Aux Petits Soldats de France
par Clovis Grimbert (écrit en 1911)
Ce poème est paru dans le journal La Vie Arrageoise :
Quelles sont les impressions du
"bleu" qui s'en va, du soldat qu'on libère, enfin triste éventualité,
du libéré rappelé à la frontière par le son du canon d'alarme ? Notre
collaborateur, M. Grimbert, a trouvé des strophes vibrantes pour
dépeindre ces trois phases diverses qui, par le renvoi de la classe,
l'appel des conscrits et les conflits du jour, sont toutes d'actualité.
Quand on part !
I
Je m'en vais car le clairon sonne ;
Les notes d'un rassemblement ;
Ne le confiez à personne,
Mais ce clairon qui s'époumone
Me convoque à son régiment.
II
On me dit : "C'est pour la Patrie,
"Gagne la plaine prestement,
"Quitte la plaine, la prairie,
"Le terroir et sa rêverie,
"La France me dit : Viens enfant !
III
"Viens pioupiou, garder la frontière,
"Surveiller le reître allemand,
"Défends à sa horde guerrière
"D'enlever un grain de poussière
"A ton pays, mon cher enfant !"
IV
Adieu Ternois, adieu vallée,
Adieu clocher au toit d'argent,
Adieu campagne ensoleillée,
Poésie, ô ma bien-aimée,
La France me dit : Viens enfant !
V
Mais je coupe ici ma rimaille,
Car les appels sont plus pressants ;
Je cours au rang de la marmaille,
Qui s'amuse dans la mitraille
Comme s'amusent des enfants !
Quand on revient !
I
C'est fini de la grande dette
Ce soir je serai libéré ;
Après mes rêves de conquête
C'est le cri d'une joie complète,
Jour de bonheur tant espéré.
II
On bouscule, on court, on arrive,
Pour le dernier rassemblement.
O félicité décisive
Pour ce dernier cri de "Qui vive!"
Chaque homme a répondu "Présent !"
III
C'est fini ! Adieu la caserne !
Adieu, petits bleus qui tremblez :
Je vous laisse un lot de gibernes,
L'adjudant au regard "paterne"
Adieu, petits bleus qui tremblez.
IV
Je vais retrouver ma payse,
Qui m'attend là-bas au Ternois,
Je l'embrasserai par surprise ;
Depuis longtemps c'est ma promise,
La petite fleur du Ternois.
V
Et c'est pourquoi j'aurai des ailes,
Pour voler dans ses bras, ce soir ;
J'ai vécu de soupirs pour elle,
Et pour sa caresse éternelle
Je dis au doux métier : Bonsoir !
On mobilise !
I
Mais, hélas ! le ciel est gros de nuages,
On entend au loin la voix du kaiser ;
C'est la grosse voix des sombres présages,
L'éclair fulgurant précédant l'orage :
Adieu, ma payse, un dernier baiser !
II
"Ce soir, pense à moi, pour une prière
"Chasse le chagrin qui passe en tes yeux ;
"J'ai fait mes deux ans, mais la grande Mère
"Me rappelle encore sous sa bannière.
"Sois forte, ma mie, et sèche tes yeux !
III
"Entends-tu ce chant de la Marseillaise,
"C'est celui qui mène au-delà du Rhin !
"C'est le cri que jette dans la fournaise,
"Le petit soldat. Allons, sois française,
"La voix du devoir nous conduit au Rhin."
C. GRIMBERT
Pour citer cet article :
"Aux Petits
Soldats de France, par Clovis Grimbert", poème paru dans La Vie
Arrageoise (1911), et mis en ligne en février 2010, sur le site
internet "Mémorial du Ternois" (http://memorialduternois.free.fr)
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