Fourment ; Rue de la Charité ; rue Delcroix ; rue d’Hesdin ; avant d’arriver place de l’Eglsie Saint Vaast. Entraîné par les pas redoublés de l’excellente fanfare de Rollepot, le cortège est escorté et suivi d’une foule énorme, qui est évaluée à 10.000 personnes.
A Boubers-sur-Canche, le cortège a, à sa tête, une drapeau national porté par un poilu accompagné de deux autres armées ; la jeune fille qui personnifie la France le suit, tenant par la main deux jeunes enfants habillés en poilus ; trois médaillés militaires viennent ensuite portant la couronne offerte par les anciens combattants à leurs camarades morts pour la France ; puis c’est la couronne offerte par les établissements Lemaire et Christory, la couronne de la société du ballon, la couronne de la jeunesse de Boubers et la gerbe de fleurs des pupilles de la Nation que porte un orphelin de guerre ; le groupe des familles en deuil puis les écoles de filles et garçons, …

L’Appel des morts suivi de lecture de poèmes

Au pied du monument, c’est d’abord l’appel des morts, le plus souvent par le Maire.
A Bouret-sur-Canche, après l’interprétation de la Marseillaise, le maire Tempez fait l’appel des morts, et un ancien combattant, Delattre, reprend d’une voix nette et forte, après chaque nom, "Mort pour la France".
A Fontaine l’Etalon, l’appel est fait Marcel Caron, représentant le maire Lagache, que l’émotion causée par le souvenir de son fils, l’une des 13 victimes, empêche de parler.
A Auxi-le-Château, l’appel est fait par M. Couvillers-Gaudry, mutilé de guerre.
A Conchy-sur-Canche, un ancien combattant, Mouret, fait l’appel des 18 noms. Il vante leur vaillance, dévouement et grandeur de leur sacrifice. "Leur vie parmi nous fut simple : bon père, bon époux, bon fils et bon frère, sur le champ de bataille, ils surent acquérir les qualités tant vantées du soldat français ; leur vie fut bien courte, elle fut belle ; leur mort fut plus belle encore, elle égale celle de tant de héros français versant généreusement leur sang pour nous conserver la liberté".
Les enfants des écoles sont chargés de réciter des poèmes et d’interpréter des chants patriotiques en l’honneur des héros.
A Le Ponchel, garçons et filles de l’école entonnent La Marseillaise. Une petite fille récite les vers de Victor Hugo, "Aux Morts pour la Patrie …", tout comme à Conchy-sur-Canche, où Fernande Mouret déclame avec une rare expression cette poésie.
A Fontaine l’Etalon, les discours officiels sont coupés par des chants des enfants composés par Bulot.
A Frévent, un des meilleurs élèves de l’école des garçons, Théonie Cauwet, déclame, de tout son cœur, une poésie de circonstance, "Aux Héros Fréventins", d’Alfred Demont.
A Boubers-sur-Canche, au pied du monument, il est procédé à la remise de la médaille militaire au soldat de réserve François-Abel Gosset, du 128ème régiment d’infanterie, objet de la citation suivante : "Soldat d’une bravoure et d’un entrain reconnus de tous. Le 20 février 1918, s’est dépensé sans compter, suivant son habitude, et a été blessé grièvement à son poste de combat. 2 blessures antérieures. Une citation".
A Auxi-le-Château, entre deux discours, une jeune fille de l’école de Mme Lemaigre, Mlle Jeanne Moreau, récite une poésie d’Anatole France.

