A propos du monument aux morts
Au cours d’une récente réunion, le Comité du Monument a
élaboré le programme de la cérémonie à laquelle donnera lieu l’inauguration du
monument. M. Musart, adjoint au maire, n’ayant pas été d’avis que le monument
fût béni officiellement, le Comité jugea que la meilleure solution était de
consulter les familles intéressées. L’enquête a été favorable à la bénédiction.
M. Musart nous écrit à ce sujet et nous prie de faire savoir
que sa pensée a été mal interprétée ; il ne se serait pas
« opposé » à la bénédiction, mais aurait seulement
« demandé », au nom de l’Intersyndiclae, que la bénédiction n’ait pas
lieu. La majorité des familles des morts désirant que le monument soit béni, M.
Musart et son parti n’ont plus qu’à s’incliner.
Telle est, résumée, la lettre de M. Musart. Bien qu’il
s’agisse ici d’une question politique, nous n’avons pas cru devoir refuser d’en
dire un mot dans ce journal qui s’interdit de descendre dans l’arène. Mais nous
le faisons avec l’espoir que, cette explication donnée, tout malentendu
cessera, toute arrière pensée disparaîtra, que les partis et les opinions
s’uniront devant nos Grands Morts et que c’est dans une communion étroite de
recueillement, de respect et de reconnaissance que tous les Fréventins, quels
qu’ils soient, rendront hommage solennellement, le jour de l’inauguration du
monument élevé à leur mémoire, à ces sublimes enfants du pays.
J. D.
L’inauguration du monument aux Morts
La cérémonie d’inauguration du
monument élevé à la mémoire des victimes de la grande guerre 1914-1918 est
fixée au 10 juillet 1921.
Elle sera présidée par M. Henri
Marais, sous-préfet de Saint-Pol, assisté de MM Ribot, sénateur, et Bernard,
député.
En voici le programme :
A 10 h 30 (heure légale), en
l’église Saint-Vaast, messe solennelle suivie de la bénédiction du monument.
15 h, sur la place Jean Jaurès,
formation du cortège
15 h 30, réception des autorités
à l’Hôtel de Ville
16 h, départ du cortège
Ordre du cortège : 1)
mutilés et pupilles de la nation ; 2) familles des morts ; 3) Croix
Rouge ; 4) Sections des Combattants, Vétérans, Tir et
permissionnaires ; 5) Société de secours mutuels ; 6) fanfare de
Rollepot ; 7) délégation des écoles ; 8) cortège officiel ; 9)
municipalité ; 10) clergé ; 11) comité d’organisation ; 12)
fonctionnaires de la ville ; 13) délégations des syndicats professionnels.
Itinéraire : place Jean
Jaurès ; rue du Président Wilson ; Rue de doullens ; Rue
Houbart ; Rue de Fourment ; Rue de la Charité ; rue
Delcroix ; rue d’Hesdin ; place de l’Eglsie Saint Vaast.
Inauguration - Remise du monument
par le comité d’organisation à la municipalité, suivie de l’inauguration.
Retour du cortège officiel à l’Hôtel de Ville.
Grande fête patriotique à Frévent
Pour la seconde fois depuis la délivrance, la ville de Frévent a rendu dimanche à ses 204 héros un magnifique hommage de piété attendrie et de suprême reconnaissance.
Partout, en France, la terre sauvée se couvre des pierres du souvenir : pauvres tumulus ou riches monuments qui accueilleront longtemps encore les douleurs des familles endeuillées, qui recevront les grands hommages solennels des foules dans de patriotiques pèlerinages et le salut recueilli et ému du passant anonyme. Pierres éternelles qui marquent nos carrefours d’une grande page d’histoire.
La ville de Frévent a accompli dimanche cet acte de foi, d’amour et de gratitude. Elle l’a fait d’une façon éclatante, et véritablement digne d’elle.
