Jules GARCON, aliasun écrivain combattant |
Premier
enfant d'une famille de trois héritiers, Jules Eugène Louis Joseph Garçon est
né le 25 février 1888 à Saint-Pol-sur-Ternoise, rue des Ferronniers où ses
parents, Eugène et Marie Sénéchal, tiennent un magasin de ferblanterie. Il suit
sa scolarité au pensionnat des Frères Maristes de Saint-Pol. Mais en 1903,
subissant la loi sur les écoles congréganistes, les Frères sont obligés de
quitter leur établissement : Jules Garçon accompagne alors certains de ses
professeurs à l’école Ozanam de Lille où il devient pensionnaire. Il en sort
l’année suivante avec le brevet élémentaire. En octobre 1904, il entre dans les
rangs de la Jeunesse Catholique de l’arrondissement de Saint-Pol, qu’il
présidera cinq ans plus tard.
Jules Garçon
aide ses parents à tenir leur commerce, tout en consacrant son temps libre à
lire les grands écrivains et à s’exercer à l’écriture de poésies. L’actualité
l’inspire : profondément marqué par la loi de séparation de l’Eglise et de
l’Etat de décembre 1905, il publie, sous le pseudonyme de Jean Gorc, dans le
bulletin de l’Association de la Jeunesse Catholique des arrondissements d’Arras
et Saint-Pol du 1er juillet 1907, une nouvelle intitulée « Le Songe » dans laquelle il relate
le repentir imaginaire qui assaille le président de la République Emile Loubet
après qu’il eut signé cette loi.
La même année, est fondée à Saint-Pol une société littéraire dirigée par Alfred
Demont, « les Rosati du Ternois »,
qui publie un bulletin Le Renouveau. Jules Garçon y publie ses premiers
vers. Lors du premier concours organisé par cette société le 1er mars 1908,
Jules Garçon obtient le deuxième prix et une médaille en vermeil pour « Les
Fontinettes » et une mention en prose française pour une légende,
« Le diable de Buneville ».
En 1909, les Rosati ternésiens, qui apprécient ses excellentes qualités,
l’admettent près d’eux comme secrétaire de rédaction du Renouveau.
Dès lors, sa production littéraire se développe. Jules Garçon prend alors définitivement pour pseudonyme Georges Letervanic : un prénom, celui de son oncle maternel, et un nom ayant pour racine « Tervana », l’ancienne appellation de sa ville natale.
A propos des différents passages d’aéroplanes dans le ciel d’Arras. Impressions d'un badaud qui pour la première fois voit voler les aéroplanes Ce fut le dimanche 7 août 1910 à Saint-Omer. On nous avait prédit, durant toute la matinée, qu’à cause du vent qui soufflait à 15 mètres à la seconde, nous ne pourrions voir de vols avant 7 heures. Notre enthousiasme s’était considérablement modéré : c’était presque sans espoir, - le train ne nous permettant pas d’y séjourner aussi tardivement - que nous nous rendîmes au « Plateau des Bruyères ». Et voici qu’à peine parvenus au faîte du mamelon, nous apercevons par deux fois une gracieuse Antoinette qui vire au-dessus des toiles clôturant le terrain. Oh ! je vous avoue que nous fûmes pris d’un véritable délire de joie ! Nous avions donc vu voler un aéroplane et, sans aucun doute, nous en reverrions d’autres avant que sonne l’heure pronostiquée des pessimistes. Nous nous lançâmes sans arrière-pensée dans la cohue des tourniquets et nous parvînmes, non sans courage aux pelouses déjà bondées. Au lointain sémaphore flotte la flamme rouge de bonne augure : On vole ; le petit disque blanc et le carré rouge de gauche nous signalent la vitesse du vent : 8 mètres ; le côté droit est vierge. Cependant une automobile rase les clôtures annonçant de prochains vols. Le temps passe, les oiseaux sont toujours au nid. On les distingue qui sommeillent sous l’ombre des hangars : ils sont quatre. Le temps passe, les oiseaux sont toujours au nid. On les distingue qui sommeillent sous l’ombre des hangars : ils sont quatre. Enfin, le biplan d’Ernest Paul se meut dans son abri de planches, il sort, il est sorti. L’Antoinette qui volait lors de notre arrivée reprend également la pelouse. Un petit carré rouge se hisse à droite du sémaphore : Thomas va voler. En effet, l’Antoinette roule, s’élève, fond sur nous. Le crépitement des huit cylindres, le ronflement de l’hélice s’accentuent, le monoplan passe à trente mètres du sol, les ailes jaunes déployées, glissant, sans le moindre tangage, sur l’onde diaphane. Il fixe vers l’extrémité du plateau, atteint le pylône, vire dans un magnifique gauchissement, et revient ; il vire de nouveau, pour un second tour, puis un troisième, un quatrième tandis que la foule l’acclame au passage, puis un dernier et se pose sur l’herbe avec la légèreté d’un véritable oiseau. | Là-bas,