Après les discours officiels, vin d’honneur et remise de distinctions

Dans leurs discours prononcés au pied de l’édifice, les officiels rappellent à plusieurs reprises le sacrifice des morts, réclament l’union de tous, et la vigilance à l’égard de l’Allemagne.
Le vin d’honneur termine la journée, en mairie. Il est offert par la municipalité, sauf à Boubers-sur-Canche, où il est payé par MM Lemaire et Christory dans la cour d’honneur de l’usine.
A Ligny-sur-Canche, l’inauguration se termine par une remise de diplômes commémoratifs aux familles des soldats morts pour la France.
A Fontaine l’Etalon, une prière est adressée par les pauvres orphelins à ceux qui ne sont plus.
A Bouret-sur-Canche, le sous-préfet remet un drapeau à la section des anciens combattants, et récompense la vaillante mère de famille, Madame Veuve Zélie Desmetz.
Toutefois, à Auxi-le-Château, des vins d’honneur sont offerts aux invités et aux sociétés le midi, et un banquet de l’Hôtel de Ville rassemble les officiels.
Relatant l’inauguration du monument de Le Ponchel, l’article paru dans l’Abeille de le Ternoise se finit ainsi : "Cérémonie à la fois simple et belle sur laquelle passait un souffle patriotique. Et ainsi, de tous les villages de France, s’élève cette même voix qui vient rendre une éternelle reconnaissance à nos poilus restes là-bas sur les champs de bataille de l’Yser, de l’Artois, de la Champagne et de Verdun ! C’est une voix bien française que celle qui, dans chaque village, glorifie nos héros ; c’est l’âme toute entière du pays qui l’anime, c’est le cœur de tous ceux qui restent qui la fait vibrer. Et dans une pensée commune, tous ceux qui l’écoutent, revoient le geste sublime de l’immortel soldat français, barrant de sa poitrine la route à l’envahisseur ! "
De même, pour celle de Frévent, l’article composé par le rédacteur en Chef de ce même journal commence par : "Partout en France, la terre sauvée se couvre des pierres du souvenir : pauvres tumulus ou riches monuments qui accueilleront longtemps encore les douleurs des familles endeuillées, qui recevront les grands hommages solennels des foules dans de patriotiques pèlerinages et le salut recueilli et ému du passant anonyme. Pierres éternelles qui marquent nos carrefours d’une grande page d’histoire. La ville de Frévent a accompli dimanche cet acte de foi, d’amour et de gratitude. Elle l’a fait d’une façon éclatante, et véritablement digne d’elle".

Les discours officiels

Les discours des officiels sont prononcés au pied de l’édifice. Parfois, ils sont retranscrits en intégralité dans la presse locale, en particulier L’Abeille de la Ternoise, mais aussi Le Télégramme, Le Courrier du Pas-de-Calais.
La cérémonie prend une coloration parfois plus politique avec les propos successivement tenus par un ancien combattant (ou un vétéran de la guerre de 1870), le maire, une notabilité politique locale (les conseillers généraux ou d’arrondissement). D’autres personnalités peuvent intervenir, tels : le conseiller général du canton d’Aubigny-en-Artois, Edmond Théret (qui a perdu sa fille dans un bombardement par avion), le conseiller général du canton de Bapaume, Aimé Goubet (réfugié, il a connu la captivité lors du conflit), le député César Bernard, le sénateur Ribot, ou encore le sous-préfet de l’arrondissement de Saint-Pol, Henri Marais, présent aux inaugurations de Conchy-sur-Canche, Bonnières, Bouret-sur-Canche, Auxi-le-Château et Frévent.
Plusieurs thèmes sont évoqués au cours de ces discours.