Dès la première heure, tous les habitants se mettaient à l’œuvre pour décorer la ville. Toutes les maisons étaient pavoisées de drapeaux et de guirlandes. De nombreux arcs de triomphe, aux inscriptions variées, se dressaient non seulement sur l’itinéraire prévu pour le passage du cortège, mais aux quatre coins de la cité. C’est ainsi que nous avons pu noter au hasard de la route : à l’entrée de la rue de Saint-Pol, l’arc de triomphe édifié par M. Vasseur ; rue du Maréchal Pétain, celui de M. Wintenberger ; route d’Arras, celui de l’usine de Cercamp et de M. Ravaux ; rue de Doullens, celui de M. A. Bourrier ; rue Clemenceau, celui de MM Mattissart et Dauver ; rue d’Hesdin, ceux du Comptoir linier, de M. Boulet, de MM Dernez et Becque, etc. Et que dire de la décoration des rues suivies par le cortège, sinon qu’elle était du meilleur goût.
La cérémonie religieuse du matin a été particulièrement impressionnante ; l’église Saint-Vaast avait revêtu une parure de deuil et de gloire, dont M. Jules Deray avait été la cheville ouvrière : des tentures noires parsemées de larmes d’argent sur lesquelles se lisaient les inscriptions : « Seigneur, donnez à nos Braves le repos éternel ». « Ils vivent, nous les reverrons au ciel » étaient surmontées de nombreux faisceaux de drapeaux tricolores.
Au-dessus du maître-autel, splendidement illuminé et décoré de drapeaux tricolores, s’étalait une superbe banderole « Gloire à nos héros ».
Dans l’avant-chœur, un simple catafalque recouvert du drapeau tricolore, d’une tunique et d’un casque de poilu était entouré de fleurs et de gracieux anges ; autour de lui, quatre soldats permissionnaires montaient la garde.
On remarquait dans la nombreuse assistance, MM Henri Marais, sous-préfet, Harduin, conseiller général, Cauwet, maire et son conseil municipal, Dvignon, président du comité d’organisation, les directeurs d’usine, les sociétés des Vétérans, des anciens combattants, de secours mutuel, …
La messe qu’honorait de sa présence M. l’abbé Legru, curé de Saint-Hilaire, fut célébrée par le vicaire de Saint-Vaast, l’abbé Goubet, ancien combattant.
Après l’Evangile, M. le chanoine Châtelain, curé doyen de Saint-Vaast, monta en chaire et proclama au milieu d’un religieux silence, les noms des 204 victimes militaires et civiles de Frévent pour lesquelles on chanta un De Profondis solennel respectueusement écouté par les 1500 personnes qui se pressaient dans l’église.
L’éclat de la cérémonie fut rehaussée par les impeccables exécutions de la Fanfare de Rollepot et par les chants des jeunes gens du Patronage et de jeunes filles de la ville, délicatement accompagnés sur le violoncelle par M. Beaucourt et sur le violoncelle de M. Beaucourt, et sur le violon par M. Cléton, de Boubers.
A la sortie de la messe, un cortège s’organisa pour accompagner le clergé sur la place de l’Eglise ; de gracieuses Lorraines, de gentils petits poilus, un groupe d’infirmières, Jeanne d’Arc guerrière, la France entourée de Pupilles de la Nation, se groupent au pied du monument autour duquel s’élèvent des phalanges d’anges aux ailes d’or présentant des palmes et des couronnes. Ce gracieux ensemble, dû au dévouement et au bon goût de Mlle Locquet, directrice de l’Ecole du Sacré Cœur, et de ses collaboratrices, fit la meilleure impression sur la foule.
La bénédiction donnée, M. le chanoine Châtelain, du haut de la tribune, fit entendre un éloquent discours.
L’orateur ne peut, dit-il, traduire les sentiments dignes des gestes de nos héros. Il célèbre leur sacrifice, leur vaillance et leur gloire. Jamais l’histoire locale n’a connu ni ne connaîtra de plage plus glorieuse que celle qu’ont écrite nos soldats avec leur sang. Nous leur offrons des fleurs ; à leur souvenir nous versons des larmes et leur élevons des monuments, mais nous bornerons-nous là ? Le prêtre lance alors un appel aux prières pour que la gloire dont nous les couvrons ici-bas ne soit bientôt plus que le pâle reflet de celle que Dieu leur décernera là-haut.
M. le chanoine Châtelain parle ensuite au nom des morts : Soyons, dit-il, unis dans la paix comme ils l’ont été pendant la guerre ; aimons-nous comme des frères ; n’oublions pas que nos soldats sont tombés en héros pour la douce France, pour sauver son honneur et sa liberté ; jurions d’aimer la France comme ils l’ont aimée et sur le tombeau de ces martyrs réalisons le pacte d’union sacrée.