le biplan à son tour s’envole ; il passe accompagné du même
crépitement, du même ronflement. Son allure paraît pourtant moins
stable, il lutte contre la brise avec plus de difficultés que le
premier. Son virage plus large est moins impressionnant. Il revient,
vire, fait un second tour, et atterrit. Oh ! les pessimistes ! Ce que nous rîmes de bon coeur après ces deux vols !... Cependant, un autre biplan veut prendre l’air, mais forcé d’atterrir au bout de trois cents mètres, il regagne le hangar tandis que de nouveau l’Antoinette gracieusement s’envole. C’est ensuite le petit Blériot qui semble s’élever plus que ses compagnons et file, file telle une flèche vers l’horizon. Il s’éloigne, diminue, disparaît presque. Mais il vire, boucle son tour, coupe l’allumage et descend superbe en planant, atteint le sol, fait deux légers bonds et s’immobilise. Ces diverses envolées nous avaient comblés d’enthousiasme, tandis qu’elles satisfaisaient nos yeux avides du spectacle inédit. Mais nous avaient-elles étonnés ? Etait-il quelques détails, tant au rapport des appareils que de leurs superbes courses, que nous ne nous eussions figurés ? Pour mon compte, à vrai dire, rien ne m’étonna, rien ne me frappa : tout me ravit. Les articles des journaux, les photographies qu’ils reproduisaient relativement aux oiseaux mécaniques, m’avaient tellement initié à ce que pouvait être l’aviation que je m’en étais formé une idée fort exacte. La vue des aéroplanes ne l’a que confirmée. Une seule chose en moi se modifia : la confiance en cette voie nouvelle de la science humaine, confiance très étendue déjà, et qui augmenta encore. Rien, à suivre les évolutions de ces hirondelles géantes, à scruter les hommes qui les dirigent par de simples mouvements, rien, dis-je , ne donne l’impression d’un danger affronté, et l’on se demande même s’il est possible que l’immense chemin si vivement parcouru par ce moyen naissant de locomotion, soit semé de tant d’existences sacrifiées. C’est donc un rêve, un ravissement, que nous rapportâmes du meeting de Saint-Omer - quant au moral ! Quant au physique : une violente migraine, presqu’une insolation... et quelques kilos de poussière tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ! (Paru dans l’Abeille de la Ternoise du 13 août 1910, et dans la Revue Picarde et Normande de juillet-août 1910) |
Les nombreux lauriers qu’il
acquiert au différents concours littéraires (ceux des Violetti, société
littéraire et artistique normande et picarde, et ceux des Rosati du Hainaut, de
la Thiérache et du Brabant) l’encouragent à
composer, poèmes, sonnets, ballades et romances, mais aussi des articles
en prose : variétés, croquis à la plume, chroniques, impressions,
instantanés, revues, compte-rendus... Ses créations sont publiées dans de nombreux journaux : La
Revue Septentrionale, Le Septentrional de Paris, La Vie Nouvelle,
L’Action Régionaliste, La Vie Arrageoise, La Vie Artésienne,
La Vie Saint-Poloise, L’Abeille de la Ternoise...
Son service
militaire qu’il effectue de 1910 à septembre 1912 comme secrétaire au Bureau de
recrutement du 33ème Régiment d’Infanterie basé à Arras, ne l’empêche pas de continuer à
écrire : il compose pour les réunions qui ont lieu au Repos du Soldat de
la rue des Louez-Dieu. Dès fin mars 1910, à intervalles irréguliers , il
fait paraître dans la Vie Artésienne puis dans la Vie Arrageoise,
la rubrique « Carnet de Route »,
où il retranscrit les sentiments qui l’animent lorsqu’il parcourt la région.
Jules Garçon
ne se contente pas de versifier : il aborde aussi le genre dramatique en
écrivant une comédie en un acte et en prose intitulée Le Tableau.