Revanche et retour des provinces perdues pour les Vétérans de la guerre de 1870

Les Vétérans de la guerre de 1870 insistent sur le fait que les héros glorifiés ont contribué à la revanche et au retour des provinces perdues, l’Alsace et la Lorraine.
A Le Ponchel, un vétéran de 1870 dit sa reconnaissance et sa joie d’avoir pu assister à la Revanche.
A Fontaine l’Etalon, un vétéran de 1870, Bulot, lit un poème de sa composition à la gloire des héros. L’instituteur Bouchez, exerçant dans cette commune depuis 33 ans, prononce un discours, ayant eu la plupart des soldats comme élèves.
A Frévent, Jules Duvalet, de la Société des Vétérans, dit : "Pendant cinq longues années, enlisés dans la boue des tranchées sous la pluie et la neige, vous avez été condamnés à la guerre d’immobilité si contraire aux fougueux tempérament français. Devant vous, préparé de longue main, l’ennemi avait accumulé des canons d’une puissance inconnue jusqu’alors, des mitrailleuses sans nombre, des flots de gaz asphyxiants, au-dessus de vos têtes rôdaient les avions semant la mort. Votre attention devait être sans cesse en éveil, vos efforts sans arrêt, car la bataille continuait jour et nuit pendant des mois … Grandes ont été les souffrances des vaillants de Wissembourg, Froeschwillers, Reischoffen, de Gravelotte, Sedan, Coulommiers, Bapaume ! Vaillants étaient leurs cœurs, ardent leur patriotisme ! Malgré leur courage, ils ont connu l’atroce amertume de la défaite, ils ont vu la France pantelante, sous la botte ennemie. Les Prussiens, Guillaume et Bismarck en tête, rentraient à Paris et, suprême douleur, l’Alsace et la Lorraine, brutalement arrachées à la mère Patrie. L’Allemagne obtenait en outre une rançon de cinq milliards, exigés intégralement au jour dit, sans discussion possible. Tout paraissait perdu, fort l’honneur. Mais la France se releva, et enfin vous êtes venus soldats de 1914-1918. Nos défaites, nos souffrances, nos hontes, tout est oublié ; nous avons été glorieusement vengés. Nos frères d’Alsace sont rentrés dans le giron maternel. Le vaillant coq gaulois peut relever fièrement la tête".
A Auxi-le-Château, le docteur Boutin, au nom des Vétérans des armées de terre et de mer, rappelle le passé vécu par la ville lors de la guerre de 1870 : "Mes camarades vétérans, il y a 50 ans, ont versé leur sang pour défendre nos berceaux et nos foyers … L’affront fait à cette époque au blason de notre petite cité est enfin lavé par cette cérémonie. En effet, en me reportant à cette époque néfaste, à cette désastreuse aventure de 70, je vois par cette brumeuse et froide journée du 1er janvier 1871, l’arrivée des Allemands dans cette ville. A cette même place où s’érige ce mausolée, se trouvait une véritable montagne de denrées et de munitions de toute espèce. Les denrées étaient destinées à ravitailler les vandales qui envahissaient nos régions. Mais les munitions vous étaient destinées, mes chers camarades vétérans de 70, vous qui veniez de verser votre sang à Pont-Noyelles et qui alliez vous sacrifier quelques jours plus tard dans les plaines de Bapaume … Le drapeau tricolore relevé par les mains jeunes et vigoureuses des enfants, est aujourd’hui victorieux et triomphant. Trempé dans le sang des aïeux et des fils, il a lavé l’affront de 70 et effacé la tâche qui ternissait le blason de notre cité".

Août 1914, à l’agression allemande répond une mobilisation faite dans la ferveur générale