Nous donnons ci-après la suite de notre compte-rendu de l’importante cérémonie qui s’est déroulée à Frévent le 10 juillet dernier, à l’occasion de l’inauguration du monument aux morts :
A 3 heures et demie, arrivent à l’Hôtel de Ville, MM Henri Marais, sous-préfet, Harduin et Théret, conseillers généraux, Maincourt, Willerval de S2ricourt et Coquidé, conseillers d’arrondissement, Guillaumin, inspecteur régional des Enfants assistés, M. Cauwet, maire, entouré de son conseil municipal, les reçoit. Pendant ce temps, sur la place, un cortère se forme, puis se met en branle dans l’ordre suivant : Mutilés et Pupilles de la Nation, Familles des morts, Croix Rouge, Société des Anciens Combattants, Vétérans, Tir, Permissionnaires, Sociétés de Secours Mutuels, Fanfare de Rollepot, délégation des écoles, les Autorités, Conseil municipal, Clergé, Comité d’organisation, fonctionnaires, délégations des syndicats professionnels.
Entraîné par les pas redoublés de l’excellente fanfare de Rollepot, le cortège, escorté et suivi d’une foule énorme, que tout à l’heure, on pourra évaluer à 10.000 personnes, se rend par les rues du président Wilson, de Doullens, Houbart, de Fourment, de Charité, Decroix et d’Hesdin magnifiquement décorées, sur la place de l’Eglise Saint-Vaast, déjà noire de monde.
Les personnages officiels prennent place sur l’estrade élevée contre le presbytère. Sur la multitude qui s’entasse autour du monument et dans les rues qui aboutissent à la place, un soleil équatorial darde ses rayons cuisants. A peine y prend-on garde, tant l’instant semble solennel.
Le premier, M. Vignon, prend la parole.
Discours de M. Vignon, président du Comité
« Au lendemain de la
démobilisation, dès que les combattants, épargnés par la mort, furent rentrés
au foyer, la France entière, dans un élan spontané de gratitude envers ceux de
ses enfants tombés au champ d’honneur, voulut honorer pieusement leur mémoire
et léguer aux générations à venir, les noms de tous ceux qui avaient fait le
sacrifice de leur vie.
Ce noble sentiment ne fit pas défaut aux habitants de notre ville. Dès octobre 1919, un comité est constitué par l’honorable Maire Henri Pruvost s’occupa de réunir les souscriptions nécessaires à l’édification d’un monument digne de notre vaillante cité et des 204 de ses fils qui s’étaient immolés pour l’empêcher de tomber sous la botte allemande.
La tâche fut facile, les dons affluèrent ; sans distinction de parti ni de croyance, riches et pauvres, tous, selon leurs moyens, s’empressèrent d’offrir leur obole et d’apporter leur tribut de reconnaissance à ceux de nos frères et de nos enfants, tombés en défendant le sol natal.
Je suis heureux de leur exprimer ici, au nom du comité, nos remerciements les plus chaleureux.
Après un examen scrupuleux des divers projets qui lui furent soumis, le Comité confie le soin d’exécuter le monument que nous inaugurons à notre sympathique concitoyen, M. Mattissart, de Frévent, avec la collaboration de M. Dufour, marbrier réputé, sut mener à bien le travail dont il s’était chargé.
La silhouette du Poilu victorieux, qui domine fièrement le monument, est due au ciseau du sculpteur Gaston Beury, dont plusieurs œuvres figurent avec honneur au Salon des Artistes Français en 1920.
Je me fais l’interprète de tous pour féliciter M.
Matissart et ses collaborateurs. »
M. Vignon adresse un
souvenir ému à tous ceux qui ont eu la douleur de perdre un être cher au cours
de cette longue et terrible guerre, puis il remet le monument à M. Fortuné
Cauwet, maire de la ville.
A M. Vignon, succède M.
Cauwet, le sympathique maire de Frévent.
Discours de M. Fortuné
Cauwet, maire
Il remercie le comité d’organisation,
M. Henri Pruvost, son président d’honneur, M. Vignon, son président, et tous
les souscripteurs au nom de la Ville de Frévent, qui gardera pieusement le
monument élevé à la mémoire des enfants du pays, morts pour la France.
