La saucisse
Sur l'air des Loups Garous, d'Henri Morisson
I
Quand la brume que la nuit tisse,
Soulève son voile, au matin,
Lentement monte la " saucisse "
Au bleu de l'horizon lointain,
Pour
veiller sur nous
Poilus, dans nos trous.
La saucisse, molle et hagarde,
Dès l'aube pâle, s'élevant,
Dans le ciel serein, prend sa garde,
En se balançant dans le vent.
II
Sans que son gros fuseau tressaille
A l'orage des canons lourds,
Elle plane sur la bataille
Ainsi que planent les vautours ;
Son regard, au loin,
Scrute quelque coin.
La saucisse, molle et hagarde,
Qui se balance au gré du vent,
Dans le ciel serein prend sa garde
Toute la journée, en rêvant.
III
Mais si l'avion aux croix noires
Vient soudain lui livrer combat,
Adieu beaux rêves illusoires !
Elle s'affole et se débat ;
L'avion est fort,
Et vain est l'effort ;
La saucisse, molle et hagarde,
S'enflamme toute dans le vent,
Et l'avion qui la regarde
Vire, moqueur, en s'élevant.
IV
Comme la saucisse, nos rêves
Montent dans les matins dorés ;
Ils vont vers d'invisibles grèves,
Planer dans les cieux azurés.
Loin des combats sourds
Que livrent les jours,
La saucisse molle et hagarde,
De nos rêves au gré du vent
Se balance, en prenant sa garde,
Au-dessus de l'amour fervent.
V
Si l'avion aux noires ailes,
Sur elle soudain s'est jeté,
Du haut des voûtes éternelles,
Tombant dans la réalité,
Nos rêves, poilus,
Hélas ! ne sont plus
Que la saucisse qu'on regarde
En flammes toute, dans le vent,
Et qui se consume, hagarde,
Au feu de l'amour décevant.
Pour citer cet article :
"La saucisse, par Jules Garçon", poème paru dans Les Chansons de Jacques le Poilu (1922), et mis en ligne le 15 mars 2009 sur le site
internet "Mémorial du Ternois" (http://memorialduternois.free.fr)
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