Les discours évoquent les conditions particulières de l’entrée en guerre, et l’idée qu’en août 1914, la France est victime d’une agression de la part de l’Allemagne.
A Frévent, "C’est ce doux pays accueillant (la France), qui fut, sans raison, brutalement assaillie en 1914. Devant leur chef barbare, les Allemands envahissaient nos plaines pacifiques. Car nous ne songions qu’à la paix, et nous haïssions la guerre. Oui, guerre à guerre, mais quand le pays est en danger, ce serait un crime abominable de ne pas voler à son secours" (Théret, conseiller général du canton d’Aubigny-en-Artois).
A Boubers-sur-Canche, "L’Allemagne avait voulu la guerre et l’avait préparé avec un génie infernal ; conduite par l’ambition de son empereur, grisée par sa victoire de 1870, elle avait rêvé la domination du monde. Dans l’ombre, sans se relâcher un instant, ses enfants, ses usines, son industrie, son commerce, ses chemins de fer, tout avait été préparé, disposé pour la guerre. Sans souci du droit des gens, à l’heure fixée par elle, l’Allemagne nous déclare la guerre, foula aux pieds la Belgique et envahit nos frontières" (Georges Harduin, conseiller général).
Les propos sur les conditions dans lesquelles se sont déroulés les départs au front tendent à démontrer que les mobilisés sont partis à l’unanimité, dans la ferveur générale.
A Conchy-sur-Canche, "Il y a bientôt six ans, c’était le 1er août 1914, vous vous en souvenez comme moi, pères et mères qui m’écoutez, et vous les appelés d’alors, qui nous êtes revenus, toutes les cloches de nos villes et de nos villages annonçaient pour toute la France, des Pyrénées aux Vosges, l’ordre de la mobilisation. C’était la guerre à bref délai ; oui, la guerre qu’on nous cherchait sournoisement depuis de longues années, la plus terrible des guerres que l’on ai vues. A cet appel, sorti de nos clochers, à cette grande voix de la France, un grand souffle de patriotisme comme nous n’en avions pas ressenti depuis longtemps, nous fit tressaillir. A l’instant même nous quittions nos travaux, nos champs se faisaient déserts, nos usines se vidaient et sur nos places publiques, ce n’était que rassemblements et conversations sur le grand cataclysme qui allait se déclancher. La Patrie était en danger, tous ses fils répondaient : "Présent !". Le lendemain, la mobilisation commençait. Nous n’oublierons jamais le départ de nos défenseurs, leurs adieux si touchants, mais si confiants à la fois dans les destinées de la Patrie et dans le succès final. Et c’est au milieu d’un enthousiasme général que tous les enfants de la France sont partis, bien qu’ils sussent à l’avance à quels ennemis nous avions à faire et combien la guerre serait pénible et cruelle" (Porphyre Lejosne, Maire).
A Boubers-sur-Canche, "Plus de 6 années, déjà, ont passé, depuis le jour inoubliable du 2 août 1914, où le décret de mobilisation répondait à la déclaration de guerre de l’Allemagne ; toutes les cloches de nos villes et de nos villages sonnaient l’appel de la Patrie en danger. Dès le lendemain, aux premières heures de la journée, les trains militaires emportaient vers la frontière tous les enfants de France en état de porter les armes ; tous avaient répondu à l’appel, tous croyant à une campagne rapide et victorieuse. Hélas ! ils avaient compté sans la force et l’astuce de notre ennemi séculaire ; la guerre devait être la plus longue et la plus terrible des guerres. Pendant cinq mortelles années, ils devaient sous la mitraille, subir toutes les horreurs d’une grande guerre sans merci" (Georges Harduin).
A Auxi-le-Château, "Vous vous rappelez cette après-midi du 2 août où le tocsin donnait le signal de la mobilisation. Avec quel entrain et quelle espérance tous nos soldats partirent ! « Bientôt nous reviendrons disaient-ils, quand l’Allemagne sera vaincue ». Hélas ! non, la guerre ne fut pas courte, et l’Allemand fut tenace" (Docteur Boutin).