A ce moment retentit une
sonnerie de clairons, suivie de l’appel des morts : 204 noms, dont chacun
est accompagné de la glorieuse réponse : « Mort pour la
France » ; en même temps des gerbes de fleurs s’accumulent au pied du
monument, qui bientôt semble se dresser au milieu d’une corbeille de fleurs.
L’appel de Morts terminé, M. Cauwet reprend la parole dans les termes
suivants :
« Il appartient à
l’Histoire, votre fils, votre époux,
votre ami que nous honorons aujourd’hui. Il es t entré dans l’Eternité, couvert
de la gloire la plus pure. De son sang, il a payé pour nous, pour nos enfants
le droit de vivre sous l’égide de la liberté.
Quatre ans durant, il fut, de Dunkerque au Bosphore, le rocher sur lequel viennent se briser les lames d’un océan en courroux. Il fut le Champion de l’Esprit devant la Matière, de la Justice devant la Force. La violence des assauts, les revers passagers, le temps qui ronge et détruit n’eurent jamais raison de son courage, ni de sa foi dans la cause sainte qui avait armé son bras.
Idéalisé par l’artiste, notre poilu rentre au foyer en vainqueur. Fier
de l’œuvre accomplie, il brandit la couronne de lauriers. Aux siens, à sa ville
natale, il apporte un peu de tout cet honneur dont sa modestie se trouve
offensée. Son œil embrasse l’horizon, il voit briller la paix dont lui seul
peut connaître le prix. Peut-il douter de l’avenir, lui qui incarna le courage
et le dévouement, le désintéressement et le sacrifice ? Loin des
convoitises malsaines, du farouche égoïsme de la vie, il pratiqua des vertus
surhumaines. Il connut les douceurs de l’amitié désintéressée, la nécessité de
la solidarité dans l’effort. Dans cette lutte sans merci son caractère s’est
mieux trempé, sa volonté s’est affermie dans l’épreuve. Il est rassuré
vis-à-vis des destinées de son pays qu’il a sauvé.
Ainsi par le marbre.
Hélas ! les 204 noms gravés sur ce monument sont là pour rappeler aux petits enfants, à cette jeunesse qui s’éveille aux sons des clairons de la Victoire, les horreurs de la guerre et toute l’étendue du sacrifice.
Eux n’auront pas connu le poilu sous le barda, tout couvert de cette terre
de France qu’il défendait pas à pas. Ils n’auront pas vu la froide mélancolie
de ces yeux résignés devant la mort impitoyable fauchant les existences, tel le
moissonneur qui abat les épis dorés. Sauront-ils, nos successeurs, apprécier
toute la valeur de l’indépendance qu’ils auront trouvée dans leurs
berceaux ?
La pierre le leur apprendra. Elle rappellera à la postérité que pour le
salut de la France des millions d’hommes ont donné leur vie, après avoir
souffert toutes les amertumes d’une inexorable fatalité. Elle fixera la lourde
contribution de notre vaillante cité.
N’oubliez pas, enfants, qui récolterez les fruits de la Victoire, que
des petits camarades vous ont donné leur père, qu’ils sont maintenant seuls
dans la vie et que vous êtres solidaires de la dette contractée envers eux par
la Patrie. Vénérez ces vieux parents que la guerre a privés de leur espoir et
de leur soutien. Saluez ces mutilés qui vous entourent et qui vous donnent encore
aujourd’hui l’exemple de la dignité par leur amour du travail.
Si grandiose que soit cette cérémonie, elle ne nous libère pas, elle
n’est qu’un modeste hommage de gratitude et de reconnaissance que la ville de
Frévent à ses enfants morts pour la France.
A vous parents éplorés, à vous pupilles de la Nation, à vous, mutilés
et anciens combattants, j’adresse l’expression émue de la plus vive sympathie
de mes concitoyens.
Je remercie M. le Sous-Préfet, représentant le Gouvernement de la
République, MM les élus du canton et de l’arrondissement, MM les membres du
clergé, les sociétés et organisations locales, la ville d’Auxi-le-Château, qui,
de cœur avec nous, a envoyé à nos morts une superbe gerbe de fleurs, vous tous
enfin qui m’entourez pour témoigner de l’unanimité des Français dans la lutte
du souvenir.