L’action se passe dans la salle d’une auberge où sont réunis un antiquaire, un
paysan, l’aubergiste et son domestique. L’antiquaire parcourt le pays à la
recherche de vieux objets de valeur et des documents nécessaires pour mener à
bien son étude sur « Les arts à
l’époque féodale ». Jules Garçon fait de lui une caricature amusante,
ridiculisant à la fois sa manie et sa suffisance. Le paysan est fin et madré
comme le sont la plupart des campagnards ; mais depuis qu’il sait qu’un
tableau, trouvé chez lui par l’antiquaire, est un trésor, il l’entoure de mille
précautions et sa façon de le garder est du plus haut comique. L’aubergiste et
son domestique, ayant tout de suite vu qu’ils avaient affaire à deux originaux,
s’amusent à leurs dépens et provoquent les situations les plus hilarantes.
Cette pièce est jouée avec succès au Repos du Soldat, le 20 février 1912.
Dans son numéro du 6 janvier
1912, le journal L’Abeille de la Ternoise commence la publication de Saint-Pol
rêvé ... 1952. Laissant libre court à son imagination, Jules Garçon
transporte sa ville natale quarante ans plus tard. Il fait de Saint-Pol une
ville importante, dont la population est subitement passée de 5.000 à 32.000
habitants ; des monuments de toutes sortes l’ont embellie, et son commerce
s’est accru considérablement avec l’implantation de nombreuses industries. Cet
ouvrage traduit, sous une forme poétique, l’état d’esprit des
« intellectuels » saint-polois à la veille de la Première Guerre
Mondiale.
Une fois son service militaire
accompli, il fait publier en 1913 son oeuvre essentielle dédiée à ses parents, Le
poème du Ternois, préfacée par Alfred Demont. L’Académie d’Arras lui
décerne des félicitations, couronnées par une médaille d’argent. Sous le
pseudonyme de Cina, il illustre lui-même ce recueil de 36 sonnets, mis en
relief par des extraits d’oeuvres d’historiens ou d’écrivains locaux. L’idée
générale de cet ouvrage est résumée dans l’épilogue : « Pays natal, je t’aime » qu’il
consacre par cinq chants à la gloire du Ternois.
Poète de terroir et régionaliste fervent, il souffre de voir la campagne abandonnée par ses enfants, ses travailleurs, et ses habitants, qui prétendent à leur tour goûter un peu de vie et des plaisirs de la grande ville. Sa seconde pièce, La Terre qui souffre, va dans ce sens : Jules Garçon en est à la fois auteur, acteur et metteur en scène : il a brossé lui-même les charmants décors de sa pièce champêtre. Le prologue de cette pièce, « La plainte des blés », que l’auteur lit lui-même lors des représentations, est dédié « A vous, fils de la glèbe, qui lui avait préféré la mine ».
Le 5 juin 1913, a lieu à Saint-Pol la fête des roses et de la poésie que les Rosati d’Artois célèbrent en l’honneur de Sébastien Charles Leconte, président de la Société des Poètes Français . Devant tout l’Artois intellectuel Jules Garçon lui rend honneur avec des vers de circonstance :
...Bien loin de ces clameurs d’enfer,
Poète aux défis héroïques,
Soulevant les rides stoïques
Du farouche masque de fer,
Vous écoutez chanter nos vers,
Eux qui ne savent pas combattre,
- Comme un guerrier écoute un pâtre
Perdu dans ses horizons verts. ...
En septembre
1914, un mois après le déclenchement de la guerre, Jules Garçon est appelé au
dépôt des infirmiers militaires de Magnac-Laval, en Haute-Vienne. Il est
ensuite envoyé dans un hôpital de la 12ème région, puis à
Boulogne-sur-Mer, et enfin à Berck-Plage, où il devient secrétaire de
l’officier gestionnaire de l’Hôpital maritime. Là, il fonde avec ses camarades
un petit cercle qu’il baptise « Le
cercle des embusqués », et publie un bulletin hebdomadaire, L’Embuscade.
En 1915, il
monte vers le front, à l’ambulance 1/1, secteur 40 : c’était son souhait
le plus ardent. Sa muse se ranime : il collabore au 120 Court,
journal de tranchée du 120ème bataillon de chasseurs à pied, sous la
houlette de son ami Clovis Grimbert, poète-Rosati lui aussi, originaire d’Erin.
A son ambulance, Jules Garçon fonde également un journal Les Cats Huants,
qu’il rédige entièrement avec de la prose et des vers humoristiques pour
maintenir le moral de ses camarades.