Retour sur 52 mois vécus au front et dans les tranchées

Les discours font allusion aux conditions d’existence des combattants au front et dans les tranchées.
A Le Ponchel, le conseiller d’arrondissement et maire d’Auxi, Maincourt, rappelle les phases de la guerre, la lutte gigantesque, ces héros qui ont souffert des années entières dans la boue, sous la pluie, pour sauver notre pays.
La vie dans les tranchées, c’est la vie dans la boue. A Boubers-sur-Canche, "Qui saura jamais les souffrances physiques par lesquelles ils sont passés, et cela durant des années entières, quand il fallait marcher quand même, par tous les temps, la nuit comme le jour ! Qui saura les heures pénibles de la tranchée, les épreuves de toutes sortes, les angoisses morales qu’ils ont endurées avec résignation et que dans leur abnégation ils conservaient pour eux" (Capitaine Mercier, Ancien Combattant).
La guerre apparaît comme un long chemin de croix, la victoire est lente à se dessiner. A Boubers-sur-Canche, "N’oublions pas que si le Kaiser et ses hobereaux sont les auteurs de la guerre, tout le peuple allemand a suivi son empereur. Les méthodes de guerre employées par l’ennemi furent celles des peuples les plus barbares ; les armées allemandes semèrent partout sur leur passage, la dévastation et la mort ; les habitants de nos départements envahis furent traités en esclaves ; les hommes, les jeunes filles, les enfants furent déportés et durent forger les armées destinées à tuer leurs compatriotes. L’esclavage et le bannissement étaient sans nul doute le sort qui nous attendait en cas de défaite ; c’était pour tous, la ruine, pour beaucoup la mort et la France démembrée, mutilée par l’ennemi, n’aurait pu nourrir ses enfants" (Georges Harduin).
A Conchy-sur-Canche, "Le soldat français a été le grain de sable qui, le premier, a arrêté la monstrueuse puissance ; à la Marne, sur l’Yser, à Verdun, en Champagne, à Amiens, partout, notre poilu a arrêté les hordes teutonnes" (Georges Harduin).
A Auxi-le-Château, "Ce fut dur. Les jours sombres apparurent. Nous vîmes les défilés lamentables d’évacués, les dépôts de nos régiments du Nord en retraite, traverser notre ville et les Boches envahir nos régions encore une fois" (Docteur Boutin). Le Maire de cette commune, Maincourt, insiste sur le fait que : "Pendant plus de 4 ans, ce fut une lutte ingrate et meurtrière, où nos chers soldats, par leur courage opiniâtre et leur foi en la victoire, étonnèrent le monde, qui leur avait fait jusqu’alors une réputation de légèreté et d’inconstance. Hélas ! pendant ces autre années de combats sur terre, sur mer, dans les eaux, dans les aires, au milieu des balles, des obus, des gaz, des liquides enflammés, que de vies fauchées en pleine force et en pleine jeunesse ! 1.500.000 morts dorment là-bas des côtes des Flandres aux frontières de Suisse, dans les plaines de l’Yser, d’Artois, de Champagne, dans les Vosges et d’alsace, devant Verdun et sur les rives de la Marne".
Eloge, épreuve, devoir, fierté, et aventure humaine demeurent les mots-clés du mérite et des vertus des combattants. A Frévent, "En effet, à l’instar des héros chantés jadis par Homère, (nos frères d’armes) n’ont-ils pas accompli les plus valeureuses prouesses ? Qu’on se remémore la lutte implacable que, de la mer du Nord aux frontières de la Suisse, ils ont sans défaillance, soutenue pendant plus de quatre ans contre un ennemi acharné et fort. Aux hordes teutonnes enivrées par de premiers succès, on avait promis Paris et par surcroît le Nord de la France. Pour empêcher la réalisation de ce rêve sinistre, 1.500.000 Français, dont près de deux cents Fréventins, sont morts après avoir supporté des souffrances sans nom. Qu’on se représente les péripéties de cette guerre implacable pendant laquelle il a fallu braver la mitraille et supporter sans défaillances les rigueurs du froid, les affres de la faim, les tourments de la soif. Nous, leurs camarades de combat, nous avons eu la suprême joie de voir l’ennemi détesté bouté hors de France, mais eux sont morts seulement avec l’espoir du succès final. Gloire à eux !" (M. Isbled, de l’Union des Combattants)
En définitive, la Victoire de 1918 est une victoire des hommes. Il n’y a pas d’éloges des chefs militaires. Elle est celle de la France, aucune allusion à la participation des Alliés à l’œuvre commune. A Frévent, "(Les petits enfant) n’auront pas connu le poilu sous le barda, tout couvert de cette terre de France qu’il défendait pas à pas. Ils n’auront pas vu la froide mélancolie de ces yeux résignés devant la mort impitoyable fauchant les existences, tel le moissonneur qui abat les épis dorés. Sauront-ils, nos successeurs, apprécier toute la valeur de l’indépendance qu’ils auront trouvée dans leurs berceaux ?" (Fortuné Cauwet)