Fréventins, n’oublions jamais. Que l’âme de nos morts vive dans nos
cœurs !
Au pied du de ce monument, vous trouverez toujours la pensée qui unit,
l’exemple de réconfort, la volonté enfin de travailler dans la paix au
couronnement de l’œuvre de nos héros. »
Des applaudissements éclatent de toutes parts, puis, sous la direction
de M. Bracquart, directeur d’école, les enfants des écoles communales
interprètent avec âme l’Hymne aux Morts de Victor Hugo.
Après quoi, un ancien poilu s’avance sur l’estrade et prononce d’une
voix mâle le discours suivant :
Discours de M. Isbled, au nom de l’Union des Combattants
« En l’absence de notre
sympathique président M. Victor Lemaire, empêché par un accident grave, je
viens, délégué par les membres de l’Union des combattants, saluer la mémoire de
nos frères d’armes dont les noms sont inscrits sur ce monument.
Certes pour nous, leur souvenir est ineffaçablement gravé dans
nos cœurs. Mais cela ne suffisait pas. Il faut qu’après nous, leurs noms
demeurent et passent à la postérité. En effet, à l’instar des héros chantés jadis par Homère, n’ont-ils pas accompli les
plus valeureuses prouesses ? Qu’on se remémore la lutte implacable que, de
la mer du Nord aux frontières de la Suisse, ils ont sans défaillance, soutenue
pendant plus de quatre ans contre un ennemi acharné et fort. Aux hordes
teutonnes enivrées par de premiers succès, on avait promis Paris et par
surcroît le Nord de la France. Pour empêcher la réalisation de ce rêve sinistre,
1.500.000 Français, dont près de deux cents Fréventins, sont morts après avoir
supporté des souffrances sans nom.
Qu’on se représente les péripéties de cette guerre implacable pendant
laquelle il a fallu braver la mitraille et supporter sans défaillances les
rigueurs du froid, les affres de la faim, les tourments de la soif. Nous, leurs
camarades de combat, nous avons eu la suprême joie de voir l’ennemi détesté
bouté hors de France, mais eux sont morts seulement avec l’espoir du succès
final. Gloire à eux !!…
En même temps qu’un exemple, ce monument restera à jamais un symbole.
Aux heures d’angoisse, aux moments troubles d’un avenir qui peut toujours
devenir incertain les générations futures puiseront ici le mâle courage qui
leur sera nécessaire … Elles apprendront que même lorsque tout semble
désespéré, il faut espérer encore, qu’à Charleroi succéda la Marne et qu’à la
ruée dernière du boche, en 1918 il fut répondu par la Victoire. Elles verront aussi que l’amour de la
Patrie, religion de nos frères d’armes, est un guide sûr et infaillible, comme
l’ont prouvé quinze siècle de notre histoire.
Vous, nos camarades tombés
pour la plus sacrée des causes, vous n’aurez donc pas en vain arrosé de votre
sang le sol de la patrie.
Nous gardons en héritage,
comme un dépôt sacrée, le sublime de votre sacrifice suprême et paraphrasant le
vers du poète, nous répétons avec lui :
Parmi les plus beaux noms, vos noms sont les plus beaux. »
Après lui, c’est M. Jules Duvalet qui parle au nom de la société de Vétérans.
Discours de Jules Duvalet
« Au nom de la 708ème
section des Vétérans des Armées de Terre et de Mer et des Soldats de la Grande
Guerre, permettez-moi d’apporter aux enfants de Frévent morts pour la Patrie,
l’hommage de notre plus profonde reconnaissance et d’y déposer la palme du
souvenir.
Loin de moi la pensée de
comparer mes exploits aux vôtres. Pendant
cinq longues années, enlisés dans la boue des tranchées sous la pluie et la
neige, vous avez été condamnés à la guerre d’immobilité si contraire aux
fougueux tempérament français.
Devant vous, préparé de longue main, l’ennemi avait accumulé des canons d’une puissance inconnue jusqu’alors, des mitrailleuses sans nombre, des flots de gaz asphyxiants, au-dessus de vos têtes rôdaient les avions semant la mort. Votre attention devait être sans cesse en éveil, vos efforts sans arrêt, car la bataille continuait jour et nuit pendant des mois.
