Lettre à sa mère
I
Madame, - c'est une chose
Bien terrible que je dois
Vous écrire, et, si je l'ose,
Ma plume tremble en mes doigts ;
C'est la promesse suprême
Que je fis à votre André, -
André m'avait fait la même ;
Ce m'est un devoir sacré.
II
Un soir, tout à la tendresse
Lointaine de la Maman,
Nous échangeâmes l'adresse
Des nôtres, éperdument ;
Car lui, comme moi, Madame,
N'avions plus êtres à chérir
Que nos mères ; - tourment d'âme :
Nous craignions un peu mourir !
III
Craindre la mort était lâche,
Mais, pour une mère en pleurs,
Nous savions ce qu'elle cache
D'angoisses et de douleurs ;
Or, si la mort insensée
Venait frapper l'un de nous,
C'est sa dernière pensée
Que l'autre prendrait pour vous.
IV
Ah ! Madame, soyez forte
Dans votre immense chagrin :
Voici que je vous apporte,
En fidèle pèlerin,
Cette chose redoutée
Que je cueillis en pleurant
A la lèvre ensanglantée
De votre fils expirant.
V
Reposant dans la tranchée,
Où l'obus l'avait atteint,
Sa tête blonde penchée
Sur mon bras, il s'est éteint
Doucement et sans souffrance,
Pour vous m'ayant dit adieu,
Dans la suprême espérance
De vous revoir près de Dieu.
VI
Alors, sur sa face blême,
Pour vous j'osai déposer,
Comme vous l'eussiez vous-même
Fait, fervemment un baiser ...
Ne remerciez pas, Madame,
L'ami de votre adoré,
Qui n'a fait, suivant son âme,
Que ce qu'aurait fait André.
Pour citer cet article :
"Lettre à sa mère, par Jules Garçon", poème paru dans Les Chansons de Jacques le Poilu (1922), et mis en ligne le 15 mars 2009 sur le site
internet "Mémorial du Ternois" (http://memorialduternois.free.fr)
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