Le combat pour la Liberté, la lutte du droit contre la barbarie

Certains discours reprennent l’idée que la guerre passée s’est résumée à une lutte du Droit contre la Barbarie, à une lutte pour la Liberté.
A Frévent, le conseiller général Théret, conclue son discours par : "Grâce à nous, disent-ils (les morts pour la France), la justice et le droit peuvent régner dans le monde, grâce à nous, la charrue trace son sillon fécond et producteur". A sa suite, le conseiller général Georges Harduin rappelle la longue préparation de l’Allemagne à la guerre, le choc formidable devant lequel les soldats durent plier d’abord, puis la victoire de nos armées. Il dépeint les horreurs commises par les sinistres bandits qui, violant toutes les lois de la civilisation, traitèrent les habitants des régions envahies comme de véritables esclaves et qui, victorieux, eussent anéanti le pays. Le Maire de cette commune, Fortuné Cauwet, déclare aussi : "Quatre ans durant, (Votre fils, votre époux, votre ami) fut, de Dunkerque au Bosphore, le rocher sur lequel viennent se briser les lames d’un océan en courroux. Il fut le Champion de l’Esprit devant la Matière, de la Justice devant la Force. La violence des assauts, les revers passagers, le temps qui ronge et détruit n’eurent jamais raison de son courage, ni de sa foi dans la cause sainte qui avait armé son bras".
A Boubers-sur-Canche, "Partout où furent les poilus de France, ils s’y comportèrent en braves, en fiers fils des Gaulois et des Francs, des soldats de Bouvines, de Denain ou de Valmy, de ceux de Hoche ou de Kléber, et des grognards de Napoléon, faisant enfin l’étonnement du monde, qui croyait notre nation perdue, de vices et de débauches, en pleine décadence. Il n’en était rien, Dieu merci, et les poilus ont au contraire montré que la France était toujours à l’avant-garde de la civilisation, soldat à l’âme saine, instruit, plein d’élan et de bravoure, soldat du droit, de l’honneur et de la liberté, et par suite, soldat de la victoire". (Jules Mallet).
La guerre apparaît comme une guerre défensive axée sur la résistance une défense de la terre, une guerre de défense de la liberté. A Conchy-sur-Canche, le conseiller général du canton de Bapaume, Aimé Goubet, lui-même réfugié dans le Ternois, clame : "Je ne saurais oublier avec quelle abnégation, nos soldats se sont dévoués pour le pays, ils ont lutté pied à pied contre l’envahisseur, arrosant nos champs et nos plaines de leur sang généreux et, dans un élan irrésistible, le repoussant au-delà de nos frontières. Il n’a pas dépendu d’eux que notre libération ne soit pas plus hâtive ; malgré les premiers revers, ils n’ont pas perdu courage et aux jours les plus sombres de ces dernières années dans ces combats homériques où ils luttaient contre un ennemi mieux armé, plus nombreux et surtout plus barbare, ils nous faisaient un rempart de leurs poitrines, nous demandaient de tenir alors que certains se laisser aller à la désespérance en nous criant le mot désormais historique : On les aura".
A Boubers-sur-Canche, "Qui de nous, habitants de Boubers, ne se souvient des jours tristes de 1918, où nous nous demandions avec anxiété si notre village n’allait pas, à son tour, subir les atrocités de l’invasion. Mais ils ont fait leur devoir jusqu’au bout. Ils ont donné leur vie pour libérer notre territoire du boche aussi cupide que barbare. Ils nous ont donné la Victoire. Gloire à eux ! " (Capitaine Mercier).
A Bonnières, le conseiller général du canton d’Aubigny, Théret, s’adresse aux Anciens Combattants en ces termes : "Si cet aveugle n’a laissé là-bas que ses yeux, si ce mutilé n’a perdu que ses bras, si vous tous, enfin, êtes revenus sains et saufs au foyer, ce n’est pas votre faute ? Comme ceux qui sont ensevelis dans tranchées, vous avez risqué mille fois votre vie. Vous avez été aussi braves qu’eux et vous méritez le même honneur".

La nécessité de continuer l’union sacrée au regard de la situation internationale