Nous, les soldats de 1870-71, nous n’avons pas connu ces horreurs, nos armes étaient surtout le fusil et la baïonnette ; nos batailles, quoique terribles, étaient courtes, et se livraient au grand air, dans l’exaltation du mouvement.
Mais croyez-le, mes chers
amis, grandes ont été les souffrances
des vaillants de Wissembourg, Froeschwillers, Reischoffen, de Gravelotte,
Sedan, Coulommiers, Bapaume ! Vaillants étaient leurs cœurs, ardent leur
patriotisme ! Malgré leur courage, ils ont connu l’atroce amertume de la
défaite, ils ont vu la France pantelante, sous la botte ennemie.
Les Prussiens, Guillaume et Bismarck en tête, rentraient à Paris et,
suprême douleur, l’Alsace et la Lorraine, brutalement arrachées à la mère
Patrie.
L’Allemagne obtenait en outre une rançon de cinq milliards, exigés
intégralement au jour dit, sans discussion possible. Tout paraissait perdu,
fort l’honneur.
Mais la France se releva, et enfin vous êtes venus soldats de 1914-1918. Nos défaites, nos souffrances, nos hontes, tout est oublié ; nous avons été glorieusement vengés. Nos frères d’Alsace sont rentrés dans le giron maternel. Le vaillant coq gaulois peut relever fièrement la tête.
Vous connaissez la devise des Vétérans, « Oublier jamais ». Qu’elle reste aussi la vôtre sans intention agressive. La France est pacifique, mais elle veut rester et restera la France ! »
Discours de M.Théret, conseiller général
Après avoir remercié la municipalité et le comité d’organisation de leur cordiale invitation, l’honorable représentant du canton d’Aubigny s’incline, au nom de ses collègues du Conseil général, devant les héros fréventins.
« Tout homme, dit-il,
a deux patries : la sienne et la France. C’est ce doux pays accueillant, qui fut, sans raison, brutalement
assaillie en 1914. Devant leur chef barbare, les Allemands envahissaient nos
plaines pacifiques. Car nous ne songions qu’à la paix, et nous haïssions la
guerre. Oui, guerre à guerre, mais quand le pays est en danger, ce serait un
crime abominable de ne pas voler à son secours. Et la France entière se dressa
contre ses envahisseurs et nos poilus, après de longues et dures souffrances,
des traits innombrables d’héroïsme terrassèrent l’ennemi. Parmi ces braves
étaient les 204 soldats qu’aujourd’hui Frévent honore. Mais à côté d’eux, il
faut rendre un éclatant hommage aux anciens combattants, à ceux qui ont survécu
aux dangers et aux privations de toutes sorte, qui eux aussi ont bien mérité de
mourir. Anciens combattants, s’écrie
l’orateur, nous nous inclinons
devant vous avec respect et reconnaissance et nous vous bénissons.
Vous avez vaincu ! mais à quel prix : 1.500.000 d’entre vous
ne sont plus, laissant derrière eux des parents éplorés, des veuves
inconsolables, des enfants infortunés. Quelle dette de reconnaissance
avons-nous envers eux ! Il ne suffit pas, pour nous en acquitter, de
rendre hommage aux morts, de glorifier leur souvenir et de verser des pleurs sur
leur tombeau.
Grâce à nous, disent-ils, la justice et le droit peuvent régner dans le monde, grâce à nous, la charrue trace son sillon fécond et producteur ; mais nous ne sommes plus : les coupables de ces crimes abominables doivent être traduits devant le tribunal de l’humanité. Et vous, qui demeurez, unissez-vous, oubliez vos divisions et faites une France plus belle, plus grande, plus civilisatrice et plus rayonnante. »
La péroraison de l’orateur, dont le discours a été interrompu à plusieurs reprises par les applaudissements de la foule, provoque de nouveaux bravos.