En janvier 1917, il se rend au 92ème régiment d’infanterie, qu’il quitte en juillet pour rejoindre le 202ème. Il s’inspire du spectacle de dévastation qui s’offre à ses yeux au Mont Haut pour créer des poèmes au ton de plus en plus grave. Ces derniers font transparaître ses sentiments vis-à-vis d’une guerre qui livre son lot quotidien de souffrances et de peurs : une souffrance physique lors de longues marches exténuantes avec des combats contre la boue qualifiés d’« aussi cruels et bien plus déprimants que ceux livrés sans doute aux Allemands » ; une appréhension de la mort : « Je regarde la mort et je songe à ma vie.... » ; la perte d’un camarade, fauché par un obus : « Ainsi fauche la mort ! - et l’on ne s’habitue / Pas à cette mort-là, - cette mort-là qui tue ! » ; le monde funèbre des tranchées, accompagné d’un paysage de dévastation ; les montées en première ligne ou les missions, avec le spectacle effroyable des blessés et des morts ...
En 1918, il achève la composition
d’un recueil de 12 chansons, Les chansons de Jacques le Poilu, qu’il
compte faire éditer. Sous le pseudonyme de Jean Roch, il en met 5 en musique.
Il réunit aussi d’autres poèmes sous le titre évocateur de La Grande Pitié,
qu’il projette également de faire paraître à l’issue du conflit.
Hélas ! Le 14 octobre 1918, au combat de Neuvillette, dans l’Aisne, il tombe, mortellement blessé par un éclat d’obus. En 1922, sa mère lui rend hommage en publiant Les chansons de Jacques le Poilu.
Au centre d’instruction de Bouilly (Aube), de janvier à avril 1917, Jules Garçon suit un stage de fusilier-mitrailleur |
La boue inonde la plaine Et recouvre les monts De ses gluants limons ; La terre en est toute pleine ; De longs sillons sans fin Creusent le grand chemin Quand passe une lourde roue ; Lui-même le ciel bas, Sombre comme un trépas, Semble aussi couvert de boue. Cachés dans la glaise immonde Des boyaux ruisselants Pendant les longs jours lents, Et sous le canon qui gronde, Ils sont là nos poilus Quand même résolus Dans le drame qui se joue ; De ces sombres décors S'imprégnant tout le corps, Ils sont là, couverts de boue. La mort qui guette, terrible, Complice de l'hiver, De tourbillons de fer, Sans pitié souvent les crible ; Ils tombent,... et leur sang S'écoule en rougissant Cette glaise qu'on bafoue. Ô France, en tes efforts Combien de gâs sont morts Sur ton sol couvert de boue ! |
Hélas ! Le 14 octobre 1918, au combat de Neuvillette, dans l’Aisne, il tombe, mortellement blessé par un éclat d’obus. En 1922, sa mère lui rend hommage en publiant Les chansons de Jacques le Poilu.
Paul-André Trollé
(article paru dans la revue du Centre d'Etudes Généalogiques du Pays des 7 Vallées - CEGP7V, en novembre 1998)
Bibliographie de Jules Garçon
L’« England’s
Circuit », plaquette de 4 pages, Saint-Pol, 1909.
Saint-Pol
rêvé ... 1952,
fantaisie locale, 63 pages, Saint-Pol, 1912.
Le Tableau, comédie en un acte, en
prose, jouée pour la première fois à Arras, le 20 février 1912, Paris, 1912.
Noël aux
Hangars,
poème patriotique, 1912.
Le vieux
laboureur,
chansonnette, avec gravure de Cina (Letervanic), musique de Charles Lagniez,
Arras, 1912.
Le Poème
du Ternois,
recueil de 36 sonnets, avec illustrations de Cina et préface de A. Demont, 105
pages, 1913.
La Terre
qui souffre,
pièce social en trois actes, en prose, avec un prologue en vers, jouée pour la
première fois à Saint-Pol, le 19 janvier 1913, Paris, 1914.
Jean-La-Croûte, pièce dramatique en deux
actes, en vers, jouée pour la première fois à Saint-Pol, le 18 janvier
1914, Paris, 1914.
Quand la
poudre parle,
pièce dramatique en trois actes, en prose, jouée plusieurs fois depuis la
guerre, restée manuscrite.
Les Cats
Huants,
journal humoristique de l’ambulance 1/1, secteur 40, rédigé presque entièrement
par Letervanic, et qui eut 6 numéros tirés à la pâte.
Les
chansons de Jacques-le-Poilu (œuvre posthume), recueil de 12 chansons, avec
gravure de G. Raoul et musique de Jean Roch, Saint-Pol, 1922.
La Grande Pitié, recueil de poèmes écrits pendant la guerre,
resté manuscrit.
Pour citer cet article :