Les discours reviennent sur l’humiliation du "Boche", et certains décèlent en Allemagne, un réel esprit de revanche. La continuité de l’union sacrée est dès lors primordiale.
A Bouret-sur-Canche, le conseiller général Harduin dépeint le boche tel qu’il est, le montrant brutal et préparant son agression pendant plus de quarante ans. Le boche ne s’avoue pas vaincu et prépare sans nul doute la revanche car les commissions interalliées trouvent dissimulés un peu partout des nids de mitrailleuses et des moteurs d’avions". A Fontaine l’Etalon, il appelle à l’union sacrée, " toujours nécessaire en face de l’Allemagne préparant la revanche", et à Ligny-sur-Canche, "à l’appui mutuel qui doivent prolonger la fraternité d’armes du champ de bataille et que nos morts nous demandent de garder pour que leur sacrifice ne soit pas inutile".
A Conchy-sur-Canche, le sous-préfet appelle "à la paix civile, à l’union des cœurs dont la France a tant besoin ".
Le maire d’Auxi-le-Château, Maincourt expose : "N’oublions pas non plus que notre patrie est encore convalescente et que pour que la France guérisse l’union entre tous ses enfants est indispensables. Conservons donc cette union sacrée qui, pendant la guerre, nous fit invincibles. Travaillons et produisons pour que puissent vivre ceux envers lesquels nous avons contracté une dette sacrée : les mutilés, les vieux parents, les veuves, et les orphelins de guerre".
Les discours dénotent aussi une hostilité latente à l’égard des Alliés, qui s’attise après 1920 par la réticence de ces derniers envers la politique étrangère de la France et son souci de faire respecter les traités, mais aussi par leur laxisme à l’égard de l’Allemagne, et par la question du règlement des dettes de guerre.
A Bouret-sur-Canche, le sous-préfet Marais expose : "Pour l’application des clauses du traité de Versailles, nos alliés ne nous soutiennent plus avec le même empressement. Des difficultés surgissent souvent. Appliquons-nous à les résoudre pour y arriver, pratiquons l’union sacrée qui nous maintiendra forts et continuons d’imposer à tous le respect de notre pays". A Frévent, il tient à peu près les mêmes propos : "Je vous demande devant ce monument, de vous montrer dignes de ceux qui sont tombés pour vous, de vous unir en face de la mauvaise foi du vaincu et de l’indifférence de peuples qui, malgré la dévastation de notre pays, semblent vouloir faire des concessions inadmissibles aux auteurs de ces horreurs ? Il faut que le Gouvernement puisse compter sur tout ce que la France possède d’hommes de bonne volonté et de bonne foi !".
A Frévent, le conseiller général Georges Harduin va dans ce sens : "L’heure est grave. Trois ans après sa défaite, l’Allemagne oublie qu’elle est vaincue ; les auteurs responsables de la guerre ne sont ni jugés, ni condamnés ; on méconnaît les engagements du traité de Versailles, nouveau chiffon de papier".
A Boubers-sur-Canche, il indique : "L’Allemagne n’a encore rien versé de l’indemnité à laquelle elle a été condamnée et en attendant l’Etat doit pourvoir aux pensions des malheureuses victimes ; il doit avancer les sommes nécessaires à la reconstitution des régions envahies et il doit payer les dettes contractées pendant et pour la guerre et qui ont aidé puissamment à la victoire. C’est pour ceux qui le peuvent, un devoir social et patriotique que de souscrire à l’emprunt".

Paul-André Trollé 


Pour aller plus loin …

* LUIRARD Monique, La France et ses morts - Les monuments commémoratifs dans la Loire, Université de Saint-Etienne, 1977
* AUDOIN-ROUZEAU Stéphane, BECKER Annette, 14-18, retrouver la Guerre, Folio Histoire, 2003
* PROST Antoine, WINTER Jay, Penser la Grande Guerre - Un essai d’historiographie, Points Seuil, 2004
* PROCHASSON Christophe, 14-18, Retours d’expériences, Texto, 2008
* WINTER Jay, Entre deuil et mémoire - La Grande Guerre dans l’histoire culturelle de l’Europe, Armand Colin, 2008
* Sous la direction de Pierre NORA, Les Lieux de Mémoire, Quarto Gallimard, 1997
* Sous la direction de Vincent DUCLERT et de Christophe PROCHASSON, Dictionnaire critique de la République, Flammarion, 2007
* Sous la direction de Stéphane AUDOIN-ROUZEAU et de Jean-Jacques BECKER, Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Bayard, 2004
* LE NAOUR Jean-Yves, Le soldat inconnu vivant, Hachette Pluriel, 2008



Pour citer cet article : 

Paul-André TROLLE, "Commémorer : l'exemple des monuments aux morts du canton d'Auxi-le-Château", mis en ligne le 10 novembre 2009, sur le site internet "Mémorial du Ternois" (http://memorialduternois.free.fr)
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