Un des meilleurs élèves de l’école des garçons, Théonie Cauwet, déclame, de tout son cœur, une poésie de circonstance, Aux héros Fréventins, d’Alfred Demont. Auteur et interprète sont chaleureusement applaudis. Puis c’est la Fanfare de Rollepot qui donne une nouvelle exécution artistique. Un joli chœur composé par nos compatriotes, M. Paul Bracquart, Aux Pauvres Orphelins, est interprétée par les enfants des écoles ; la Fanfare les accompagne. C’est fort bien. Dès que se calment les applaudissements, M. Georges Harduin s’avance et prend la parole.
Discours de M. Harduin, conseiller général
A son tour, l’excellent conseiller général du canton rend hommage aux morts de Frévent ; il s’associe à cette émouvante cérémonie d’autant plus intimement qu’un de ses fils est tombé sur le champ de bataille.
M. Harduin rappelle la longue préparation de l’ Allemagne à la guerre, le choc formidable devant lequel nos soldats durent plier d’abord, puis la victoire de nos armées. Il dépeint les horreurs commises par les sinistres bandits qui, violant toutes les lois de la civilisation, traitèrent les habitants des régions envahies comme de véritables esclaves et qui, victorieux, eussent anéanti notre pays.
Grâce à l’héroïsme de nos soldats, la France a été sauvée. Mais nous manquerions à la mémoire de nos morts si nous renoncions à faire juger avec sévérité les auteurs de ces crimes et si nous n’exigions du peuple allemand la réparation des dommages causées par ses armées.
« L’heure est grave, s’écrie l’orateur. Trois ans après sa défaite, l’Allemagne oublie qu’elle est vaincue ; les auteurs responsables de la guerre ne sont ni jugés, ni condamnés ; on méconnaît les engagements du traité de Versailles, nouveau chiffon de papier. »
M. Harduin termine par un appel à l’union indispensable de toutes les volontés, de toutes les intelligences, de tous les cœurs français, qui soulève les applaudissements de la foule.
Discours de M. Henri Marais
M. le Sous-Préfet clôt la série des discours. Il exprime sa gratitude au comité d’organisation qui l’a convié à cette belle manifestation, belle par l’affluence qui se presse autour du monument, belle par l’union que les Fréventins ont réalisée, et qu’ils continueront dans l’avenir.
Il rend hommage au soldat français, vaillant défenseur du territoire, du logis, de la famille contre un ennemi sauvage et cruel qui s’est mis au ban de la civilisation.
« Je vous demande, s’écrie-t-il, devant ce monument, de vous montrer dignes de ceux qui sont tombés pour vous, de vous unir en face de la mauvaise foi du vaincu et de l’indifférence de peuples qui, malgré la dévastation de notre pays, semblent vouloir faire des concessions inadmissibles aux auteurs de ces horreurs ? Il faut que le Gouvernement puisse compter sur tout ce que la France possède d’hommes de bonne volonté et de bonne foi ! »
Il s’incline devant les familles des morts et leur exprime toute sa sympathie.
Il félicite les anciens combattants qui se sont constitués en association. Oui, demeurez unis comme au front, puisque telle est votre devise, unis dans l’intérêt de votre cité et dans l’intérêt de la France. Vive la France immortelle, vive la République !
On applaudit de tous côtés, puis la fanfare de Rollepot interprète d’une façon vraiment artistique La Berceuse de Jocelyn, et tout de suite après, éclatent les accents de La Marseillaise qui font battre tous les cœurs.
C’est fini. Le cortège se reforme et, musique en tête, se rend à l’Hôtel de Ville où la municipalité offre les vins d’honneur.
Telle fut, brièvement relatée, cette belle cérémonie, dont chaque Fréventin gardera au cœur un souvenir impérissable.
Qu’il nous soit permis, pour terminer, de rendre hommage à la population fréventine pour la dignité, le calme parfait et l’union étroite dont elle a fait preuve au cours de cette mémorable journée. Que les organisateurs, en particulier MM. Vignon et Rétaux, que M. Cauwet, le dévoué maire, que tous ceux qui ont apporté leurs concours, à la réussite de cette cérémonie, société, écoles, quêteuses, vendeuses de programme et de souvenirs, que Mlle Thilloy, qui a mis au service de nos héros son âme et son talent de poète, soient remerciés et félicités.
Les Fréventins ont fait, le dimanche 10 juillet, œuvre de bons Français.
J.D.
(L’Abeille de la Ternoise, des 17 et 24 juillet 1921)